sexta-feira, 3 de abril de 2009

1873, Fevereiro - JOURNAL DES SAVANTS

1873
Fevereiro
JOURNAL DES SAVANTS
Pag. 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80 81, 82
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LA VÉRITÉ SUR L’INVENTION DE LA PHOTOGRAPHIE

Nicéphore Niépce. Sa vie, ses essais, ses travaux ; d’après sa correspodance et d’autres documents inédits, par Victor Fouque, correspondant du ministère de l’instruction publique pour les travaux historiques ; membre de plusieurs académies, et sociétés savantes, etc.

Sic vos non vobis …………..
……………………………..........
…………. tulit alter honores
Virgile.

Paris, librairie des auteurs et de l’académie des bibliophiles, rue de la Bourse, 10. – Châlon-sur-Saône, librairie Ferran, rue Ferran, rue de l’Obélisque, 1867.

PREMIER ARTICLE.

Plus d’un motif m’a engagé à rendre compte d’un ouvrage historique sur l’héliographie, afin de montrer comment cette découverte incontestable de Joseph Nicéphore Niépce a donné sucessivement naissance à la daguerréotypie et à la photographie. En retraçant, non les détails, mais les principaux traits de la découverte mère et des deux arts ses fils, je serai juste envers l’inventeur dont le génie fut méconnu dans son pays, sans manquer de l'être à l'égard de l'appréciation du mérite de ceux qui, l'exemple de Daguerre et de Talbot, ont marché dans la route que leur avait ouverte Nicéphore Niépce.
On parle beaucoup d'inventions; elles sont le sujet d'un grand nombre d'écrits, depuis l’histoire d'une science jusqu'aux articles d'une revue ou d'un journal; mais, pour peu qu'on soit capable d'en apprécier la valeur, en dehors des écrits relatifs à l'histoire des sciences mathématiques dont les éléments ont une précision réelle, pense-t-on que, pour écrire l'histoire des sciences naturelles ou celle d'une de leurs branches, il y ait beaucoup d'écrivains qui soient la hauteur de leur sujet? Je ne le crois pas.
S’il n'appartient qu'à quelques esprits d'écrire avec succès sur l’histoire des sciences mathématiques ou d'une de leurs branches, reconnaissons que l'accomplissement de l'œuvre présente moins de difficultés que s'il s'agissait d'autres sciences eu égard au nombre des éléments à prendre en considération, à la difficulté de les démêler nettement, et à la diversité de leurs origines; de sorte que ces éléments ne se présentent point à l'historien avec la simplicité des éléments des sciences mathématiques; malgré l'instruction qu'il pourra avoir, il arrivera rarement qu'il soit capable de tirer parti de toutes les sciences dont la connaissance lui serait cependant necessaire pour mener son oeuvre à bonne fin.
Il exste une condition sans laquelle l'histoire d'une science laissera toujours à désirer, si, comme la physique, la chimie, la physiologie, etc., elle recourt à l'expérience, c'est que l'auteur connaisse celle-ci par sa pratique propre, et que lui-même ait fait des découvertes originales dans les sciences dont il veut retracer les progrès. Il est entendu, d'ailleurs, que tout historien d'une science doit avoir la conscience du magistrat, convaincu que ce serait forfaire à son ministère, s'il négligeait de s'éclairer des lumières indispensables pour que justice soit rendue à qui le mérite, quand l'heure est venue de prononcer un jugement définitif.
Je ne sache pas de sujet dont l'histoire prête autant que celle de l'héliographie pour mettre à découvert toutes les difficultés qu'il faut surmonter quand il s'agit de porter un jugement équitable autant qu’éclairé sur les mérites respectifs de son inventeur et des hommes auxquels on doit la daguerréotypie et la photographie.
Nous avons vu en France les grands corps de l’État décerner à deux personnes des récompenses nationales inégales, dont la plus grande ne fut pas donnée à l'auteur de la découverteoriginale, et, pour justifier cette préférence, nous avons vu le rapporteur du projet de loi à la Chambre des députés, Arago, se plaire à rabaisser le mérite de Nicéphore Niépce pour exalter celui de Daguerre dans le passage suivant, que nous extrayons de son rapport 1 ([i]). « C'est que dans les produits d'une méthode aussi défectueuse tous les effets résultant des contrastes d'ombre et de lumière étaient perdus; c'est que, malgré ces immenses inconvénients, on n'était pas sûr de réussir; c'est qu’après des précautions infinies, des causes insaisissables, fortuites, faisaient qu'on avait tantôt un résultat passable, tantôt une image incomplète, ou qui laissait çà et là de larges lacunes; c'est enfin qu'exposés aux rayons solaires les enduits sur lesquels les images se dessinaient, s'ils ne noircissaient pas, se divisaient, se séparaient par petites écailles. »
Maintenant voici le coup de grâce pour Nicéphore Niépce, et l'exaltation pour Daguerre: « En prenant la contre-partie de toutes ces imperfections, ajoute Arago, on aurait une énumération à peu près complète de la MÉTHODE (sic) que M. Daguerre a découverte à la suite d'un nombre immense d'essais minutieux, pénibles, dispendieux. »
Gay-Lussac, honorable à tous égards, qui fut le rapporteur du projet de loi concernant l'invention de l'héliographie, à la chambre des pairs, ne parla pas, pour ainsi dire, de Nicéphore Niépce.
Certes, en m'abstenant de toute remarque sur les rapports faits à la Chambre des Députés et à la Chambre des Pairs en 1839, je craindrais qu'une opinion différente des opinions des rapporteurs, énoncée trente trois ans aprés la leur, fût considérée comme insignifiante ou trop tardive, mais, en soumettant deux remarques à mes lecteurs, je serai justifié sans doute.
La première est qu'en 1839 y un Anglais, membre de la Société royale de Londres, M. Bauër, qui avait connu Nicéphore Niépce en 1827 à Londres, annonça des faits qui étaient loin d'être d'accord avec l'opinion d'Arago.
« Maintenant, dit M. Bauër, je ne pense pas que M. Niépce ait pu donner quelque idée imparfaite il y a quinze ans, car les spécimens apportés par M. Niépce, et exposés en Angleterre en 1827 (ET DONT QUELQUES-UNS SONT ENCORE ENTRE MES MAINS) étaient tout aussi PARFAITS que les produits de M. Daguerre décrits dans les papiers français de 1839, et cependant c'est la première fois que le nom, de M. Niépce est mentionné !.... »
M. Bauër avait donc vu en 1827 ce qu'Arago n'avait pas vu en 1839; Nicéphore Niépce n’était donc pas IMPUISSANT, et dès lors Daguerre n'était pas l'inventeur de la reproduction permanente des images de la chambre noire! Je vais plus loin: admettez l'opinion d'Arago, et supposez que, parmi ses collègues les députés, il s'en fût trouvé un, logicien animé de l'amour de la vérité, n'eût-il pas été fondé à dire au rapporteur qu'après avoir montré l’impuissance de la méthode de M. Niépce et l’EXCELLENCE de celle de Daguerre, il ne trouvait pas conséquent de demander une pension de 4000 francs pour le fils de M. Niépce et une pension de 6000 francs seulement pour Daguerre.
Je passe à la seconde remarque.
Il serait vraiment superflu de revenir, en 1872 , un tiers de siècle après la récompense nationale décernée à Daguerre comme inventeur de la reproduction fixe des images de la chambre noire, si l'opinion en faveur de laquelle j'écris fût devenue celle du public éclairé par les réclamations de Bauër et d'un grand nombre de Français en faveur de Nicéphore Niépce. Mais il n'en est point ainsi, surtout quand un membre del’Institut, dans une séance des cinq académies, a parlé de Daguerre comme inventeur de cette branche de la physique devenue si féconde en si peu d'années, et qui, chez tous les peuples dits civilisés, satisfait à tant de besoins divers.
Je suis trop partisan des libertés académiques et des convenances pour me permettre la moindre réflexion critique sur ce qui se passe dans chaque académie de l’Institut ; aussi me garderai-je bien de la moindre critique sur le prix décerné, en 1714, par l’Académie française, à l’abbé du Jarry, dans la pièce couronnée duquel on lit le vers devenu célèbre

Pôles glacés, bruslants, où sa gloire connue 1 ([ii])

A cette époque un lien commun ne réunissait pas ensemble les académies, et, d’ailleurs, le vers de l’abbée du Jarry ne blessait personne, et devait plaire, je ne dis pas aux amis de l’opposition, mais aux amis de l’antithèse. Les choses ont changé; aujourd'hui cinq académies sont les parties d'un Institut de France, le lien commun qui les unit est consacré par une séance publique annuelle où chacune d'elles est représentée par un lecteur de son choix, qui a soumis son écrit à une commission composée des bureaux des cinq académies.
Dans la séance du 25 d'octobre 1871, je fus d'autant plus affecté d'entendre Daguerre proclamé l’inventeur de la photographie par le lecteur de l'Académie française, que M. Legouvé eut plus de succés par la finesse de ses observations sur les mœurs du jour et par le piquant des réflexions qu'elles lui suggérèrent. Je savais trop l'histoire de Nicéphore Niépce, les obstacles qu'il avait dû surmonter m'étaient trop connus, pour ne pas faire des observatiom dans la séance de l’Académie des sciences du 30 d'octobre qui suivit la séance des cinq académies de l'Institut. Je me sais d'autant plus de gré de ces observations consignées dans le compte rendu de la séance, que le général Morin, lecteur de l’Académie des sciences dans la séance du 25, déclara avoir réclamé au sein de la commission composée des bureaux des cinq académies. Après avoir entendu la lecture de M. Legouvé, après avoir entendu les paroles de M. le général Morin, je ne doutai plus de l’opportunité d'une réclamation faite dans le Journal des Savants avec les détails convenables à porter la conviction dans tous les esprits. Voilà l'origine des articles qu'on va lire, et qui jamais n'auraient été composés, si l'opinion énoncée par M. Arago en faveur de Daguerre, au détriment de Nicéphore Niépce, n'avait pas encore des partisans au sein même de l'Institut, ainsi que le témoigne la lecture faite dans la séance annuelle du 25 d'octobre.
Mon opinion n'ayant jamais varié sur les mérites respectifs de Joseph Nicéphore Niépce et de Daguerre, je l'exposerai, avec l’espérance de la faire partager à mes lecteurs en leur soumettant les motifs sur lesquels elle repose. Mais je ne le ferai pas dans cet article, exclusivement réservé à l'examen du livre de M. Victor Fouque, dont on ne peut trop louer le zèle à faire connaître tout ce qui se rattache à la personne de l'inventeur de l'héliographie, inventeur qui se recommande aux amis des sciences par les qualités morales alliées aux facultés de l'esprit.
Les lecteurs trouveront dans la quatriéme partie de l'ouvrage de M. Victor Fouque tous les détails désirables sur la famille Niépce à partir de l’année 1595. Je me bornerais à l'indication de ce simple renvoi, si mon intention n'était pas de dire quelques mots d'Abe1 Niépce de Saint-Victor, né le 26 de juillet 1805 et mort à Paris en 1870. Je l'ai trop connu et trop estimé pour passer ses travaux sous silence dans un écrit consacré à la mémoire de son cousin Nicéphore Niépce, qu'il appelait son oncle, conformément à la mode de Bretagne, qui est aussi celle de Bourgogne; en réalité, Nicéphore n'était que le grand cousin d'Abel Niépce de Saint-Victor, comme le montrera bientôt un extrait du tableau généalogique de la famille Niépce.
La famille Niépce, anoblie par une charge héréditaire à la fin du XVIIe siècle, était une des plus anciennes de Châlon-sur-Saône; elle comptait de nombreuses alliances avec la noblesse.
M. Victor Fouque en fait connaître la généalogie à partir de Jean Niépce qui vivait en 1595; en voici le résumé :
Jean Niépce eut deux enfants : Charlotte et Antoine.
Antoine, dont la fortune était considérable, eut onze enfants, parmi lesquels M. Victor Fouque distingue :

1º Charles; il fut la tige des Niépce de Tournus, éteinte en 1814;
2º Claude; il fut la tige des Niépce de Saint-Arnbreuil, également éteinte;
3º Pierre, il fut la tige des Niépce de Senecey-le-Grand ;
4º Enfin Bernard, cadet des onze enfants d’Antoine; il fut la tige de la branche des Niépce de Châlon et de celle des Niépce de Saint-Cyr.

Bernard Niépce et Anne Nodot eurent trois enfants :

1º Une fille devenue Mme de Marcenay;
2º Claude 1 ([iii]), père de Nicéphore, avocat, conseiller du roi, mari de la fille de Barrault, avocat. Elle avait apporté à Claude une dot de trois cent mille livres.
Joseph Nicéphore Niépce appartient à la branche des Niépce de Châlon. Il naquit le 7 de mars 1765 à Châlon-sur-Saône, et mourut le 5 de juillet 1833.
Il eut une sœur, Victoire, un frère aîné, Claude, né le 10 d'août 1763 , et un jeune frère, Bernard, né en 1773. Les deux frères de Nicéphore moururent célibataires, et sa sœur, devenue Mme Maillaid, n’eut pas d'enfants.
En définitive, des quatre enfants de Claude Niépce et d'Anne Claude Barrault, fille aînée d'un célèbre avocat, conseiller du roi, il n'y eut qu'une seule branche fertile, celle de Nicéphore; son fils Isidore mourut après 1867: il a laissé deux fils.
3º Bernard, dit Cadet. Il eut de Claudine Thérèse de Courteville plusieurs enfants, dont l'un d'eux fut Laurent Augustin, marié à Mme Elisabeth Pavin de Saint-Victor.
De ce mariage naquit Abel Niépce de Saint-Victor, le 26 de juillet 1805. Il mourut à Paris le 6 d'avril 1870; il appartenait donc à la branche de Niépce de Saint-Cyr.
La généalogie qui précède montre le degré de parenté d'Abe1 Niépce de Saint-Victor avec Joseph-Nicéphore Niépce.
L'histoire de Nicéphore Niépce, telle que la raconte M. Victor Fouque, est étroitement liée à celle de son frère Claude; dans la maison paternelle ils eurent le même précepteur, l'abbé Montaugérand , et suivirent, en outre, les cours des Pères Oratoriens. Leur jeune frère fut élevé comme eux.
Les deux aînés, enfants studieux, doux et timides, vivaient dans leur famille, et s'occupaient, lors de leurs récréations, à construire avec du bois de petites machines qu'ils façonnaient au moyen de leurs couteaux et de leurs canifs.
Nicéphore et Hubert étaient destinés à l'état ecclésiastique; et, parce que Nicéphore eut achevé ses études avant l'âge fixé pour recevoir l'ordre de la prêtrise, il professa l'une des classes des Pères de l'Oratoire dans leur collége d'Angers. Mais la Révolution changea ses destinées en le jetant dans la carrière militaire; le 10 de mai 1792, il devint sous-lieutenant au 42e de ligne, et le 6 de mai 1793, nommé lieutenant au 2e bataillon de la 83e demi-brigade, il fit la campagne de Sardaigne; la même année celle d'Italie. Enfin le 9 de mars 1794, il fut adjoint
de l'adjudant général Frottier. Nul doute que, si une maladie épidémique des plus graves ne l'eût atteint à Nice et mis dans la nécessité de renoncer à la carrière rnilitaire, il fût parvenu aux grades les plus élevés, comme le témoignent les paroles du général Kerveguen, qui, en signant son congé définitif, lui dit: « Je perds en vous le plus beau lustre de mon état-major. »
Nicéphore malade se trouva si bien des soins de Mme Roméro, chez laquelle il demeurait, que, revenu à la santé, il lui demanda en mariage sa fille, dont l'âge dépassait le sien de quelques mois, et qui déjà etait veuve d'un avocat.
La demande agréée, le mariage se fit le 4 d'août 1794 à la satisfaction de trois personnes. Trois mois et demi après, ies représentants du peuple, P. J. Litter, Tureau et Cassanyas, le nommèrent membre de la cornmission du district de Nice, mais, peu de temps aprés, le mauvais état de sa santé l'obligea de donner sa démission. II quitta Nice et se retira dans le village de Saint-Roch peu éloigné de la ville. C'est là que, libre de soins, sa santé devint meilleure, et qu'il eut bientôt le plaisir de revoir son cher Claude, le compagnon de son enfance! Claude s'était embarqué à Toulon comme volontaire; aprés deux ans de navigation et quelques jours de repos, il prit encore du service, s'embarqua sur La Modeste à Boulogne, navigua quelques mois, et quitta définitivement le service pour rejoindre son frère.
Une anecdote racontée par M. V. Fouque témoigne de l'estime dont jouissait Nicéphore Niépce et son frère dans le pays de Nice, qui cependant n'était pas le sol natal! Depuis six ans des brigands, voleurs et assassins, connus sous le nom de Barbets, portaient le trouble et la désolation dans cette partie du midi de la France; un jour fa nouvelle d'une irruption de Barbets dans le village de Saint-Roch se répand, la population effrayée se retire à Nice; les frères Niépce, sans peur et sans reproche, restent chez eux. Le soir de l'envahissement, se promenant dans leur jardin, au détour d'une allée un inconnu les aborde et leur dit avec politesse: « Messieurs, je vous connais, je suis le chef «des Barbets; il ne vous sera fait aucun mal, vous pouvez rester « ici sans crainte. » Et, aprés un court entretien plein de courtoisie, il gagne la petite porte par laquelle il était entré dans le jardin et disparaît.
C'est à Saint-Roch que naquit l'enfant unique de Nicéphore, Jacques-Marie-Joseph-Isidore Niépce. C'est à Saint-Roch encore que Nicéphore et son frére Claude eurent l'idée de trouver une force capable d'imprimer le mouvement à un grand bateau, à un navire, sans recourir ni à la voile ni à la rame. Mais souveint l'argent leur manquait, et, d'ailleurs, l'amour du sol natal se réveillait de temps en temps, et on le sentait d'autant plus que ce malheureux directoire n'existait plus, et qu'au vif éclat du consulat se rattachait l’espérance d'un heureux avenir, sentiment si cher au coeur de l'homme !
Le 23 de juin 1801, après plus de dix ans d'absence, ils revirent la maison de leurs pères. Ils y retrouvèrent leur mère et leur frère Bernard. Ils habitèrent tour 4 tour Châlon et le Domaine-Niépce situé au Gras, commune de Saint-Loup-de-Varennes, et c'est dans leur pays natal qu'ils achevèrent ce qu'ils avaient commencé à Saint-Roch, la réalisation d'une machine propre à mettre en mouvement les grands bateaux et les navires, sans le secours des voiles ni des rames. Ils la nommèrent pyréolophore. La force qui l'animait naissait de l'inflammation soudaine du lycopode par l'air. Un brevet d'invention de dix ans leur fut délivré par un décret de Napoléon, daté de Dresde, 20 de juillet 1807.
Un bateau, muni d'un pyréolophore, fut vu naviguer sur la Saône et sur l'étang de Batterey, au milieu des bois de la Charmée Saint-Loup-de-Varennes.
On lit dans un rapport fait à la première classe de l’Institut par Berthollet et Carnot, que les auteurs pouvaient remplacer le lycopode par la poussière de houille mélangée, au besoin, avec une très-petite portion de résine. La conclusion du rapport est que la machine proposée par MM. Niépce est ingénieuse, et peut devenir très-intéressante par ses résultats physiques et économiques, et qu'elle mérite l'approbation de la classe.
Les frères Niépce concoururent pour les plans d'une machine hydraulique destinée à remplacer celle de Marly; ils proposèrent une pompe très-ingénieuse et très-simple, qu'ils qualifiérent d'hydrostatique; mais, en réalité, elle n'était pas exempte de défauts.
Enfin, lors du blocus continental, ils se livrèrent à la préparation de l'indigo du pastel, sur laquelle le gouvernement de l'empereur appelait alors l'attention publique, avec l'espérance qu'on parviendrait à remplacer
par une plante indigène une des matières colorantes les plus renommées pour teindre les étoffes en bleu vraiment solide.
Personne mieux que moi ne pouvait prévoir l'inutilité des efforts tentés alors pour atteindre ce but; car, dans un mémoire sur l'indigo, lu à la 1re classe de l'Institut le 13 de juillet 1807, en démontrant, contrairement à l'opinion de Fourcroy, que l'indigotine, le principe colorant essentiel de l'indigo, existe tout formé dans le pastel, il ne pouvait dès lors être le produit de l'altération de la plante, de plus j'avais mis en évidence que la quantité en était trop faible pour qu'on pût l’en extraire avec avantage 1 ([iv]).
Le temps, en faisant justice de toutes les publications oficielles relatives à l'avantage de l'extraction de l'indigo du pastel, m'a donné raison.
Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis que les fréres Niépce essayaient de préparer l'indigo avec le pastel; 1814 vint et montra le néant du pouvoir le plus formidable pour créer une industrie qu'une simple analyse de laboratoire avait condamnée avant sa naissance, en prouvant que la proportion de la matière utile était trop faible dans la plante pour que l'extraction fût jamais susceptible de rémunérer celui qui l'entreprendrait au point de vue industriel, tandis que le sucre découvert dans la betterave par Margraff s'y trouvait en une proportion assez forte pour qu’on pût espérer avec raison qu’un temps viendrait où l’extraction en serait possible pourvu qu’elle fût avantageuse.
Si les frères Niépce ne purent faire l'impossible, ils ont laissé dans leur pays des témoins de leurs efforts à l'égard du botaniste qui parcourt le domaine qu’ils habitèrent et les campagnes au centre desquelles il est situé. Non seulement les jardins de l’habitation, mais les champs voisins, les vieux fossés, véritable terre promise pour les voyageurs amis des plantes, offrent partout aux regards le pastel en possession du sol; il s'y multiplie sans culture tantôt isolément, tantôt par groupes plus ou moins étendus.
Nous voici arrivé la deuxième partie de l'ouvrage, la plus longue; elle comprend cent trente-cinq pages consacrées presque exclusivement à la découverte de l'héliographie.
Les frères, Niépce se livraient encore à la préparation de l'indigopastel en 1813, lorsque la lithographie excita l’étonnement, frappa les esprits et inspira à plusieurs l’idée de l'établir en France. La découverte de cet art remonte à la fin du XVIIIe siècle; mais son auteur, Aloys Senefelder, venu en 1802 en France avec l'intention de l'exploiter, fut accueilli trop froidement pour y rester. Il alla à Munich, où l’art nouveau se développa rapidement, et c'est alors que plusieurs Français à fonder des établissements à Paris; l'homme dont les efforts furent les plus grands en faire une industrie française est le comte de Lasteyrie-Dusaillant, gendre du général de Lafayelte.
Après avoir fait un voyage à Munich en 1812, y être retourné à la paix de 1814, il revint en France, avec d'habiles ouvriers, fonder un établissement vraiment modéle.
Ce que je raconte de l'établissement en France de la lithographie n'est pas une digression, surtout au point de vue où je me place pour faire connaître l'esprit de Nicéphore et ce qui le distinguait de son frére Claude; c'est cette différence qui va nous montrer comment celui-ci quitta son pays en 1816; il le quitta et ne le revit plus; entraîné par sa passion pour la mécanique, pratique, il s'y abandonna absolument, et sembla en proie à une idée fixe, qui, en définitive, devait aboutir au mouvement perpétuel; après avoir consommé argent, temps et santé à Paris, il alla mourir en Angleterre sans plus de succés, mais avec la pensée peut-être d'avoir trouvé ce qui avait été cherché avant lui sans succés.
Nicéphore Niépce, malgré sa participation aux travaux de mécanique de son cher Claude, à l’invention du pyréolophore et de la pompe hydrostatique, avait une disposition qui l’entraînait du côté des sciences, dont le but est la connaissance des actions moléculaires; ou, ce qui est plus exact, les applications de ces sciences fixaient surtout son attention, et, sans lui, jamais Claude n'aurait pensé au pastel; Nicéphore dut à cette même disposition l'idée de s'occuper de la lithographie. La première recherche à laquelle il se livra en s'engageant dans cette voie fut celle de pierres calcaires d'un grain fin, susceptibles de se prêter à l'impression, et à peine crut-il en avoir trouvé, qu'il chercha à s'en servir lui-même pour reproduire des dessins; on ne peut en douter en lisant les indications données à M. Fouque par son fils Isidore, qui, comme dessinateur, coopérait à ses essais. En les lisant, il devient évident que c'est surtout en cherchant à composer des vernis propres à la lithographie qu'il fut conduit à découvrir l’héliographie, dont son nom sera toujours inséparable.
Quoique je ne veuille parler que de ce qui a trait à cette découverte dans la correspondance des deux frères, dont M. V. Fouque a publié une partie, cependant la correspondance des deux frères a tant d'intérêt par l'expression de l'affection la plus vive; les sentiments du frère, du père et de l'époux, exprimés par Nicéphore, ont tant de vérité, et l'esprit y est confondu si bien avec la sensibilité du coeur le plus tendre, que je me reprocherais de taire quelques réflexions que m'a suggérées l'amitié des deux frères. Elevés ensemble, livres aux mêmes études et obéissant aux mêmes goûts dans leurs récréations, ils savaient que l'aîné jouirait de la fortune pour continuer la famille, tandis que le cadet, avec le jeune frère, prendraient les ordres; voilà ce qui était réglé, et chacun d'eux le trouvait bon, conformément à l'usage des anciennes familles.
Mais la Révolution arrive. La Constitution de 1791 proclame l’égalité des parts dans les héritages, et crée un état de choses absolument nouveau en abolissant l'ancien qui comptait des siècles de durée. Que vat-il arriver dans la famille Niépce? l'union de Claude et de Nicéphore sera-t-elle brisée? Non, assurément; l'amour de la patrie anime les deux frères, évidemment partisans des nouvelles idées; ce sont des patriotes de 89, et je sais la valeur de cette expression et le sens qu'on y attachait encore dans un département de l'Ouest, où, en 1843, j'avais le bonheur aussi d'entendre des hommes qui, ayant pris quelque part aux événements de la Révolution, se faisaient un point d'honneur de n'être pas confondus avec les hommes de 93. Les frères Niépce partageaient ces idées, dit M. V. Fouque; et, dès qu'il fallut défendre la France contre l'invasion de l'étranger, l'aîné s'engagea sur la flotte, et le cadet, Nicéphore, servit dans l'armée, ainsi que nous l'avons vu.
Enfin le futur oratorien, après avoir payé sa dette à la patrie comme militaire, devint père de famille, et l’aîné, destiné à continuer le nom de Niépce, garda le célibat, en devenant un second père pour son neveu, de sorte que le nouvel état de choses, loin d'avoir affaibli l’amitié mutuelle des deux frères, l'avait, au contraire, augmentée près des personnes qui avaient pu l'apprécier avant et après la Révolution.
C'est le 21 de mars 1816 que commence l'intérêt de la correspondance des deux frères relativement à l'héliographie. Nicéphore a fait des essais dont il augure de bons résultats. Dès le 1er d'avril il pense à fixer les couleurs des images; le 12, il parle d'une espèce d'œil artificiel qui n'est, en définitive, qu'une chambre noire; le 22, il entretient son frère d'un accident qu'il a eu bien des peines à réparer: il a cassé l'objectif dont le foyer était le plus convenable à ses expériences, et il faut le remplacer. Sa lettre du 5 de mai raconte les dificultés qu'il a rencontrées; il a quitté la campagne pour aller à la ville chercher une lentille; il n'est pas jusqu'au nom italien de Scotti, marchand de lunettes chez lequel il a trouvé une lentille, mais différente de celle qu'il fallait rencontrer par un foyer plus long, qui m'a rappelé qu'une douzaine d'années auparavant un Italien aussi était le marchand unique de lunettes dans le cheflieu d'un département de l'Ouest où la population s'élevait à trente-deux mille âmes, et Dieu sait quels étaient les baromètres et les thermomètres qu'il vendait avec ses instruments d'optique; mais il avait l'avantage d'être seul, comme son compatriote de Châlon. Heureusement que le fils de Nicéphore, Isidore, avait un baguier, et que le grand-père Barrault avait laissé un microscope solaire muni de ses lentilles, et qu'une d'elles avait un foyer convenable; voilà un malheur réparé, et le 9 de mai il annonce à Claude qu'il a obtenu DES IMAGES sans que le soleil luise, et, dès lors, sans que le mouvement de l'astre occasionne des changements dans la distribution des ombres de l'image.
Dix jours aprés, un dimanche, le 19 de mai, il écrit ces lignes à son cher Claude: « Je m'empresse de répondre à ta lettre du 14, que nous avons reçue avant-hier, et qui nous a fait un bien grand plaisir. Je t'écris sur une simple demi- feuille, parce que la messe ce matin, et ce soir une visite à rendre à Mme de Morteuil, ne me laisseront guère de temps; et, en second lieu, pour ne pas trop augmenter le port de ma lettre, à laquelle je joins deux gravures faites d'après le PROCÉDÉ QUE TU CONNAIS. La plus petite provient du baguier, et l'autre de la boîte dont je t'ai parlé, qui tient le milieu entre le baguier et la grande boîte. »
Me blâmera-t-on d'être profondément touché de la lecture de ces lignes écrites sans que Nicéphore eût la pensée qu'un jour elles seraient rendues publiques? La pureté, l'honnêteté des sentiments et la simplicité de l’homme de famille parlant d'une manière si modeste de l'œuvre qui assurera l’immortalité à son nom, ne donne-t-elle pas de Nicéphore l'idée d'un homme excellent, et cet hornme, après avoir porté l'épée, devenu père de famille, s'amoindrit-il lorsqu'il parle de la messe à laquelle il assiste, dans les lieux mêmes où, enfant et jeune homme, il l'entendait avec la pensée de la célébrer lui-même un jour comme prêtre? Je ne le pense pas.
Le 28 de mai, quatre nouvelles épreuves sont adressées à Claude. De nouveaux succès ont été obtenus; il s'est aperçu de l'heureuse influence d'un carton percé au centre qui, placé devant l'objectif, en diminue le diamètre, et contribue ainsi à la perfection de l'image en la rendant et plus vive et mieux dessinée.
Le 2 de juin, nouveaux détails. Il parle, sans la nommer, dune substance excessivement sensible pour retenir les moindres impressions de la lumière, et enfin de l'espérance de pouvoir graver, au moyen des acides, les images obtenues sur une plaque métallique, qui deviendrait ainsi propre à les multiplier.
Cette lettre est remarquable, puisqu'elle témoigne que, dès 1816, Nicéphore ne s'occupait pas seulement de fixer l'image peinte par la lumière dans la chambre noire, mais qu'il concevait nettement encore la possibilité que cette image, une fois reçue sur une plaque métallique convenablement préparée, pourrait être gravée en recourant à un acide, et qu'ainsi il multiplierait les épreuves de l'image en la rendant inaltérable. Le nom d'héliographie était donc clairement dans l'esprit de Niépce dès 1816, et nous verrons bientôt qu'en 1824 la conjecture avait passé dans le domaine de la réalité.
M. V. Fouque cite des passages de diverses biographies de Nicéphore Niépce dont il ne nomme pas les auteurs, mais qui, par leur malveillance, semblent continuer le passage reproduit plus haut du rapport d'Arago à la Chambre des Députés; passons outre, ils ne valent pas la peine qu'on prendrait en les réfutant.
La correspondance des deux frères, du 16 de juin 1816 au 11 de juillet 1817, contient beaucoup d'indications de résultats d'expériences. Après de nombreux essais, Nicéphore renonce au chlorure d'argent, au chlorhydrate de peroxyde de fer, dont la solution jaune blanchit à la lumière, il croit que le bioxyde de manganèse, qui, de brun étendu sur le papier, devient blanc par le contact de l'acide muriatique oxygéné, donnerait peut-être un bon résultat. II a soumis à plusieurs essais la résine de gayac, connue par la propriété de devenir verte sous l'influence de la lumière. Mais reconnaissons que ce qui ôte de l'intérêt à cette correspondance est la crainte qu'avaient les deux frères de la violation du secret de leurs lettres; en un mot ils se tinrent constamment en garde pour qu'un étranger ne profitât pas de leurs travaux par la lecture de leur corresponclance, aussi étaient-ils convenus de n'écrire que ce qu'ils considéraient comme indispensable à ce que l'un comprît l'autre.
Dans cette correspondance est un fait qui, pour n'avoir pas conduit Nicéphore à son but, ne doit pas être omis, lorsqu'il s'agit de donner une preuve de la justesse d'esprit qui présidait à ses recherches. Il avait lu dans une note de Vogel, insérée dans la traduction du dictionnaire de chimie de Klaproth et de Wolf, que le phosphore pur et incolore, exposé dans le vide à la lurnière du soleil, devient rouge, en perdant la propriété de se dissoudre dans divers liquides, notamment dans le sulfure de carbone; et que, devenu rouge, il a perdu son inflammabilité à l’air.
Cette simple indication de Vogel lui suggéra la pensée d'enduire une plaque d'une couche mince de phosphore incolore et de l'exposer ensuite dans la chambre noire, espérant que la lumière d'une image qui toucherait le phosphore en le rougissant le rendrait insoluble dans le sulfure de carbone, par exemple, et que, dès lors, le phosphore de la plaque qui n'aurait pas été éclairé, ayant conservé sa solubilité, serait enlevé par le liquide, et qu'on aurait pour résultat l’image de la chambre noire de couleur rouge. Si les nombreuses expériences auxquelles Nicéphore soumit son idée ne répondirent pa à ses espérances, il n'en est pas moins vrai que l'esprit qui le dirigea était celui d'un véritable inventeur.
Après avoir renoncé au phosphore, il reprend la résine de gayac et constate le fait que la partie sensible à l'action de la lumière réside dans la partie résineuse que l'alcool dissout, de sorte qu'il faut n'employer la résine de gayac qu'après en avoir séparé la partie soluble dans l'eau.
C'est au mois d'août 1817 que Claude quitta définitivement Paris pour aller en Angleterre, où il mourut. Il avait alors compléternent renoncé à l'idée de tirer parti en France du pyréolophore comme agent moteur.
Quelques jours après le départ de son frère, Nicéphore reçut une lettre de Jomard, secrétaire de la Société d'encouragement, dans laquelle on le remerciait de l'envoi de ses pierres propres à la lithographie. Cette lettre ne lui fut point agréable.
M. V. Fouque exprime ses regrets de n'avoir eu aucune lettre de Nicéphore depuis juillet 1817 au mois de mai 1826; il n'a eu entre les mains, dans ce laps de temps, que des lettres de Claude à Nicéphore, et il se borne à en extraire ce qui concerne les travaux héliographiques.
Des lettres de Claude nous n'en citerons que deux.
La première, constate, qu'avant le 19 de juillet 1822, Nicéphore avait reproduit sur verre un portrait de Pie VII, qui faisait l'admiration de tous ceux qui le voyaient. Le général Poncet du Maupas, cousin par alliance des frères Niépce, voyant ce portrait, le demanda avec tant d'instances à Nicéphore, qu'il l'obtint. Il le fit encadrer par Alphonse Giroux, de manière que l'on, pouvait voir l'image sur les deux faces du verre; malheureusement, ne pouvant s'en séparer, il l'emportait dans ses voyages, et ce qui devait, arriver arriva; un jour un admirateur du chef-d'œuvre l'ayant saisi, le laissa tomber, et l’œuvre de Nicéphore fut détruite.
La seconde lettre, du 3 de septembre 1824, témoigne que Nicéphore avait réussi à reproduire, d'une manière fixe, les points de vue qui se dessinent dans la chambre noire.
Enfin le musée de Châlon-sur-Saône possède deux plaques d'étain, dont l’une montre l'image d'un PAYSAGE, et l'autre l'image d'un CHRIST PORTANT SA CROIX, avec l'indication dessin héliographique, inventé par J. N. Niépce, 1825: et, à cette occasion, je suis heureux de mettre sous les yeux de la conférence du Journal des Savants le portrait du cardinal Georges d'Amboise, avec le certificat d'origine de Niépce de Saint-Victor, qui a bien voulu se dessaisir de cette épreuve en ma faveur, sachant la profonde estime que j'ai toujours eue pour l'illustre inventeur de l'héliographie. Elle a d'autant plus de prix pour moi, que Isidore Niépce , le fils de Nicéphore, écrivit le 10 de mars 1867 une lettre que M. V. Fouque a insérée dans son ouvrage, où se trouve décrit le procédé tel qu'il fut exécuté par son père pour obtenir ce portrail1([v]). Je me dispense d'en parler maintenant, me réservant de le faire dans le second article, où j'examinerai l'héliographie comme invention.
Nous sommes arrivés à l'époque des relations de Nicéphore avec Daguerre. Voici comment elles s'établirent.
Le colonel Niépce, de la branche de Sennecey-le-Grand, allant à Paris, fut chargé par son cousin Nicéphore de l'acquisition de divers objets, une chambre obscure à prisme ménisque entre autres, chez Vincent et Charles Chevalier.
Ces deux artistes furent émerveillés d'une épreuve héliographique de Nicéphore, représentant une jeune-fille filant sa quenouille. Le colonel prononça le nom de Nicéphore Niépce, l’auteur de l'épreuve, et Charles Chevalier celui de Daguerre, le peintre associé à Bouton, auteur de l’idée mère du diorama. Le lecteur trouvera tous les détails désirables dans l’ouvrage de M. Fouque, ainsi que l’acte d’association de Nicéphore avec Daguerre.
Je me bornerais, dans cet article, à établir que la découverte de l’héliographie, tout à fait orignale, appartient entièrement à Nicéphore Niépce, quelle que soit l’estime qu’on professe pour Daguerre ; d’un autre côté, tout en reconnaissant le tort de Daguerre dans l’acte qu’il passa, après la mort de Nicéphore Niépce, avec son fils Isidore, de substituer son nom à celui de Nicéphore Niépce, je ne serai point injuste à son égard lorsque je parlerai de la manière de fixer l’image de la chambre obscure par le procédé auquel on a donné son nom, je parlerai donc de Daguerre avec la même impartialité que de Talbot, auquel on doit la photographie sur papier. Mais je ne peux omettre, avant d terminer cet article, de dire quelques mots de la vie de Claude et de Nicéphore Niépce, mon intention étant d’examiner les deux frères dans un second article, relativement à ce qu’on appelle l’esprit d’invention.
Nicéphore, ayant appris que son frère était malade en Angleterre, n’hésita point à se rendre prés de lui dans la seconde quinzaine du mois d’août 1827 avec Mme Niépce. Il s’arrêta quelques jours à Paris ; il y vit non seulement M. Daguerre, mais encore M. Lemaître, artiste graveur aussi distingué par le talent que par l’honnêteté de ses sentiments. Déjà des rapports existaient entre lui et Nicéphore, et, depuis la mort de l’inventeur de l’héliographie, la famille Niépce, et particulièrement Niépce de Saint-Victor, n’a eu qu’a se louer de M. Lemaître. Une lettre de Nicéphore, adressée de Paris à son fils, et publiée pour la première fois dans l’ouvrage de M. Fouque, a un véritable intérêt. A cette époque Nicéphore parlait avec enthousiasme du diorama de Daguerre, et l’on peut d’autant moins suspecter sa sincérité, que les détails qu’il donne sur le travail de Daguerre n’ont, comme il le remarque lui même, aucun rapport avec l’héliographie ; il y a plus, c’est que je ne conçois pas comment Daguerre les citait comme preuve de recherches analogues à celles de Niépce. Je reviendrait plus tard sur cet objet.
Nicéphore partit enfin pour l'Angleterre. En y arrivant, il trouva son frère bien plus gravement malade qu'il ne s’y attendait; non-seulement Claude était hydropique, mais il y avait encore affection mentale, et certes l'idée fixe qui le préoccupait, surtout dans les dernières années de sa vie, la recherche du mouvement perpétuel, n'avait pas peu contribué à ce résultat
C’est à Kew que Nicéphore connut M. Baüer, membre de la Société royale de Londres, dont j’ai cité plus haut une lettre honorable en faveur de l’invnteur de l’héliographie ; il ne tint pas à M. Baüer que Nicéphore publiât en Angleterre sa d’ecouverte ; mais Nicéphore la quitta en janvier 1828 sans s’y résougre. Claude mourut à Kew-Green, le 10 février de la même année.
Enfin, c’est le 5 décembre 1829 qu’un traité d’association pour exploiter l’héliographie fut passé entre Joseph-Nicéphore Niépce et Daguerre.
Le traité est reproduit intégralement par M. V. Fouque ; il me suffit de citer les articles 1 et 5 ainsi conçus :

« Art. 1. Il y aura entre MM. Niépce et Daguerre société sous la raison de commerce Niépce-Daguerre, pour coopérer au perfectionnement de ladite découverte, INVENTÉE par M. Niépce et perfectionnée par M. Daguerre.
« Art. 5. M. Niépce met et abandonne à la société, à titre de mise, son invention, représentant la valeur de la moitié des produits dont elle sera susceptible ; et M. Daguerre y apporte une nouvelle combinaison de chambre noire ; ses talents et son industrie équivalent à l’autre moitié des susdits produits. »

Si l’on admet que Nicéphore a obtenu des images héliographiques qui ont excité l’admiration, en Angleterre, de Baüer, en France, du général Poncet et des nombreux amateurs de beaux-arts qui visitaient les magasins de la maison Alphonse Giroux 1([vi]), etc., les articles 1 et 3 prouvent sans discussion, que Nicéphore Niépce a inventé l’héliographie. Ajoutons que, conformément à l’article 3 du traité. Les procédés sont fidèlement décrits. Il ne peut donc y avoir doute sur l’auteur de la découverte.
En outre, l’article 5 ne porte comme invention de Daguerre qu’une nouvelle combinaison de chambre noire, expression qui, n’étant pas définie par le traité, est tout à fait étrangère à l’invention de l’héliographie.
Tels sont les faits d’après lesquels je démontrerai, j’espère, dans le second article :
1º. Que l’honneur de la découverte originale de l’héliographie appartient absolument à Joseph-Nicéphore Niépce, et qu’il a parfaitement établi les conditions de la réalisation de la découverte;
2º. Que Daguerre a eu le mérite incontestable, en observant ces conditions, de substituer au bitume de Judée, la matière sensible à l’action de la lumière, l’argent ioduré, beaucoup plus impressionable ;
3º. Enfin, que Talbot a eu le mérite incontestable de substituer aux métaux et au verre, employés par Joseph-Nicéphore Niépce et Daguerre, le papier, de sorte qu’aujourd’hui le daguerréotype n’est plus d’usage.
Nicéphore mourut au Gras, dans sa maison de campagne, à l’âge de soixante-huit ans et quatre mois, le 5 juillet 1833. Ses resres mortels reposent dans le cimitière de Saint-Loup-de-Varennes, prés de Châlon-sur-Saône.
La IIIe PARTIE de l’ouvrage de M. V. fouque a pour objet de montrer que Joseph-Nicéphore Niépce est bien l’auteur de l’héliographie, et que Daguerre a eu le grand tort de forcer Isidore Niépce, le fils de Nicéphore, à signer un traité après la mort de son père, dans lequel il est dit qu’un procédé nouveau de fixer les images de la chambre obscure portera le nom seul de Daguerre, par la raison que jamais, sans l’invention de Nicéphore, Daguerre n’eût imaginé le daguerréotype.
Enfin la IVe PARTIE est un exposé généalogique de toutes les branches de la famille Niépce.
Je ne puis terminer le compte que je viens de rendre de l’ouvrage de M. V. Fouque sans le féliciter, au nom de la vérité et de la science, d’avoir attaché son nom à une œuvre consciencieuse et tout à fait patriotique en faveur d’un de ses concitoyens; je m’estimerais heureux si, dans l’article qui suivra celui-ci, j’apporte quelques raisons scientifiques en faveur d’un homme de génie qui eut toutes les vertus du père de famille et de citoyen.
E. CHEVREUL
(La suite à un prochain cahier.) ([vii])

([i]) 1 Page 9.
([ii]) 1
De cendres en ce jour couvrant son diadème,
Il ignore son rang, se le cache à lui-même.
Isles, vastes climats, lointaines régions,
Dont l’infidèle nuit couvre les nations,
Pôles glacés, bruslants, ou sa gloire, cnnue
Jusqu’aux bornes du monde, est chez nous parvenue,
Puisse la renommée, en loüant ce grand Roy …

(P. 71 et 72, poëme chrétien qui a remporté le prix de poésie, au jugement de l'Académie française, en l'année 1714 , par l'abbé du Jarry.)
([iii]) 1 Qu’il ne faut pas confondre avec son oncle Claude Niépce, qui fut la tige des Niépce de Saint-Ambreuil.
([iv]) 1 Annales de Chimie, t. LXVIlI, p. 284; Annales du Muséum d'histoire naturelle, t. XVIII, p. 251.
([v]) 1 Invention de la photographie, par V. Fouque, p.122 et 123.
([vi]) 1 La vérité sur l’invention de la photographie, par V. Fouque, p.108 et 109.
([vii]) Journal des Savants, Março 1873.

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