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segunda-feira, 30 de agosto de 2010

1839, 4 de Fevereiro - COMPTES RENDUS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES

1839

4 de Fevereiro

COMPTES RENDUS  DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES

T. VIII

Nº. 5

Janvier-Juin 1839

Pags.170,171,172,173,

174.

PHYSIQUE APPLIQUÉE. - Procédé de M. DAGUERRE

 

M. Arago annonce que M. Talbot, physicien anglais de beaucoup de mérite, lui a écrit au sujet du procédé de M. Daguerre.

M. Arago s'est trouvé d'abord quelque peu embarassé sur la question de savoir si M. Talbot désirait que sa lettre fût communiquée à l'Académie; mais il n'a plus conservé de doute dés qu'il a vu qu'une seconde expédition de la même lettre avait été adressée à M. Biot. Voici textuellement ce que M. Talbot mande aux deux académiciens:

 

                                                                                                                                          « Londres, le 29 janvier 1839.

    «  Messieurs ,

 

«  Dans peu de jours j'aurai l'honneur d'adresser à l'Académie des Sciences, une réclamation "formelle de priorité, de l'invention annoncée par M. Daguerre dans ses deux points principaux:

« (I.) La fixation des images de la camera obscura;

« (2.) La conservation subséquente de ces images, de sorte qu'elles peuvent soutenir le plein "soleil.

« Très occupé, en ce moment, d'un Mémoire sur ce sujet, dont la lecture sera faite à la "Société royale après-demain, je me borne à vous prier d'agréer l'expression de toute ma "considération.

 

 «   H. F. Talbot ,

"Membre de la Société royale de Londres."

 

M. Talbot, dit M. Arago, est un esprit trop éminent, un trop bon logicien, pour vouloir, dans une question de priorité, tirer parti du Mémoire dont il était très occupé à la date du 29 janvier 1839, contre une communication académique de M. Daguerre qui remonte à plus d'un mois. M. Talbot doit incontestablement posséder d'autres titres. Voici quelques détails qu'il sera appelé à discuter:

La première idée de fixer les images de la chambre obscure ou du microscope solaire sur certaines substances chimiques, n'appartient ni  à M. Daguerre ni à M. Talbot. Nous aurons à rechercer plus tard, si M. Charles, de l'Académie des Sciences, qui faisait des silhouettes dans ses cours publics, a précédé ou suivi M. Wedgewood.

Les premiers essais de M. Niépce, de Châlons-sur-Saône, pour perfectionner le procédé de M. Charles ou de M. Wedgewood, sont de 1814.

Nous avons des preuves authentiques, des preuves légales, qu'en 1826, M. Niépce savait engendrer des images qui, après une certaine opération que nous ferons connaître en temps et lieu, résistaient à l'action ultérieure des rayons solaires.

Nous produirons des desseins, exécutés sur divers substances, par la méthode de M. Niépce, avec des perfectionnements de M. Daguerre, qui remontent à 1830.

Nous publierons l'acte d'association du 14 Décembre 1829, ENREGISTRÉ suivant les prescriptions de la loi, à la date du 13 mars 1830, et par lequel MM. Niépce et Daguerre s'étaient associés pour exploiter le procédé à l'invention duquel ils avaient concouru l'un et l'autre.

Nous prouverons enfin, par la correspondance de M. Niépce, mort le 5 juillet 1833, que M. Daguerre était déjà, du vivant de son ami, en pleine possession du procédé, entièrement neuf, dont il se sert aujourd'hui, et que plusieurs des dessins que le public a tant admirés, existaient à cette époque.

Depuis cinq à six ans la méthode de M. Daguerre n'a guère reçu que des légères améliorations dont un artiste éminent pouvait seul sentir la nécessité.

M. Talbot a dû être bien mal informé de l'état des choses, puisqu'il ne parle pas dans sa lettre que d'une invention annoncée. M. Daguerre a fait infiniment plus qu'annoncer sa découverte; il en a montré les produits à tout le monde: Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes, se trouvaient journellement réunis dans son cabinet, et confondaient franchement, sans réserve, les témoignages de leur admiration.

Complétement initié à tous les détails de la nouvelle méthode, M. Arago s'est assuré, en faisant une vue du boulrvard du Temple, qu'il n'est nullement nécessaire d'être peintre ou dessinateur pour réussir aussi bien que M. Daguerre lui-même. Examinée à la loupe, cette vue offrait des objets, tels que des tiges de paratonnerres très éloignés, reproduits avec une incroyable netteté, et dont l'oeil ne soupçonnait pas l'existence.

Le trait par lequel la méthode Daguerre se distingue principalement de la méthode Niépce, c'est la promptitude. Les objets sont dessinés avant que les ombres aient eu le temps de se déplacer. Les demi-teintes, toutes les circonstances de la perspective aérienne se trouvent reproduites avec un degré de vérité et de finesse dont l'art du  dessin  ne semblait pas susceptible. M. Arago ne doute pas qu'on ne parvienne à former une image exactement nuancée de la pleine lune, si l'on adapte la plaque imprégnée de la nouvelle substance à la lunette, conduite par une horloge, d'une machine parallactique.

 

« A la suite de la communication précédente de M. Arago, M. Biot dit qu'il a reçu de M. Talbot une lettre absolument pareille; qu'il a pensé que ce savant n'avait probablement pas une connaissance compléte des circonstances à la suite desquelles la découverte de M. Daguerre a reçu sa publicité actuelle; et qu'il a cru essentiel de les lui expliquer dans les termes suivants:

 

     « Monsieur,

 

» Je reçois, à l'instant, la lettre que vous me faites l'honneur de m'écrire, pour me faire connaître l'intention où vous êtes d'adresser prochainement à l'Académie des Sciences, une réclamation formelle de priorité, relative à l'invention annoncée par M. Daguerre.

» Vous me rendrez, sans doute, la justice de croire que je ne voudrais pas hasarder d'avance, une opinion préconçue sur un sujet aussi délicat. Mais je dois, dans l'intérêt de la vérité, vous prévenir, au cas où vous l'ignoriez, que les amis de M. Daguerre savent qu'il s'est occupé constamment de cette recherche depuis plus de quatorze ans; et je puis attester qu'il m'en a parlé il y a plusieures années. Il a même conservé, et nous a montré, une foule de résultats plus ou moins heureux, qu'il avait obtenus par divers procédés, avant d'arriver à celui qu'il emploi maintenant, et dont les effets font l'admiration de tous nos artistes par leur perfection et leur délicatesse. Il a aussi eu la bonté de me confier une multitude de faits physiques extrêmêment intéressants pour la science, que ce procédé lui a fait découvrir; et il a bien voulu, à ma prière, réaliser, par le même  moyen, plusieures expériences de recherche qui me semblent avoir une grande importance théorique. Enfin, il a communiqué son secret tout entier à M. Arago, que vous savez, aussi bien que moi, avoir un esprit trop étendu et trop généreux, pour se laisser prévenir par des préjurés de nationalité. Je m'empresse, Monsieur, de vous adresser cette déclaration, pour que vous puissiez apprécier, par vous-même, les faits qu'elle referme. Je la devais autant à l'estime que m'ont inspirée vos précédents travaux sur l'optique, qu'à la confiance que vous voulez bien me témoigner.

 

« J'ai l'honneur d'être, etc.

 

                                                                                       « Paris, le 31 janvier 1839

 

 

« Au reste, ajout M. Biot, voici une autre preuve de publicité irrécusable, et qui date déjà de trois années. Le Journal des Artistes, tome II, page 203, parlant déjà des inventions et des recherches de M. Daguerre, contient le passage suivant, qui a été imprimé au mois de septembre de 1835.

«Ces découvertes l’ont mené à une découverte analogue, plus étonnante encore s'il est «possible: il a trouvé, dit-on, le moyen de recueillir, sur un plateau préparé par lui, l'image «produite par la chambre noire; de manière qu'un portrait, un paysage, une vue quelconque, «projetés sur ce plateau, par la chambre noire ordinaire, y laisse son empreinte en clair et en «ombre, et présente ainsi le plus parfait de tous les dessins. Une préparation mise par-dessus «cette image, la conserve pendant un temps indéfini.»

» Ce que l'article ci-dessus annonçait en 1835 de la découverte de M. Daguerre, est précis précisément ce qu'il vient de faire voir à tout Paris, à la fin de 1838.»

domingo, 29 de agosto de 2010

1839, Abril - JOURNAL DES SAVANTS

1839

Abril

JOURNAL DES SAVANTS

Pag. 198 - 207

Sur les effets chimiques des radiations, et sur l’emploi qu’en a fait M. Daguerre, pour obtenir des images persistantes dans la chambre noire

 

deuxième et dernier article.

 

Nous allons aujourd'hui raconter les tentatives qui ont précédé ou accompagné l'invention actuelle de M. Daguerre. En leur appliquant les conditions générales exposées dans notre premier article, le lecteur appréciera aisément les chances de succès et de perfection qu'elles pouvaient offrir.

Cette histoire a aussi, en quelque sorte, ses temps heroïques; car on vient de nous annoncer l'existence d'un ouvrage imprimé depuis un siècle et demi, et relatif à cette même question. Il est intitulé : Descrizione d'un nuovo modo di transportare qua1 si sia figura, designata in carta, mediante le raggi solari di Antonio Cellio, Roma 1686, in-4º. Du reste, personne, jusqu'ici, n'a vu ce livre, ni ne sait ce qu'il contient. Dès que l'on connut les changements de teinte éprouvés par le nitrate et le chlorure d'argent, lorsqu'ils sont exposés aux rayons solaires. ou seulement à la clarté du jour, il était naturel que l’on cherchât si cette propriété ne pourrait pas servir pour obtenir des empreintes de gravures ou d'objets naturels, soit par l'application immédiate sur un papier imprégné de ces substances, soit par la concentration optique des rayons que les objets auraient émis ou transmis. L'idée en vint à Wedgwood et à Davy vers 1802. Mais des essais multipliés, qu'ils tentèrent ensemble, leur montrèrent que l'impressionnabilité de ces préparations n’étit pas  assez vite pour donner des empreintes nettes dans la chambre noire, même après beaucoup de temps, et avec une illumination très-intense. Le physicien Charles, qui, bien longtemps avant cette époque, donnait au Louvre des cours publics, renommés pour la beauté des instruments et des expériences, y effectuait, à ce qu'on assure, des silhouettes par le même procédé. Mais je ne saurais dire si c'était antérieurement ou postérieurement aux essais de Wedgwood et Davy.

M. Niepce, de Châlons sur Saône, commença à s'occuper du même problème vers 1814. C'était un homme d'un esprit spéculatif et inventif, plutôt qu'instruit des choses connues; et il paraît même qu'il était peu familier avec les procédés optiques. Toutefois, s'étant tourné et obstiné à cette recherche, il alla plus loin et visa plus juste qu'on ne l'avait fail auparavant; car il obtint, par la seule influence de la radiation, des empreintes exactes de gravures appliquées sur un tableau: impressionnable, et même quelques linéaments d'images dans la chambre noire, ce qui était d'une bien plus grande dificulté. Le procédé, ou la substance dont il faisait usage, reproduisait directement les ombres par des ombres et les lumières par des clairs; condition d'une importance capitale, qu'aucun des essais antérieurs n'avait pu remplir. Mais la lenteur avec laquelle les effets étaient produits entraînait des inconvénients considérables; car, même en procédant par application immédiate, ils ne s'opéraient qu’après quatre ou cinq heures; et, dans la chambre noire, ils ne devenaient distincts qu'après deux ou trois jours d'exposition à la plus vive lumière; ce qui en rendait l’usage impossible pour la représentation des paysages, et même des objets naturels de quelque étendue, à cause du déplacement inévitable des ombres pendant l'opération.

Le peu de connaissance qu'avait M. Niepce dans les arts du dessin l'empêchait de sentir combien il fallait attacher d'importance à ce que les contours des objets fussent reproduits avec netteté, et que les tons plus ou moins lumineux de leurs diverses parties suivissent les mêmes dégradations dans les empreintes formées. Mais, eût-il compris ces conditions, l’imperfection des appareils optiques qu'il employait lui aurait rendu impossible d'y satisfaire. C'est ce que prouvent les épreuves qu'il donna alors à quelques amis, et qui sont seulement des calques très-imparfaits de gravures. Toutefois, le premier germe d'une représentation fidèle des objets par l'action de la radiation, même diffuse, s'y trouvait déjà; et cette découverte lui aurait sans doute mérité beaucoup d'applaudissements s'il l’eût publiée. Malheureusement il jugea à propos de la tenir secrète, et elle l'est encore aujourd’hui.

Vers le même temps, et sans connaître les recherches de M. Niepce , M. Daguerre cherchait aussi à fixer les images de la chambre noire. Cet habile artiste, qui avait longtemps étudié les effets optiques, les avait employés de la manière la plus ingénieuse dans ses grands tabeaux du Diorama, pour imiter jusqu’à l'illusion toutes les dégradations d'ombre et de lumière, qui s’opèrent naturellement dans différents sites, aux différentes heures du jour, selon la direction actuelle des rayons solaires, et selon les objets par lesquels ces rayons sont reçus, absorbés, réfléchis, distribués. Les imperfections qu'il découvrait encore dans ces tableaux, qui semblaient si parfaits à tout autre qu'à lui-même, lui avaient inspiré un désir presque déséspéré de fixer les images, bien autrement fidèles encore, de la chambre noire. Car, quant à l’idée de reproduire ainsi de simpes gravures, ou de les faire reproduire à la lumière par un calque, il avait trop de connaissance des exigences de l’art pour s'y arrêter un moment. Il voulait fixer le tableau même de la chambre noire, avec la pureté de ses contours, la fidélité de ses tons, et la vérité de ses couleurs. C'était tout cet ensemble de perfections qui l'avait charmé. Depuis 1824, il travailla cinq ans à  réaliser ce miracle, au moyen des propriétés phosphoriques des corps. On sait en effet depuis longtemps, qu'une foule de substances, après avoir été exposées plus ou moins de temps au soleil, ou même seuleument au grand

jour, deviennent lumineuses dans l'obscurité, et d'autant plus que la radiation qui les a impressionnées a été plus vive. Par exemple, le sulfate de baryte et les écailles d'huîtres, qui sont composées de carbonate de chaux uni à des matières animales, acquièrent cette propriété à un très-haut degré lorsqu'on les calcine avec du soufre; ce qui les change en un sulfure de baryte et un sulfure de chaux. La poudre d'écailles ainsi préparées n’émtt par elle-même aucune lumière sensible; mais si on l'expose seulement au jour pendant un instant inappréciable, et qu'on la reporte aussitôt dans l'obscurité, elle y revicnt lumineuse et reste telle pendant quelques minutes. Le sulfate, ou plutôt le sulfure de baryte, s'impressionne de même, peut-être plus vivement encore; car il conserve son éclat plus longtemps. Il paraît que ce dégagement de lumière accompagne ou suit la décomposition réelle, mais insensible, du sulfure que l'influence de la radiation provoque, ou seulement, accélère, car, lorsque les poudres rentrent dans l'obscurité aprés avoir été impressionnées, et se trouvent lumineuses, elles exhalent une odeur de gaz hydrogène sulfuré très-sensible, qu'elles n'émettaient pas auparavant, ou du moins qui était à peine appréciable. Concevez donc qu’une pareille poudre ait été uniformément repandue ou fixée sur un plan, et exposée ainsi à l'influence de la radiation dans la chambre noire, à la distance focale convenable pour que les rayons spécialement propres à l'impressionner soient concentrés sur elle par l'objectif: elle s'impressionnera en chaque point du tableau avec une extrême vivacité, proportionnellement à l'énergie locale de leur action, c'est-à-dire, proportionnellement l’intensité de la radiation efficace, émanée de chaque point des objets dont l’objectif rassemble les images. Et si cette intensité s'accorde sufisamment avec celle de la lumière visible qu'elle accompagne, il se sera produit après quelques instants, sur le tableau, une image des objets extérieurs, invisible au jour, mais qui deviendra visible dans l'obscurité. Maintenant, supposez qu’au lieu de la contempler ainsi, vous soumettiez le tableau à quelque opérration physique ou chimique qui arrête la décomposition ultérieure de la poudre sensible, et qui manifeste, par une empreinte durable, les inégalités opérées dans sa décomposition: le résultat obtenu ainsi satisfera aux conditions d'une grande promptitude d'action, d'une fidèle distribution des clairs et des ombres, et d'une fixité ultérieure indéfinie. Mais, de ces trois conditions, la première seule, la vive impressionnabilité s'offre avec une entière évidence dans les poudres phosphoriques. Nous ignorons comment M. Daguerre remplissait les deux autres, ou espérait les remplir, lorsqu'il s'attachait avec une ardeur si persévérante à ce procédé.

Et il avait tenté plus encore: il avait fait une infinité d'expériences sur les poudres phosphoriques en général, et en particulier sur le sulfate de baryte, pour savoir si, par des modes variés de préparation, et en le joignant à diverses substances, il ne pourrait pas, avec sa vive impressionnabilité, lui donner la faculté d'émettre spécialement l'espèce particulière de rayons colorés qui l'aurait impressionné; ce qui aurait conduit à une représentation lumineuse des objets doués de leurs couleurs propres. Des expériences faites depuis longtemps par les physiciens ont appris qu’il n'y a pas une telle correspondance entre la couleur que les rayons impressionnants produisent dans notre œil, et la couleur de la lumière émise par la poudre impressionnée; seulement, il n'est pas sans probabilité qu'une même poudre s’impressionne le plus vivement dans les rayons dont la réfrangibilité est analogtic à celle de la lumière qu'elle peut émettre. M. Daguerre parvint en effet à trouver des exemples de cette affection spéciale du corps calciné, pour telle ou telle espèce de radiation, accompagnant une lumière colorée définie; mais il sentit que l'accord de couleurs, entre la lumière impressionnante et la lumière phosphoriquement émise, était impossible à obtenir en général; de sorte qu'il limita sa rechcrche à la reproduction fidèle des tons et des contours par des nuances d'intensité d'une teinte unique: problème déjà bien assez difficile, et qui est précisément celui qu'il à aujourd'hui résolu avec une si admirable perfection. A-t-il continué d’y faire servir en quelque chose l'incroyable impressionnabilité des substances phosphoriques, si non pour tracer, du moins pour définir l’empreinte? Nous l'ignorons absolument: aucun moyen ne serait assurement plus rapide, si ses effets pouvaient être fixés.

L'intermédiaire d'un opticien qui travaillait pour M. Niepce et pour M. Daguerre

JI. Daguerre leur avait appris qu'ils porsuivaient tous deux la même cherche; ils commencèrent alors une correspondance amicale, dans laquelle ils se communiquaient leurs espérances, non leurs procédés. En 1827, M. Niepce allant en Angleterre connut M. Daguerre en passant par Paris; mais la complète réserve de l'un et de l'autre, sur leurs procédés, est attestée par des lettres que M. Niepce écrivit à M. Daguerre pendant ce voyage, et que l'auteur du présent article a vues. M. Niepce y raconte les démarches infructueuses qu'il avait tentées près de la Société Royale de Londres, pour la déterminer à faire l'acquisition de son secret, dont il montrait seulement les résultats, très-imparfaits encore, comme objet d'art. Et l'on ne peut blâmer cette iliustre compagnie de n'avoir pas accepté ce marché, dont l'utilité pour la représentation des objets naturels, ou pour l'extension des connaissances physiques, devait paraître fort douteuse, d'après des indications si bornées. Nous en pouvons juger par le peu d'intérêt qu'excitait à Paris même, et nous ajouterons que méritait, une épreuve donnée depuis par M. Niepce à l'opticien dont j'ai parlé, et qu'on a vue pendant plusieurs années chez lui. C'était un calque très-imparfait d'une gravure, obtenu par application. Mais ce qui doit bien plus surprendre, c'est qu'un savant anglais, M. Bauer, auquel M. Niepce avait laissé alors quelques-unes de ces copies, ait cru pouvoir avancer qu'elles étaient toutes aussi parfaites que les dessins actuels de M. Daguerre, dont il n'avait aucune connaissance personnelle. M. Daguerre a conservé une de ces épreuves, que lui avait donnée alors M. Nipce, pendant ce voyage même. C'est aussi un simple calque de gravure, obtenu par application. Nous l’avons vue; et nous pouvons dire qu'il n'entrerait dans l'esprit de personne, de la mettre, sous aucun rapport, en comparaison avec les dessins, d'après nature, obtenus par la chambre noire, que nos plus grands artistes ont vus avec un étonnement mêlé d’admiration.

A l’époque dont nous parlons (1827) Daguerre n'avait encore employé que les compositions phosphoriques et les papiers impressionnables, preparés par un procédé chimique dont il nous a donné depuis communication. Comme le principe théorique de cette préparation est le même qui a servi pour obtenir les diverses espèces de papiers sensibles, proposés en Angleterre et en France, je la rappellerai ici, telle que M. Daguerre nous l'a communiquée, avant que ces dernières fussent connues.

Sur du papier salis colle on verse de l’éther chlorhydrique, qu'un séjour de quelque temps dans un flacon en partie rempli d'air a légèrement acidifié. Quand l'étherr est évaporé, et que le papier n'est plus humide, on y étend avec un pinceau-brosse, en couche aussi égale que possible, une solution aqueuse de nitrate d'argent, contenant une partie en poids de nitrate pour une ou deux d'eau. Cette opération doit se faire dans l'obscurité; et l'on y laisse aussi le papier jusqu'à ce qu'il soit sec. Alors il est blanc; mais, si on le sort au jour, en lui donnant l'aspect du ciel, et qu'on l'expose ainsi à la radiation atmosphérique , même sans soleil, il s'impressionnera en quelque secondes, et se colorera d'abord en violet, puis en noir, après plus ou moins de temps. Diverses préparations chimiques appliquées ensuite, fixent les modifications qu'il a subies, et le rendent ultérieurement non impressionnable.

La théorie de ce procédé est telle qu'il suit. D'abord l'éther nettoie le papier et ouvre ses pores: puis, la petite quantité d'acide chlorhydrique qu'il contient se combine avec la chaux renfermée dans la pâte. Alors, quand on y verse le nitrate, ce sel se décompose; et il se forme, ou du moins on suppose qu'il se forme aussitôt un chlorure d'argent, qui est impressionnable par la radiation. Mais, ce qui prouve qu'il y a en outre, dans cette réaction, quelque chose qu'on ignore, c'est que la preparation précédente est incomparablement plus impressionnable que ne l'est le chlorure seul immédiatement appliqué; et elle conserve cette supériorité même après plusieurs mois, lorsque le papier est ainsi devenu sec: seulement sa sensibilité s'affaiblit. Un habile physicien anglais, M. Talbot, qui, depuis l'année 1834, avait aussi cherché à fixer les images de la chambre noire, sans savoir que M. Daguerre s'occupât de cette recherche, avait trouvé de son côté un papier sensible qu'il préparait d'après un principe absolument pareil. Seulement, au lieu de le laver d'abord avec léther acide, il l'imprégnait d'une solution de chlorure de sodium (sel marin), le faisait sécher au feu, et y versait ensuite le nitrate d'argent dans l'obscurité. On peut remplacer le chlorure de sodium par le muriate de chaux avec un égal succès. Le principe de l'opération consiste toujours à donner au papier les éléments nécessaire, pour la formation d'un chlorure d'argent, qui s'opèrce par la décomposition du nitrate1([i]). Mais, puisque le chlorure formé noircit sous l'influence de la radiation, et d'autant plus vivement qu'elle est plus intense, des papiers ainsi préparés reproduisent inévitablement les clairs par des ombres et les ombres par des clairs: ce qui est un inconvénient capital pour la représentation des objets naturels, ou même pour la répétition des gravures. L'inversion peut se détrurire, en se servant de la première empreinte pour en former une seconde, qui offre alors les clairs et les ombres à leur vraie place; mais cette seconde opération affaiblit encore la netteté du dessin produit par la première. On l’évite, comme l'a fait M. Lassaigne, en faisant d’abord noircir complétement, par la radiation, le papier couvert d’une couche de chlorure d'argent; puis l'imprégnant, lorsqu'il est sec, d’une solution faible d'iodure de potassium qu'on y verse dans l'obscurité. Cet iodure décompose le chlorure; mais plus rapidement sous l'influence de la radiation que dans l’obscuscurité. Alors, quand le papier revêtu des deux substances est sec, on y applique la gravure que l'on veut copier, ou l'objet naturel dont on veut obtenir la projection. Le chlorure se décomposant beaucoup plus dans les parties traversées par la radiation que dans celles où elle est interceptée, celles-ci se tracent en noir, les autres en clairs, conformément à leur distribution naturelle; et, l'image obtenue, on la fixe, en rendant le papier insensible.

Mais, de quelque manière qu'on s'y prenne, en opérant ainsi avec des papiers impressionnables, soit par inversion, soit par double décomposition, l'empreinte définitive exige toujours beaucoup de temps pour se former, même par application immédiate. On ne l'obtient ainsi, suffisamment distincte, qu'avec l'action directe des rayons solaires; et elle est nulle, ou presque nulle, si l'on opère sous l'influence de la radiation diffuse, dans la chambre noire. Comme c'était là l'objet spécial que M. Dagurre s'était proposé, et qu'il lui semblait seul utile à atteindre sous. le rapport de l'art, il renonça tout à fait à l'emploi des papiers impressionnables; et cessa même de s'occuper de cette recherche jusqu'en 1829, qu'il s'associa avec M. Niepce.

Celui-ci lui ayant communiqué son procédé secret, M. Daguerre l'améliora, le rendit plus sensible, l'étendit à un grand nombre de substances auxquelles M. Niepce n'avait pas songé, et parvint à en obtenir des empreintes incomparablement plus parfaites. Mais, ainsi perfectionné, il était encore beaucoup trop lent pour éviter le déplacement des ombres portées. Par exemple, avec un objectif de six pouces de foyer, il ne fallait pas moins de douze heures pour obtenir une vue de paysage dans la chambre noire, dans les circonstances de radiation les plus favorables. Les empreintes s'opéraient sur des corps rigides, comme M. Niepce l'avait toujours pratiqué.

Enfin, du vivant de M. Niepce, M. Daguerre, occupé de ses tableaux du diorama, lui communiqua le principe du procédé actuel, comme devant offrir infiniment plus de rapidité. Il l'exhorta à l'étudier et à perfectionner ses applications, ce que M. Niepce consentit à faire, par déférence amicale plus que par l'espérance du succès. Après quelques mois de tentatives infructueuses il l'abandonna complétement, malgré les instances réitérées de M. Daguerre, et il finit par lui écrire que ce serait absolument s’égarer que de s’obstiner à poursuivre l'application d'un principe pareil. Ces lettres existent, et M. Arago les a vues.

M. Niepce mourut en 1833. M. Daguerre, découragé par ses avis, ne chercha pas d'abord à réaliser l'idée qu'il avait conçue. Il travailla par les anciens procédés pendant l'année 1834. Enfin, les recherches sans nombre qu'il avait faites pour les perfectionner, l'ayant convaincu qu’il était impossible de les rendre assez rapides pour les appliquer dans la chambre noire, seul but qui lui paraissait utile à atteindre, il revint encore à l’idée qu'il s'était faite et réussit à la réaliser en quelques points, de manière à en voir l'application assuré. Alors, quoique la mort de M. Niepce, et  sa renonciation à suive cette voie, pût paraître avoir mis fin aux engagements contractés pour un travail commun, M. Daguerre renouvela avec les enfants de M. Niepce le traité qu’il vait passé avec leur père et il consentit à les associer aux fruits de sa découverte, sous la condition seule qu'elle porterait son nom. Ayant repris ainsi les nouveaux liens qu'il croyait lui être imposés par son ancienne affection pour M. Niepce, il s'attacha obstinément à perfectionner, dans les plus minutieux détails, l'exécution du procédé dans lequel il avait si heureusement persisté; et c'est ainsi qu’à force de recherches, où l'art et la science se prêtaient constamment un mutuel secours, il est parvenu à produire en quelques minutes, par le seul secours de la réfraction optique, ces empreintes étonnantes que les savants et les artistes ont vues avec une inépuisable admiration.

La publicité européenne que reçu bientôt l'annonce de cette espècede prodige, détermina un savant Anglais très-distigué, M. Talbot, à déclarer que, sans être instruit des recherches suivies par M. Daguerre, il avait, de son côté, travaillé depuis 1834 à obtenir des empteintes de gravures, et même d'objets naturels, tant par application immédiate que par réfraction dans la chambre noire, en faisant agir la radiation sur des papiers impressionables dont il nous dévoila la préparation au moment même où M. Daguerre nous expliquait les siens, et avant qu’aucune communication de l’un  a l’autre eût été physiquement possible. D’ailleurs le cractère connu et honorable d M. Talbot aurait suffi pour donner toute coyance à ses assertions; comme aussi l’établissement possible des dates et  l’exhibition même des empreintes de M. Daguerre assuraient à la découverte de ce dernier une entière indépendance. De son côté l’illustre sir John Herschell, intéressé par l’annonce de ces résultats, comme par une sorte d’énigme scientifique, se mit aussi à inventer des papiers impressionnables, et en obtint des empreintes de gravures par application immédiate, sans savoir que son compatriote et son ami, M. Talbot, se fût depuis longtemps occupé du même sujet. Mais l'exposition que nous venons de faire des conditions générales d problème physique résolu par M. Daguerre, montre suffisamment que les procédés des deux savants Anglais, tout ingénieux et instructifs qu’ils sont eux-mêmes, ne sauraient rivaliser avec les siens pour la pureté des empreintes, non plus que pour l’étendue des applications. C’est aussi ce que sir John Herschell lui-même s’est plu à exprimer, lorsqu’il a pu dernièrement voir les dessins de M. Daguerre en passant par Paris ; et il l’afait evec une noblesse de sentiments qui ne nous a nullement étonnés de sa part. Nous sommes convaincus M. Talbot leur rendrait une aussi entière justice, s'il s’offrait une occasion semblable de les lui présenter.

Nous avons déjà fait remarquer, dans ce qui précède, combien la publication des procédés de M. Daguerre et des nombreuses expériences qu'il a dû faire pour les découvrir, étendra nos moyens de recherches sur les propriétéss spécifiques des radiations et sur leur pouvoir pour exciter les compositions, ainsi que les décompositions chimiques, d'un grand nombre de corps sensibles à leur influence. Déjà 1'attention de son succés a rappelée sur ce genre d'action, et les moyens nouveaux qu’ils nous a fournis pour l’étudier, ont servi à en faire constater plusieurs particularités importantes, tant par elles-mêmes que par les analogies qu’elles découvrent et par l’étendue des conséquences qu’elles´annoncent. Car ce n’est pas seulement aux corps inertes que s’appliquera ce mode d’expérimentation. Les éléments de la radiation générale que l’on peut ainsi distinguer et ainsi analyser, sont les agents qui excitent, peut-être même qui déterminent, une infinité d'opérations accomplies par les organes des êtres vivants, ou d'impressions qu'ils éprouvent; par exemple, les sensations de la vision, de la chaleur, les sécrétions et les absorptions superficielles, probablement bien d’autres encore que nous ignorons, parce que nous manquons de moyens physiques pour les étudier ou pourles rendre manifestes. Qui sait si les radiations de tous les corps ignés, célestes ou terrestres, sont de même nature, ou si elles n’ont pas des propriétés spécifiques qui les rendraient aptes à influer différemment sur les corps, soit inorganiques, soit organisés ? et si leur essence était diverse, la résultante de leurs influences, en chaque point de l’espace, n’y produirait-elle pas des phénomènes divers dont nous ressentirions nous mêmes les variations, soit quand de nouveaux astres pénètrent notre système planétaire, soit par le mouvement immense qui très-vraisemblablement transporte, à notre insu, ce système à travers diverses régions de l’univers ? ne dirait-on pas que la science donnerait ici quelque apparence de realité à ce préjuré antique, queles astres influent sur nos destinées !

BIOT



([i]) 1 M. Talbot a remplacé récemment le chlorure de sodium par du bromure de potassium, ce qui détermine la formation d’un bromure d’argent. On obtient ainsi des papiers encore plus impressionnbles.

quinta-feira, 17 de junho de 2010

L’ARTISTE

1839
L’ARTISTE
2e Série,
Tome III,
17e Livraison
Pag. 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283
BEAUX-ARTS
LA DESCRIPTION
 DU
 DAGUÉROTYPE
 
Cétait, lundi passé, grande fête à l'Académie des Sciences: il y a déjà long temps que, pour l'intérêt du public pour l'utilité des travaux, pour tout ce qui donne de la vie et de la considération à un corps savant, l'Académie des Sciences a laissé de bien loin sa sœur aînée, l'Académie Française. Le public, qui s'inquiète peu de celle-ci, s'occupe beaucoup de celle-là; il veut savoir ce qu'elle fait, ce qu'elle pense; il suit avec une inquiétude croissante ses travaux de chaque jour. C'est qu'aussi, pendant que l'Académie Française est livrée à des écrivains émérites, ou bien à quelques grands poëtes isolés, qui n'ont pas besoin d'appartenir à un corps quelconque pour opérer de grandes choses, l'Académie des Sciences appartient au contraire à des hommes dans toute la force de la science et de l'étude, qui ont senti le besoin de se réunir, afin que chacun d'eux pût mettre en commun ses patientes et infatigables découvertes. En un mot, l'Académie Française est un corps qui se repose, l'Académie des Sciences est un esprit qui travaille, qui invente et qui marche en avant.
Naturellement donc, l'Académie des Sciences avait été choisie comme l'arbitre de cette grande découverte qu'on appelle le Daguérotype. La Chambre des députés, qui ne demandait pas mieux que d'être plus généreuse, avait acheté, comme vous savez, au prix de quatre mille francs de pension pour M. Niepce, et de six mille francs de pension pour M. Daguerre, le procédé qui porte le nom de M. Daguerre: maintenant, c'était à M. Daguerre à dire à la France, à l'Europe, par quelle suite d'inventions, et par quels moyens certains il était parvenu à fixer ainsi sur une planchc de métal poli, toutes les visions de la chambre obscure. Nous pensions même qu'à ce sujet M. Daguerre serait venu en personne pour démontrer à l'Académie, et les pièces à la main, cette science dont il est l'inventeur. C'eût été là, sans nul doute, une chose de bon goût, que de prendre cette invention à sa naissance, de nous la faire touchcr au doigt, de nous montrer d'abord toute nue la plaque de cuivre, de la charger ensuite de tout ce qui doit la recouvrir, et de nous la rendre enfin, séance tenante, toute chargée des plus doux aspects. Car, Dieu merci! à l'Institut les paysages ne manquent pas, c'est là au contraire un des plus beaux points de vue qui soient au  monde, et placée là, la chambre obscure n'aurait qu'à choisir.
Mais vous verrez que M. Daguerre n'aura pas osé démontrer lui-même cet admirable procédé qu'il a cédé a la France. Cette fois encore l'inventeur du Daguérotype s’est placé à l'ombre savante et bienveillante de M. Arago, qui, dans toute cette affaire, lui a servi de tuteur et de parrain. Nous nous attendions à voir M. Daguerre, sa chambre obscure, sa planche de cuivre et tous les détails de cette fabrication, dont le soleil est l'agent principal; nous avons vu M. Arago, qui est venu lire un rapport; nous avons eu le facundia prœsens, c'est-à-dire la description à la place de la démonstration. Or, nous ne savons pas de description, même la plus vive, la plus éloquente, la mieux faite, même la description de M. Arago, qui puisse valoir la démonstration d'un homme qui vous dit: - J’etais là, telle chose m'advint.
Une fois revenu de ce premier instant de déception, nous avons écouté attentivement, comme c'était notrc devoir, le rapport de M. Arago. Ce rapport est plein de science, et assez clair, eu égard à l'assemblée savante pour laquelle il est écrit. A quelle époque fut-il reconnu que la lumière avait une action directe sur les couleurs? M. Arago lui-même ne saurait nous le dirc. Le nitrate d'argent, blanc à l'instant de sa formation ,et que la lumière noircit si vite, était à peine découvert à la fin du seiziéme siécle. En ce temps-là, la chimie, ce grand art qui doublera le monde, était dans son enfance. Nul ne savait encore tirer d'un fait découvert toutes les conclusions possibles. A peine en 1802 deux chimistes, Wollaston et Ritter, ont-ils essayé de régulariser quelque peu cette action de la lumière sur les objets cxtérieurs. A force d'étudier les rayons solaires, ils en découvrirent quelques-uns capables de produire dans les corps certain changement, de favoriser certaine action physique: mais là s'arretèrent ces études premières. Aucun chimiste n'avait songé à profiter de l'aclion décolorante de la lumière, pour tracer même les images les plus fugitivcs. Ce ne fut que bien plus tard, qu'un physicien nommé Charles, qui faisait de la physique amusante, à peu près comme M. Comte, parvint à retracer quelques silhouettes incertaines sur un papier qu'il avait cnduit d'une substance dont le secret s'est perdu; et cncore cette image, prise à la dérobée, pour ainsi dire, était bien vite effacée; un rayon de soleil la plaçait là, un autre rayon de soleil l'emportait on ne sait où.
Mais, cependant, l'invention de Charles, le physicien, devait avoir ses conséquences. Charles était parvenu, comme nous le disions tout a l'heure, à représenter la masse noire des objets, il obtenait des profils. Un savant chimiste de Londres, nommé Wedgwood, s'appliqua à représenter le relief des corps, mais le relief transparent, à la façon des dessinateurs, avec la suite non interrompue de clairs et d'ombres; il employa à cet effet la chambre noire, et sur une peau préparée avec du nitrate d'argent, il obtint une espèce d'image en sens inverse de la nature, c'est-à-dire que plus le point était lumineux, et plus le nitrate d'argent devenait noir; en sorte que les parties noires arrêtaient les rayons lumineux, pendant que le papier de l'estampe, resté blanc, représentait, en effet, les parties ombrées sur lesquelles le soleil avait moins d'action. Le résultat était tout à fait le même que si, en tirant une gravure, vous mêliez au corps gras du blanc de plomb, au lieu de noir de charbon, et que si sur cette planche ainsi recouverte, à la place d'un papier blanc, vous placiez un papier noir. Ainsi peu à peu, et par une suite d’cxpériences dans lesquelles, il faut le dire, le hasard a bien sa grande part, on arrivait à des images plus parfaites; la base principale du procédé, c'est-à-dire le nitrate d'argent, était trouvée; mais il restait encore un autre problème bien autrement difficile à résoudre. Ce problème, le voici: Une fois l'image, quelle qu'elle soit, masse sans ombre ou masse ombrée, silhouette ou dessin, placée là par un jeu de la lumière, par un caprice vacillant du soleil, comment faire pour fixer ce même dessin, pour le mettre à l'abri de la lumiéèe qui l'a crée, pour dirc au soleil, et a propos d'une si petite chose, cc que disait Josué: Sol. sta?
C'était déjà beaucoup que d'être parvenu à se proposer un pareil problème. Le premier qui eut cet honneur cst un M. Niepce, que M. Daguerre reconnaît comme son collaborateur, et dont la famille a eu sa part bien méritée dans la récompense nationale. Cc fut en 1814 que ce M. Niepce entreprit ces longues recherches, auxquelles il devait renoncer plus tard. Avouez cependant que c'était là un singulier moment pour s'occuper de pareils détails, et que la science réserve à ses favoris bien d'autrcs récompenses que ces récompenses d'argent votées par des chambres avares. Quoi ! toute l'Europe est en feu, toutes les libertés sont remises en question aussi bien que toutes les monarchies, le monde entier tombe sur la France, nul peuple ne sait plus où il en est, et dans ce désordre général, voilà qu'un homme s'occupe uniquement à fixer sur une plaque de cuivre un peu plus que rien, une ombre, un nuage qui passe, l'eau qui coule! Quel homme heureux!
Que lui font, à cet homme, la bataille de Waterloo et l'empereur qui tombe? Il a été bien heureux aujourd'hui: il a fixé sur sa planche, pendant deux heures, l'ombre éphémère d'un grain de sable. Quant au progrès du dessin, le dessin faisait des progrès chaque jour. Chaque jour les images devenaient plus nettes, plus fermes; la nature n'était plus renversée comme dans les essais de l'Anglais Wedgwood; mais, au contraire, cette fois chaque chose était à sa place, les clairs correspondaient avec les clairs, les ombres avec les ombres, les demi-teintes avec les demi-teintes. Ce n'était plus sur des peaux, comme faisait M. Wedgwood, mais sur du métal poli que M. Niepce recueillait ses dessins. Chose étrange encore, c'est que, sans le savoir, cet homme, M. Niepce, venait de découvrir une chose avec laquelle on a composé de nos jours deux cents fortunes, le bitume. Oui, ce même bitume dont nous avons fait du marbre, de la pierre, du fer, toutes sortes de matériaux irrésistibles à ce qu'on disait, M. Nepce le faisait dissoudre dans l'huile de lavande, et de cette dissolution inoffensive résultait un vernis, léger à ce point, que le soleil, enlevant l'huile essentielle qui le couvrait, donnait à cette matière blanchâtre toutes les formes du dessin. Mais comme vous pouvez le croire, cette image était très-faible;il fallait moins qu'un souffle pour l'enlever. Cependant M. Niepce, toujours avec ce bonheur du hasard qui a produit de grandes clloses quelquefois, finit par imaginer que puisqu'il y avait eu action chimique inégale sur diverses parties de l'enduit, un même réactif ne pouvait pas suffire, et qu'on en devait trouver un autre qui fît ressortir, par une coloration plus marquée, toute cette différence. A cet effet, il plaça sa plaque dans un mélange d'huile de lavande et de pétrole. Aussitôt, les parties frappées par le soleil restaient intactes pendant que la partie de l'ombre se dissolvait et laissait le métal à nu. Vous aviez ainsi un petit tableau dans lequel les clairs étaient formés par une couche de poudre blanche; plus la lumière avait été vive, et plus les grains étaient serrés entre eux, la poudre s'en allait toujours en décroissant ainsi, jusqu'à ce que, l'ombre aidant, il n'y eût plus que le métal de la plaque. A proprement dire, ce n'était pas un dessin, mais un relief.
Restait maintenant, pour arriver non pas à la perfection, mais à une certaine perfection, à donner à ce métal poli, non frappé du soleil, une couleur qui pût représenter des ombres; car la plaque métallique toute seule ne paraît noire que lorsqu'elle est exposée au jour dans un certain sens; il fallait, en un mot, revêtir d'un coloris quelconque les parties de ce métal dénudées. A cet effet, M.Niepce employa le sulfite de potasse, et même l'iode que vous allez retrouver tout à l'heure comme l'agent principal du procédé de M. Daguerre. Malheureusement, à peine eut-on trouvé le moyen de colorer le métal, qu'une autre difficulté se présentait. Bien que cette poudre de bitume fùt obéissante à l'action du soleil, l'action du soleil était lente encore; si bien que le paysage changeait souvent, avant même que le soleil ne l'eût gravé sur cette poussière. C'était là un inconvénient immense. Ce dessin, qui, pour bien faire, devait être improvisé avec la rapidité de l'éclair, perdait toute sa vivacité, toute sa vigueur, à attendre le bon plaisir de quelques atomes de poussière. Ce dessin devenait flou, pour nous servir d'une expression qui rend bien notre idée.
Or, justement, ce qui fait la beauté et la toute-puissance du Daguérotype, c'est que, reflétée sur cette glace avide et crochue, l'image reste ; en un mot, on peut dire du Daguérotyppe : aussitôt pris, aussitôt pendu.
Aussi M. Niepce, à qui on ne peut refuser une grande facilité d'invention, pour obvier à cet inconvénient avait-il renoncé tout d'abord à représenter la mobilité extérieure; il se contentait de reproduire des gravures, et véritablement il était parvenu à copier de la manière la plus fidèle les traits les plus fins de Rembrandt.
Bien plus, et voilà encore un problème important, le plus important de tous, et dont M. Daguerre fera bien de s'occuper, car tout l'avenir, toute l'utilié! du Daguérotype est là: ce digne M. Niepce, parvenu à ce résultat d'une gravure calquée fidèlement, avait imaginé de préparer sa planche de façon a tirer plusieurs épreuves de cette image fidèle, dont le soleil est le complice. II ajoutait, dans la préparation de sa planche, un peu de cire au bitume. Puis, l'image obtenue comme à l'ordinaire par l'action du soleil, il faisait fondre la cire à une douce chaleur, il faisait mordre la planche par un acide, et il était parvenu ainsi à une espèce d'aqua-tinte d'un effet peu satisfaisant, mais qui, cependant, indique déjà un progrès à venir. En effet, il serait bien important que les belles planches du Daguérotype, d'un fini sans égal, d'une exactitude parfaite, dans lesquelles la lumière joue le rôle principal, pénétrant dans les moindres recoins comme un sentiment de joie pénètre dans l’âme humaine, ne restassent pas ainsi à l'état de type unique, mais, bien au contraire, qu'elles fussent reproduites comme par la main du graveur. Je sais bien que la planche, ainsi chargée de ces fins contours, qu'on prendrait pour le souffle de quelque fée inspirée, deviendra la propriété du graveur; mais quel est le graveur de ce monde, s'appelât-il Raphaël Morghen, qui puisse jamais reproduire, même de loin, cette perfection idéale, ce ciel, ces eaux, ces forêts, toute cette nature vivante et sereine, doucement éclairée par cette lumière élyséenne ? Que est, en un mot, le burin mortel qui osera jamais lutter avec les rayons colorés du soleil?
M. Niepce en était là de sa découverte et il se croyait arrivé à ses colonnes d'Hercule, quand il apprit qu'il y avait en France, quelque part, un autre inventeur de son espèce, nommé Daguerre, un de ces esprits curieux infatigables, peu savants, heureusement pour eux, et par conséquent bons à tout et prets à tout. Cette sorte d'inventeurs qui s'en vont au hasard, le nez levé et flairant dans toutes les directions les idées nouvelles, est la plus rare de toutes. Ne me parlez pas de ces inventeurs tout d'une pièce, qui suivent sans fin et sans cesse le même sentier, obstinés que rien ne dérange dans la route qu'ils se sont tracée, et qui arrivent souvent à l'absurde et à l'impossible, pour avoir voulu être de trop grands logiciens. Ainsi, dans la découverte du Daguérotype ce qui confond d'étonnement, c'est que cette découverte, qui tient aux recherches les plus délièes de la chimie. appartient a deux hommes qui ne sont chimistes ni l'un ni l'autre. Il en a été du Daguérotype comme de la vapeur, inventée par un ouvrier; comme du télescope, trouvé par un enfant; ceci soit dit à la honte de la science qui s'enivre de ses propres rêveries et qui s'aveugle a force de formules algébriques. Parlez-nous, au contraire, des inventeurs prime-sautiers: ceux-là ne se tiennent guère dans la droite ligne, ils ne s'appuient pas dans leur course sur cette béquille qu'on appelle l'algèbre; mais, au contraire, ils s'en vont çà et là par monts et par vaux, n'obéissant qu'à leur caprice du moment, cherchant l'idée comme les compagnons de Pizarre cherchaient l'or. Quand donc M. Niepce entendit parler de M. Daguerre, et M. Daguerre de M. Niepce, a l'instant même où ils se trouvaient arrêtés l'un et l'autre au milieu de leurs découvertes réciproques, ils se hâtèrent d'aller au-devant celui-ci de celui-là. Ils firent à proprement parler comme ces deux jolis enfants de Charlet: Donne moi dequoi que t'as, je te donnerai de quoi que j'ai. - Comment vous y prenez-vous, disait Daguerre, pour obtenircette poussière sur laquelle le soleil mord si lentement? - Je pile du bitume, disait M. Niepce. -  Mais, disait Daguerre, votre bitume de Judée n'est pas assez blanc pour les clairs; si nous essayions du résidu que laisse l'huile de lavande, quand elle est distillée? ce résidu produit en effet une poudre plus fine, plus blanche et plus attaquable par la lumière. - Je le veux bien, essayons de votre résidu, répondait M. Niepce. En effet, le résidu de lavande fut substitué au bitume, et M. Niepce laissa le bitume a qui en voulut faire des millions plus tard.
Un autre jour, ils avaient entre eux cette conférence:
- Il me semble, disait M. Daguerre à M. Niepce, que votre façon d'étendre sur la planche cette mixtion de bitume et d'huile de lavande, par tamponnement etcomme s'il s'agissait d'une planche d'imprimerie, nous donne une surface trop inégale, et que par conséquent le soleil ne peut pas mordre sur cette surface d'une façon uniforme. Eh bien! j'ai trouvé, moi, un moyen d'obtenir une couche uniforme: par exemple, dissolvons notre résidu dans l'éther, étendons cette dissolution sur la plaque horizontalement couchée; vous comprenez que nous aurons une surface aussi plane que possible. Ceci fait, nous ferons élaborer l'éther par la vapeur, et notre poussière sera intacte.
- Véritablement votre invention est bonne, répondait M. Niepce; essayons-en.
Un autre jour, Daguerre, qui ne voulait pas être en reste avec son collaborateur, revenait à la charge, et il disait à M. Niepce émerveillé: - Voyez-vous, j'ai bien réfléchi à votre mélange d'huile de lavande et de pétrole; il est très-vrai que notre dessin achevé, nous neutralisons ainsi les parties attaquables par la lumière, mais notre procédé est encore bien incomplet. Le dissolvant ne s'attaque pas également à toutes les parties, il retranche souvent ce qu'il devrait respecter, souvent aussi il respecte ce qu'il devrait enlever. De cette facon, nous ne sommes pas sûrs de nos ombres et de nos clairs. Eh bien ! j'ai imaginé de remplacer votre mélange d'huiles par une vapeur... La vapeur sera égale sur toutes les parties du tableau; elle aura la même force sur cette surface qu'elle doit dominer. - Par le ciel ! vous avez raison encore cette fois, s'écriait M. Niepce. Et ils sautaient au cou l'un de l'autre, ivres de joie, comme des chercheurs de monde qui rencontrent enfin quelques vestiges d'une terre inconnue, dans l'immense Océan.
Cependant, tout Paris s'en allait au Diorama pour admirer la vallée de Goldau ou l'église Saint-Étienne-du-Mont à l'heure de minuit, ou le Port de Gand, et tous ces chefs-d'oeuvre populaires dans lesquels M. Daguerre essayait, en se jouant, quelques-unes de ses découvertes sur la 1umière.Tout Paris félicitait l'auteur du Diorama. Mais lui, à peine faisait-il attention a ces louanges; il avait bien autre chose en tête que la vallée de Goldau ou l'église Saint-Étienne-du-Mont a l'heure de minuit ! C'est que, malgré tous les perfectionnements qu'ils avaient apportés à eux deux dans cette grande découverte,et avec la nouvelle substance introduite par M. Daguerre, bien des tentatives restaient encore à faire dont nous ne vous dirons pas l'histoire; car savez-vous que c'est là une tâche pénible, et qu'il faut bien de l'attention pour suivre ainsi dans ses moindres développements le rapport de M. Arago?
Nous arriverons donc, s'il vous plaît, et tout de suite, au Daguérotype, tel qu'il a été fixé, arrêté et convenu par les deux inventeurs jusqu'à ce jour; nous disons jusqu'à ce jour, car c'est là tout à fait un art dans l'enfance; une préparation merveilleuse, il est vrai, mais entourée de tant de dificultés de tous genres, qu'il est presque impossible de s'en servir. II en est de ces sortes d'expériences, passez-moi la comparaison, comme il en est des drogues employées dans la médecine. Telle drogue est simple, naturelle, d'un usage facile, dont toutes les bonnes femmes peuvent se servir, la guimauve, le bouillon blanc, le chiendent: tels autres remèdes, au contraire, qui sont très-utiles en médecine, exigent un très-habile préparateur, la morphine, par exemple; eh bien! le Daguérotype, tel qu'il est aujourd'hui, est à l'état de morphine; très-peu de gens et très peu de fortunes pourront s'en servir. Il s'agit maintenant de l'amener à l'état de chiendent et de le mettre à la portée de tous.
Donc ici l'expérience commence, et ce sera, nous l'espérons du moins, comme si elle se faisait sous vos yeux. Vous prenez une plaque d'argent, ou, ce qui vaut mieux, une plaque de cuivre argenté; mais cette plaque même demande déjà toutes sortes de préparations indispensables autant que nombreuses. Il faut lui donner le dernier poli à l'aide d'une poudre qu'on indique, il faut la décaper avec l'acide nitrique détrempé d'eau; ce décapage exige des soins infinis; pour aider à l'action de l'acide, le foulement doit se faire dans plusieurs sens; il faut, en un mot, sur cette planche nue, entasser toutes sortes de petites précautions si minutieuses, qu'il serait important avant tout, et pour rendre l'emploi de cette plaque quelque peu universel, de la livrer toute préparée aux amateurs.
Supposons cependant que rien ne manque à cette surface, il la faut exposer alors à l'action de la vapeur d'iode. Pour que cette vapeur d'iode produise tout son effet, il faut bien prendre garde que quelque poussière ne vienne se fixer contre la plaque, sinon l'opération serait tout à fait manquée. Puis, d'autres précautions non moins minutieuses que les précédentes pour que la précipitation de la vapeur sur la plaque soit parfaitement uniforme. Ainsi votre boîte iodée sera hermétiquement fermée: l'iode sera au fond de la boîte, et séparée du métal par une gaze légére afin de tamiser la vapeur; la tablette de plaqué sera encadrée dans une petite bordure rnétallique, précaution difficile autant qu'indispensable, qui empeche la vapeur d'iode de se condenser en plus grande quantité sur les bords que dans son centre, pour que la lumière agisse également sur les bords et près du centre. Dans tous les cas, cette couche d'iode sublimé ne doit pas atteindre à la millionième partie d'un millimètre. Calcule cette pellicule, si tu l'oses! Vous voyez déjà que de chances incroyables de ne pas arriver à cette préparation. Pourtant nous supposerons encore cette fois que cette seconde opération a réussi aussi bien que la première. Hâtez-vous, maintenant que votre plaque est chargée d'une légère teinte jaune, de la couvrir d'une enveloppe en bois, et prenez bien soin que le moindre rayon de soleil ne pénètre dans l'enveloppe, car à un vingtième de seconde, tout serait à recommencer.
Il est bien entendu que vous avez près de là une chambre noire toute prête, que vous avez choisi à l'avance votre point de vue. A cette place déterminée vous placez votre plaque, tout d'un coup l'enveloppe tombe, la plaque reste, le jour et l'ombre l'enveloppent également. Retenez votre haleine et votre coeur: le miracle s'opére en ce moment !
Mais à ce moment même d'une solennité si grande, car il ne s'agit rien moins que d'un portrait spontané de la nature vivante, une autre difficulté très-grande se présente, et pour la surmonter il vous faudra bien de l'habitude, bien du tact, bien du génie. Par exemple, combien de temps faut-il que cette plaque reste là? A quel instant, à quelle minute, à quelle seconde, que dis-je! à quel demi-quart de seconde l'opération sera-t-elle accomplie? Combien de temps faut-il au soleil pour agir avec toute sa puissance sur cette millionième partie d'un millimètre de vapeur d'iode? Il n'y a que Dieu qui le sache et peut-être M. Daguerre; car les soleils se ressemblent si peu, il y a tant de différences entre les heures du jour! Un petit vent qui souffle, un nuage qui passe, en voilà assez pour dérouter les rayons qui tombent d'aplomb sur la chambre obscure. Comment donc et quand donc saurons-nous que cette pellicule d'iode a tout à fait obéi à la lumière? A quelle heure du jour l'opération sera-t-elle plus facile? Est-ce midi, ou le matin quand le soleil se léve, ou le soir quand il se couche? En changeant de climat, en passant de Paris a Amsterdam, d'Amsterdam à Chandernagor, quelles ne seront pas les variations de la machine? Comment pourrons-nous prévoir les mille changements de l'atmosphère s'opposant sans fin et sans cesse à l'action chimique du soleil? Oui, certes, vous voilà entre deux écueils: ou bien la lumière sera trop vive et elle dévorera sans rémission votre nuage d'iode, ou bien, pour vous trop hâter, vous retirerez votre plaque à peine touchée par la douce chaleur qui la doit animer, comme faisait le soleil pour la statue de Memnon. Ce sont là encore, j'imagine, de bien grands obstacles, et il sera bien riche celui qui aura la valeur de toutes les opérations manquées à cet instant.
J'admets encore, vous voyez que nous faisons bon marché de nos objections, que l'expérimentateur est habile, ou, ce qui revient au même, qu'il est heureux. Quand il pense que son fiat lux est accompli, aussitôt et en toute hâte, il remet sa plaque dans l'enveloppe, ce qui est une autre condition sine qua non du succès. Prenez bien garde en effet, curieux que vous êtes, aprés toutes ces tentatives si compliquées, de vouloir jouir tout de suite du fruit de vos travaux et de vos sueurs, on peut le dire! car un coup d'œil, un simple coup d'œil jeté sur la plaque iodée, peut tout perdre. Il faut que le soleil frappe tout d'un coup; et ni avant ni après la mise en scène de cette préparation, le soleil n'a plus rien à y voir. D'ailleurs, je vous en préviens, vous auriez beau regarder de tous vos yeus, de toute votre âme, sur cette plaque qui vous a coûté tant de soins: la plaque n'a rien encore à vous montrer. C'est une simple surface plane ou rien ne vit, ou nulle image ne se détache, où tout est mort, même le fleuve qui court. Arrivé à cet instant de sa composition définitive, notre métal est en core à l'état d'une simple page blanche sur la table de M. de Lamartine. La page blanche attend l'inspiration du poëte, la passion qui doit venir. La plaque iodée n'est guére plus avancée que la page blanche sur la table d'un grand poëte. II est bien vrai qu'un paysage est la, couché dans cette ombre, et que cette obscurité brillante recouvre des ruines, des villages, des forêts; mais ces ruines, ces forêts, ces villages, ces doux aspects dont vous avez voulu emporter l'image volante comme on emporte le souvenir de quelques parfums évanouis, ils sont enfouis dans cette couche d'iode comme l'Apollon du Belvéder était enfoui dans lemarbre. II ne s'agit plus que de l'en faire sortir, ce qui est une autre préparation encore plus difficile que les trois premières, s'il se peut. Passons donc à la quatrième opération.
Cette fois encore M. Daguerre, qui a eu recours à la vapeur comme dissolvant, a recours à la vapeur pour faire apparaître ces images encore ternes et perdues dans ce clair-obscur. Ainsi donc ceci sera l'oeuvre de deux vapeurs combinées l'une et l'autre dans une incroyable ténuité. C'est bien mieux que du vent tissu. comme disent les Arabes: c'est le souffle dessiné. Cette opération est difficile. M. Daguerre a remplacé la vapeur d'huile essentielle par la vapeur du mercure, mais en même temps il a fallu changer tout à fait la position de la plaque sous la vapeur de l'huile essentielle. Quand il s'agissait d'opérer la dénudation sur un enduit bitumimeux, la plaque était placée horizontalernent , l'enduit en bas, - au-dessus de la vapeur. - Cette fois il est nécessaire, pour que la vapeur du mercure agisse convenablement, que la planche soit inclinée sous un angle de 45 degrés environ. Ne demandez pas à M. Daguerre pourquoi ces choses et non pas d'autres? il n'en sait rien. Ne le demandez pas à l'Académie des sciences tout entière, l'Académie des sciences n'a rien à vous dire. Ceci est en dehors de ses études, de ses priviléges. de ses prévisions. Ceci ne s'appuie sur aucune raison logique. Tout ce que nous savons, sans pouvoir en dire le pourquoi, c'est qu'autour de cette troisième boîte, est placée une petite cuvette remplie de mercure, c'est qu'il nous faut un angle de 45 degrés; un degré de plus, un degré de moins, et l'expérience est perdue, tout comme si un grain de poussière s'était attaché à la plaque à la première opération, tout comme si le plus petit jour avait touché la plaque à la seconde. Dans cette opération du mercure, vous placerez votre planche dans une boîte hermétiquement fermée. Au fond de la boîte se tient un petit thermomètre dont le bout plonge dans le mercure. II faut que le thermomètre monte à 50 degrés;à cet instant l'évaporation du mercure commence, et chaque parcelle du métal en ébullition va s'attacher justement à la place où s'est déjà attachée la lumière. Merveilleux instinct de cette vapeur! Incroyable rapprochement de ces deux agents si peu semblables, la lumière du ciel et le mercure! Encore une fois, ceci est bien honteux pour la science même, qu'un pareil problème reste sans explication. Toujours est-il qu'à ce moment du phénornène, si vous regardez par un verre de la boite, vous aurez enfin le premier fruit de toutes les peines que vous vous serez données. A mesure que la vapeur se dégage et qu'elle éclaire les parties bitumineuses de votre planche restées dans l'ombre, vous voyez apparaître enfin, et comme par enchantement, le paysage que vous aviez rêvé. Souvent dans vos songes d'été, et dans un lointain lumineux, vous ont apparu quelques-unes de ces scènes riantes toutes remplies de jeunes femmes, de verdure, et de gygnes blancs sur les ondes, les scènes du Tasse dans les jardins d'Armide: à cet instant de l'opération, si vous regardez d'un œil attentif, au milieu de cette heureuse vapeur, l'effet est le même; la planche s'illumine d'une douce clarté; les jours se détachent de l'ombre; la vie se montre dans ces lignes encore incertaines; toutes les profondeurs de la lumière se révèlent une à une. Vous assistez, à proprement dire, à une création véritable, c'est un monde qui sort du chaos, monde charmant, accompli, cultivé, construit, chargé d'habitations autant que de fleurs. Oui, c'est là un solennel instant de poésie et da magie, auquel on ne peut rien comparer dans les arts.
Je vous en prie, ne criez pas encore victoire; votre triomphe n'est pas complet: l'œuvre est achevée, il est vrai, mais si vous n'y prenez garde, un brin de lumière passant légèrement sur cette révélation poétique va l'effacer d'un seul trait. L'image existe sur la planche, oui, mais à peu près comme le paysage existe sur les bords du lac; l'oiseau qui touche l'eau du bout de son aile emporte le paysage en chantant. Seulemnt, quand l'oiseau est parti, le paysage reparaît dans l'onde calmée. Au contraire, si la lumière emporte son œuvre fragile qu'elle a placée là, rien ne peut la faire reparaître. Il faut donc vous occuper au plus vite de fixer cette image éphémère, de la rendre inaccessible aux rayons du jour; il faut la forcer de renoncer à sa condition d'ombre, il faut en faire une ombre immobile et non changeante, une ombre stable, une glace qui conserve son reflet même quand l'image reflétée s'est envolée: voilà le nouveau problème, non moins difficile et non moins périlleux que les premiers.
Cette fois, vous enlevez de la planche la couche d'iode; ceci se fait à l'aide de l'hypo-sulfite de soude; après quoi vous passez votre planche à l'eau pure. La légère couche d'iode est tout à fait dissipée; de toutes les préparations étendues sur cette planche, il ne reste plus rien que l'image. L'image existe; mais cependant prenez garde que le moindre frottement ne l'enlève encore. Le pastel est aussi solide que l'huile, comparée à la fragilité de cette poussière, sur laquelle le soleil ne peut plus rien, mais que le souffle d'un enfant peut emporter. La poussière brillante qui s'attache à l'aile du papillon n'est pas plus facile à évaporer. Donc il peut se faire qu'après avoir traversé lentement toutes ces difficiles épreuves, cette douce image, si chèrement achettée, s'envole comme un vain son perdu dans l'air.    
Tel est le résumé de cette séance mémorable dans laquelle, il faut le dire, l'attente générale a été trompée: non pas que le résultat du Daguérotype ne soit une merveille, non pas qu'il n'y ait là une découverte sérieuse: mais les bons Athéniens de Paris, qui avaient acheté, la veille, ce secret, et qui croyaient l’avoir bien payé, ont été tout désappointés quand ils ont compris que, du moins jusqu'à nouvel ordre, ce secret-là n'était pas à leur portée. Ils étaient tout à fait comme un homme qui aurait acheté un violon de Stradivarius, et qui crierait qu'on l'a volé, parce qu'il ne sait pas jouer sur ce violon comme Paganini. Pour leur argent, ils s'attendaient à voir M. Daguerre lui-même opérer dans sa chambre obscure; mais M. Daguerre lui-même, grâce à ses précautions multipliées, ne peut jamais être sûr que son opération réussira du premier coup. Ils s'imaginaient qu'ils allaient se servir du Daguérotype comme ils se servaient de la roue de Colas ou du diagraphe Gavard, ces admirables instruments; vain espoir! à la place d'un appareil très-sirnple, d'un transport facile, peu coûteux, qu'il attendait, le public a rencontré une suite incroyable d'expériences, des détails infinis, des précautions minutieuses, toutes sortes d'obstacles, en un mot un long travail, qui gâtait singulièrement le facile plaisir qu'il se promettait. En vain M. Daguerre, par la bouche de M. Arago, a-t-il démontré l'authenticité évidente de ces expériences, toujours est-il résulté de ce rapport que le Daguérotype ne sera pas de longtemps encore un instrument populaire. Il demande une grande habileté,il exige une grande dépense: l'appareil entier ne coûtera pas moins de 400 fr.: chaque planche de métal en plaqué reviendra à 20 fr. 600 francs vingt-cinq paysages, c'est un peu cher, en supposant même que l'opération ne manquera pas une        seule fois sur vingt-cinq. Un artiste quelque peu habile se trouvant en présence de quelques-uns de ces heureux aspects qui saisissent l´âme fortement, aura bien plus vite fait de tirer son portefeuille, son crayon et son vélin, et d'esquisser le doux aspect, que de préparer la planche de cuivre. Je n'imagine pas que jamais l'idée de se servir du Daguérotype arrive à Decamps, à Cabat, à J. Dupré, à tous ces calmes amoureux de la nature qui s'en vont butinant à travers les bois et les campagnes; quant au vulgaire, à ceux qui n'ont jamais tenu un crayon, qui comprennent la nature sans pouvoir la rendre, qui sont peintres au-dedans de leur âme sans que nulle vapeur puisse faire sortir de leur âme le paysage qui l'obsède, ceux-là auront grand peine, j'imagine, à utiliser le Daguérotype. Dernièrement encore, un hardi voyageur s'il en fut, Combes, le même qui a parcouru l'Abyssinie, tout nu, un bâton a la main, voulant repartir pour ce royaume qu'il a découvert, avait retardé son voyage dans l'espoir qu'il pourrait emporter avec lui l'appareil de M. Daguerre. Plusieurs fois, sachant que je m'occupais avec amour de tous ces détails, il m'avait entretenu de son projet; mais, moi, je lui conseillais de partir; je pressentais toutes les difficultés qui allaient venir. Il est parti en effet, et il a eu raison; car, je vous prie, à quoi lui eût servi cette machine si compliquée? Il y eût dépensé le peu d'argent dont il pouvait disposer, il eût emporté, pour le moins, une centaine de plaques, représentant cent louis d'or; mais, une fois arrivé dans ces sables, sous cet ardent soleil, comment s'y serait-il pris, le pauvre diable, pour amener à bonne fin ces cinq opérations principales:
Nettoyer la planche:
2º Appliquer l'iode;
Placer la planche dans la chambre noire:
4º Faire apparaître l'image;
Laver la planche.
Cinq opérations lentes, difficiles, qu'un grain de sable, un rayon de soleil, l'hésitation d'une seconde, un millionnième de degré de plus ou de moins dans les matériaux employés, fait manquer tout à fait. Et ces planches, ainsi faites, comment les eût -il rapportées? Il a donc eu raison de partir, et je suis sûr qu'a cette heure il m'accuse de lui avoir donné un mauvais conseil, il regrette le Daguérotype, comme Decamps regretterait sa main droite, si on lui coupait la main droite. Si par hasard mon ami Combes vient à lire chez les Africains le rapport de M. Arago, il sera tout à fait consolé.
Maintenant, parce que le désappointement a été général, parce que c'est là un appareil d'un usage très-difficile, parce que, grace à Dieu, ni vous ni moi nous ne sommes pas devenus, en vingt-quatre heures, les plus grands dessinateurs de ce monde, parce qu'en un mot le Daguérotype ne peut être, jusqu'à nouvel ordre, qu'un charmant jouet entre les mains de quelques hommes patients, habiles, adroits surtout, et qui se soumettront à une étude toute spéciale de ces opérations si compliquées, est-ce à dire que MM. Niepce et Daguerre ne soient pas de grands inventeurs? Est-ce à dire que ces résultats ne soient pas merveilleux, incroyables, et que la France n'ait pas fait ce jour-là un présent inestimable à l'Europe savante? Non, certes, et nous serons les premiers, malgré les difficultés qui l'entourent, à reconnaître la toute-puissance de cette découverte. D'ailleurs, ceci est à peine le premier mot d'un grand problème, c'est une science qui commence, et dont l'Europe saura bien tirer toutes les conséquences. Le principe est trouvé, la lumière est domptée. Reste maintenant à faire en sorte que l'instrument devienne plus simple, que les résultats soient plus complets. Il faut que cet admirable dessin se puisse graver un jour, tel que l'aura fait le soleil; il faut que cette merveilleuse couleur, reflétée dans la chambre obscure, se  reproduise sur la plaque de métal; il faut, en un mot, à présent que nous sommes sur la voie, que nous arrivions au but, la représentation complète, entière, éclatante, du tableau de la chambre noire; il faut que le portrait soit facile: il faut enfin que la lune soit appelée à son tour, après le soleil, à nous dire quelle est sa puissance et sa chaleur. Vous voyez donc que de problèmes infinis cette découverte a révélés. C'est toujours, quoi qu'on fasse, l'histoire de la vapeur. On a commencé par en faire des marmites autoclaves: ces marmites autoclaves sont devenues des bateaux qui sans voiles et sans rames, malgré les vents et la mer, s'en vont de MarseiIle à Constantinople en huit jours.
Jules JANIN