1833 | L’ARTISTE Vol. V 1ª. Serie 15e Livraison Pag. 184 | DIORAMA. LA FORÊT-NOIRE. Pour la troisième fois depuis huit jours, je suis allé ce matin voir le Diorama. Aussi est-ce encore sous le charme du magnifique spectacle qui m'a été offert que je vous écris ces lignes. Mais, au lieu de ma prose, il faudrait la grande poésie de Byron. M. Daguerre nous donne aujourd'hui son plus beau chef-d'œuvre; jamais, jusqu'alors, malgré son immense talent, il n'avait poussé aussi loin l'imitation de la nature; jamais son pinceau n'avait fait des arbres dont les branches murmurent sous le vent de la nuit, des feuilles qui se balancent, et qui se montrent tour à tour luisantes ou sombres. Vous voyez tout cela. Quand vous entrez sous la coupole éclairée, l'immensité de la Forêt-Noire se déroule à vos yeux; la lune jette d'aplomb ses clartés que les arbres de la haute forêt rendent inégales; le chemin seul est éclairé d'une vive lumière. Là vous apercevez le cadavre d'une femme: c'est celui de la comtesse de Hartzfeld, qui vient d'être assassinée; au-dessous, à quelques toises, le chapeau galonné de son domestique et des traces de sang sur le pont d'un torrent, dont la rampe est brisée, attestent quelle résistance cet homme a faite pour défendre sa maîtresse. A gauche, un feu allumé par les bandits se consume lentement. C'est alors que vos yeux, familiarisés avec l'aspect du tableau, commencent à en découvrir toutes les beautés. Dans la plus lointaine perspective, la Forêt-Noire parsemée de quelques arbres rares permet de découvrir la grande chaîne des Alpes qui parcourt tout le littoral du Rhin; trois pics énormes, dont les interstices ont fait surgir des sapins et des mélèzes, la dérobent un instant à la vue, pour la laisser apparaître de nouveau, plus haute, plus vigoureuse, et semée des flancs à la crête de hêtres, de chênes et de sapins séculaires, qui viennent, en ondulations capricieuses, s'abaisser am pieds du spectateur. Puis c'est la lune qui semble s'être dégagée des nuages pour tout éclairer; l'étoile de Cyrus qui scintille, et dans les interstellaires quelques nuages blanchâtres qui glissent sur l'azur des cieux. En contemplant ces grandes choses, vous avez l'ame émue; on oublie la balustrade sur laquelle on est appuyé; on se croit transporté dans cette vieille et froide Allemagne; on craint de voir surgir à ses côtés les assassins! Cette vague lumière bleuâtre, cette légère teinte de brouillard qui se répandent sur tout le paysage, contribuent à rendre l'illusion plus complète encore. Puis c'est le ravin où l'on distingue l'empreinte des pieds, l'herbe touffue du chemin qui vacille, et plus bas le pont de bouleaux, le pont grossier jeté avec tant d'art sur le lit profond et desséché du vieux torrent! M. Daguerre n'est pas seulement peintre, il est poète, il comprend la nature dans ce qu'elle a de plus pittoresque et de plus effrayant; il est initié à tous les secrets de l'art, il possède toutes les inspirations. Il est bien malheureux qu'un tel artiste n'ait pas sa part dans les encouragemens du gouvernement, et que nous soyons toujours à la veille de nous le voir enlever par l'Angleterre, plus généreuse que nous pour les grands talens. |
- ACONTECIMENTOS - ANTOLOGIA – CRONOLOGIA – MISCELÂNIA - NOTÍCIAS - ... – SEC. XIX (Desde 1971, que tenho recolhido em diversas publicações e jornais de época, textos e informações diversas, de assuntos referentes à Fotografia, num período que limitei até ano de 1900,constituindo uma cronologia e antologia. Dada a enorme quantidade de informação que recolhi, este blog encontra-se em ainda organização.)
segunda-feira, 6 de setembro de 2010
1833 - L’ARTISTE
1833 - L’ARTISTE
1833 | L’ARTISTE Vol. V 1ª. Serie 17e Livraison Pag. 207, 208 | LE DIORAMA ET M. DAGUERRE Est-il vrai que le Diorama, cet établissement sans rival est près de nous échapper? Est-il vrai que M. Daguerre est forcé de porter dans un pays plus généreux son talent et ses conceptions d'artiste? Elle est donc bien profonde cette indifférence qui nous ronge, puisque nous souffrons, sans rougir, qu'un peuple voisin se pare et se glorifie de nos dépouilles ? M. Daguerre, par une activité qui tient du prodige, a pourtant fait se succéder au Diorama les vues les plus magiques; il a fait passer sous vos yeux les pays les plus eloignés; il vous aurait fait, je crois, parcourir le globe entier. Dans ce moment encore, il vous offre en même temps la Forêt-Noire et le tombeau de Napoléon, la vallée de Chamouny et Venise, tout cela pris sur les lieux, vrai d'une incroyable vérité. Ces trois premiers tableaux, il faut le dire hautement, sont des chefs- d'œuvre; le dernier exposé surtout, la Forêt-Noire , est capable de ravir l'imagination la plus froide. Hélas ! M. Daguerre recueille, pour fruit de ses travaux, 20,000 francs de perte par an! C'est un suicide. Comment notre gouvernement, qui cherche avec tant de soin à faire revivre les idées de Napoléon, ne songet-il pas à soutenir ce bel établissement? Que Napoléon entendait bien autrement la gloire et l'intérêt du pays! Napoléon avait payé, en différentes fois, pour 800,000 francs de dettes à Talma; un de ses frères lui faisant remarquer l'énormité de cette somme, Napoléon répondit: « Ah !que la France devrait encore à Talma, si elle comptait avec lui! « Qui peut calculer en effet tout l'argent que le génie du tragédien a fait importer en France par ses admirateurs? Eh bien! le Diorama concourt, lui aussi, à attirer les étrangers à Paris, et le gouvernement ne vient pas à son secours! et le gouvernement ne fait rien pour M. Daguerre ! et pourtant il ne faudrait pas 800,000 francs. Je ne sais ce qui doît étonner le plus, ou le dévouement de l'homme qui veut illustrer son pays par une création que nous envient tous nos voisins, ou le gouvernement qui ne sait pas protéger de tels efforts. Le public a bien ici sa part de culpabilité; mais, préoccupé des graves questions qui s'agitent dans le monde social, le public a-t-il le loisir de penser au Diorama ? D'ailleurs , le public n'en entend pas parler; il l'ignore. Entre un protocole de Londres et un échec à Constantinople, quelques lignes ont-elles dit au public qu'il a là, près de lui, des merveilles qu'il dédaigne, dont il ne se doute pas ! C'est une grande calamité.. Puisque M. Daguerre ne doit compter que sur lui seul, je lui proposerais une dernière et peut-être inutile ressource, c'est de baisser les prix du Diorama, de les fixer à vingt sous, quinze sous, que sais-je? en réservant un jour de la semaine, le vendredi par exemple, au monde fashionable, qui paierait, lui, 3 ou 5 francs, si par cas il daignait s’en souvenir. Si nous perdons le Diorama, c’est un malheur pour l’art et une véritable honte pour la capitale. C. |
domingo, 5 de setembro de 2010
1834 - L’ARTISTE
1834 | L’ARTISTE Vol. VII 1ª. Serie 20e Livraison Pag. 228, 229 | DIORAMA VUE DU BASSIN CENTRAL DU COMMERCE A GAND. Tout-à-l'heure nous avions des regrets pour Paris que des mains aveugles et avides dépouillent de son aspect varié et pittoresque, réduisant à une forme unique toutes les formes diverses que le passé avait données à ses maisons et à ses édifices. Voila que, pour faire comprendre comment il est possible de concilier le respect des monumens et les exigences d'une population nouvelle, l'image d'une ville devenue une des plus industrieuses, et restée en même temps une des plus pittoresques de l'Europe, se présente à nous par le plus heureux à propos. C'est de Gand, c'est du beau tableau que M. Daguerre en a récemment exposé au Diorama, que nous voulons parler. Le peintre, avec un parfait sentiment d'artiste, s'est laissé aller au charme de cette physionomie du passé qui se conserve dans l'aspect de la ville flamande, physionomie d'autant plus précieuse et plus piquante, que les traits d'une physionomie toute moderne se développent à côté d'elle sans s’y confondre et sans l'effacer. On a exploité toutes les richesses pittoresques de l'Italie et du midi de l'Europe, et on les a exploitées sans modération, sans discernement; on a usé et même abusé de tous les moyens de les mettre sous nos yeux, dans les livres, dans les panoramas, au théâtre, partout enfin: et ce spectacle, sans cesse répété, a fini par devenir fastidieux. M. Daguerre, avec beaccoup de tact, a pensé que le peintre devait enfin se tourner vers le Nord et lui demander des modèles. C'est une justice que méritait bien cette Flandre, elle aussi, glorieuse patrie des arts et dans laquelle leur culte n'a cessé d'être un objet d'amour et de foi. La race flamande, avec son admirable attachement pour les lieux qu'elle habite, non-seulement conserve et entretient religieusement ses édifices et ses manoirs domestiques, mais elle recueille encore dans ses musées, dans ses églises, dans les cabinets d'amateurs, tous les tableaux que sa célèbre école de peinture a laissés répandus sur la surface du pays; elle veille sur eux, elle en est fière; elle sait exactement l'histoire de chacun d'eux, qu'elle raconte avec empressement à l'étranger curieux d'admirer ces richesses. En aucune contrée de l'Europe, sans en excepter l'Italie, me aussi fervente dévotion à l'art n'est professée. Gand est une des villes les plus riches de cette Belgique si riche en objets d'art, ville d'ailleurs tout empreinte de moyen âge, comme M. Daguerre nous la fait voir dans son tableau, si vrai et d'une illusion si complète. Le spectateur admis dans le Diorama aperçoit le Canal qui se déploie devant lui. A droite et à gauche sont les quais avec leurs maisons de siècles et de styles différens, et qui toutes semblent avoir de longues années a rester debout, tant elles sont soigneusement entretenues et réparées chez ce peuple, grand ami de la propreté, de l'ordre et de ses aises, comme il est ami des arts. Nous sommes dans le quartier du Commerce. Ces longs bateaux marchands amarrés sur les deux bords du canal viennent y déposer chaque jour de nouveaux chargemens; ainsi ce commerce de Gand n'est point aveugle, brutal et envahisseur, comme celui de certains autres pays; il ne démolit point sans raison, pour les reconstruire à sa guise, les maisons qui se trouvent à sa portée; il a respecté cette belle ligne d'anciens manoirs des bourgeois de Gand, seulement il les a appropriés à son usage, ces antiques manoirs. Ainsi devrait faire le commerce de Paris: ne point tant construire de nouvelles maisons, mais plutôt utiliser les anciennes. Admirons encore une fois la variété de cette architecture et l'illusion du point de vue. Aussi bien il se fait tard; l'obscurité commence à envelopper les contours des objets. Les maisons s'éclairent successivement; la nuit est venue. Mais quel nouveau coup d'œil enchanteur elle nous présente! quels moyens d'illusion sont donc ceux de M. Daguerre? Je revois Gand tel que je l'aperçus une première fois à pareille heure de la nuit. Les circonstances, au milieu desquelles ce spectacle se présenta alors à mes yeux, reviennent à ma mémoire qui depuis longtemps en avait perdu le souvenir. Cela tient du prodige. Jusqu'à présent on avait pu croire que l'exécution des tableaux du Diorama n'était plus susceptible de perfectionnemens. Cette Vue de Gand prouve le contraire; en la comparant à la Vue de la Forêt-Noire, qui reste aussi exposée, on se convaincra que M. Daguerre a réalisé un progrès nouveau. L'illusion est encore plus complète dans cette Vue de Gand, et le travail du peintre y est évidemment encore plus heureusement réussi. Que M. Daguerre continue à nous montrer ainsi des tableaux empruntés aux lieux les plus intéressans de l'Europe, et il pourra se glorifier de nous avoir fait connaître ces lieux même comme si nous les avions parcourus dans la réalité. Tout le Paris qui aime les arts doit se montrer reconnaissant envers l'artiste qui consacre ainsi sa fortune et son talent à créer des plaisirs pour tous. Pour nous, notre reconnaissance lui doit un conseil que la réflexion nous a déjà inspiré: les bénéfices de l'entreprise que dirige M. Daguerre s'accroîtraient à coup sûr, si le prix d'entrée du Diorama était réduit, pendant plusieurs jours de la semaine, à un taux très-minime, par exemple: à 1 franc, ou même à 50 centimes; car des milliers de personnes auxquelles l'élévation du prix actuel interdit la vue de ces tableaux s'empresseraient alors d'aller les visiter. A certains jours réservés, on pourrait maintenir le prix d'entrée au taux d'aujourd'hui, ou même l'élever, et ce serait peut-être un sûr moyen d'attirer ces curieux dont la vanité n'estime les plaisirs qu'autant qu'ils les paient cher et qu'ils s'y distinguent de la foule par la façon dont ils y prennent part. Bien des personnes n'iraient pas au théâtre, si toutes les places, mises indistinctement à un prix modique, étaient également accessibles pour tout le monde. Mais c'est surtout en mettant, par la modicité du prix, l'entrée du Diorama à la portée du plus grand nombre, que la combinaison que nous proposons serait assurée de réussir. Les publications à bon marché que multiplie chaque jour la librairie ne sont fondées que sur le calcul bien simple que nous venons de faire, et les étonnans succès qu'elles obtiennent montrent que leur exemple est bon à suivre. |
1834 - L’ARTISTE
1834 | L’ARTISTE Vol. VIII 1ª. Serie Pag. 116 | - Le tableau de la Forêt-Noire sera remplacé, le 11 octobre, au Diorama, par un nouveau tableau, représentant l'intérieur d'une église, passant d'un effet de jour, par toutes les modifications de lumière, pour arriver à l'effet d'une messe de minuit. |
quinta-feira, 2 de setembro de 2010
1834 - L’ARTISTE
1834 | L’ARTISTE Vol. VIII 1ª. Serie Pag. 170 | DIORAMA. UNE MESSE DE MINUIT DANS L'ÉGLISE SAINT-ÉTIENNE-DU-MONT. Nous sommes en retard avec le magnifique tableau, ou plutôt avec la magnifique représentation que M. Daguerre vient de nous donner au Diorama. Jusqu'à présent nous n'avions vu que de belles toiles, où les illusions de la lumière et de l'optique ne parvenaient à reproduire avec fidélité que l'immobilité de la nature. Dans le Diorama de l'église St.-Etienne-du-Mont, supérieur, selon nous, au Bassin de Gand, nous avons tout à la fois un tableau admirablement peint, dont l'ensemble et les détails sont d'une rigoureuse exactitude, d'une illusion parfaite; et puis nous avons une scène animée, la solennité d'une messe de minuit, avec la foule, absente il n'y a qu'un moment, et maintenant recueillie en face de ce chœur, successivement illuminé par l'éclat des lustres. A l'ensemble imposant de la cérémonie vient se joindre l'harmonie de l'orgue qui comble l'illusion. Si, après avoir cédé comme le public à la fascination de cette scène, nous voulons, en artiste, nous rendre compte du génie du peintre, nous aurons à admirer l'étonnante patience et l'habileté de l'exécution. Comme on sait, l'église est représentée d'abord en plein jour et passe successivement par toutes les modifications de lumière, pour arriver à cet effet prodigieux d'une messe de minuit. Ainsi que nous l’a appris M. Daguerre, tout est peint sur la même toile; la lumière qui éclaire le tableau est seule mobile: le système de cette peinture, de l'invention de M. Daguerre lui-même, est basé sur la différence qu'éprouvent les couleurs, lorsque la lumière qui les éclaire est transmise par réflexion ou réfraction, et que cette lumière elle-même est diversement colorée; l'effet dans le tableau où ce principe est le plus développé, c'est l'apparition d'une partie des figures placées sur les chaises inoccupées dans l'effet de jour. Vous avez beau fixer les jeux sur la toile, afin de saisir le moment où les personnages arrivent, il vous est impossible de distinguer la transition. Une chose merveilleuse à contempler, c'est l'art avec lequel le peintre a su reproduire toutes les différentes couleurs, les nuances, tous les aspects variés, sous lesquels l'église peut apparaître aux différentes heures du jour, depuis cinq heures du matin jusqu'à minuit. Après vousavoir donné la progression du jour à la nuit, le tableau, vous donne aussi le retour gradué de la nuit au jour. Jugez un peu quelle étude profonde et assidue le peintre a dû faire, pour rendre sur sa toile toutes les diverses physionomies de St.-Étenne-du-Mont ! Vous tous, habitans du Marais, de la Chaussée d'Antin, du faubourg St.-Germain, qui n'avez pas le temps de faire le pélerinage à St.-Etienne-du-Mont ,allez voir le tableau de M. Daguerre, il vous dévoilera toutes les perfections de cette charmante église, délicieux mélange d'architecture sarrazine et de la renaissance. Et de plus, vous y verrez encore ce qui n'existe pas à la montagne Ste-Geneviève, les deux curieux tableaux dont nous avons déjà parlé: le Bassin central du commerce à Gand et la Forêt Noire. |
quarta-feira, 1 de setembro de 2010
1835 - L’ARTISTE
1835 | L’ARTISTE Vol. X 1ª. Serie 11e Livraison Pag. 110, 111 | DIORAMA. LA VALLÉE DE GOLDAU. M. Daguerre vient d'ajouter une magnifique toile à toutes celles qu'il nous a déjà fait admirer. Il est impossible de mettre dans une entreprise d'art plus d'activité, d'intelligence et de dévoûment que M. Daguerre en a porté dans la sienne. Avec les seules ressources de son talent, il est parvenu à créer et à faire prospérer un des établissemens les plus curieux et les plus utiles de la capitale. D'abord peu compris du public, peu soutenu, n'ayant rencontré aucun secours dans le gouvernement, M. Daguerre a surmonté tous les obstacles, a réussi à obtenir la vogue du public; et, sans s'arrêter à ces succès si bien mérités, il a toujours cherché à perfectionner son art. Aujourd'hui, la peinture du Diorama est arrivée au plus haut degré possible d'illusion, grace surtont aux effets de jour et de nuit, produits sur la même toile par la décomposition de la lumière, à l'aide du nouveau procédé inventé par M. Daguerre. Le Bassin de Gand et la Messe de minuit à Saint-Étienne-du-Mont nous ont déjà montré toute la surprise et les miraculeux effets de ce procédé; M. Daguerre vient de l'appliquer encore à la peinture de la vallée de Goldau, en Suisse. On peut voir maintenant sur ces trois belles toiles, différentes par le sujet, la scène, l'aspect pittoresque, toute la magie de cette ingénieuse invention. Dans le Bassin de Gand, les eaux, le ciel, les monumens se transforment avec toutes les dégradations de la lumière et vous présentent tous les accidens variés, toutes les teintes successives de la nuit et du jour. Dans Saint-Étienne-du-Mont, vous n'avez pas seulement le changement de lumière qui modifie le vaisseau, sa couleur, son aspect, mais sur une, toile immobile la mobilité d'un drame, l'apparition soudaine et la disparition de personnages, toute l'action solennelle, recueillie d'une messe de minuit. Cette découverte de M. Daguerre est d'autant plus précieuse, que ce qui nuisait essentiellement à la peinture du Diorama, c'était l'absence de vie, de modification, de mouvement, l'absence de la figure humaine, qui anime et complète tout paysage, tout monument. Le nouveau tableau de M. Daguerre réunit tous ces avantages; il représente un éboulement arrivé dans la vallée de Goldau, le 2 septembre 1806. Dans l'effet du jour, vous voyez la vallée telle qu'elle était avant l'éboulement; cette vallée était alors une des plus belles de la Suisse. Vers le centre du tableau, on aperçoit le village de Goldau; plus loin se dessine, sur le lac de Zoug, le grand village de Art. A droite, est la montagne de Rouffiberg, qui en partie a écroulé; à gauche, le mont Righi, dont la hauteur est de 5,676 pieds, Cet effet est admirablement exécuté pour la transparence de l'air et du ciel, la solidité et la vérité de la couleur, l'immensité de la perspective. Je voudrais cependant un peu moins de crudité dans le ton des arbres du premier plan. La vapeur des lacs joue autour des rochers et les enveloppe au sommet comme d'un voile de gaze. L'aspect enchanteur de ce paysage est tout à coup modifié par des éclairs merveilleusement rendus dans le lointain; la nuit s'avance, les habitans du village sortent des maisons, une catastrophe se prépare; ils sont agenouillés et implorent le Ciel; dans cet effet de nuit on aperçoit, à la clarté de la lune, la vallée, telle qu'elle était immédiatement après l'éboulement. Le 1 et le 2 septembre, il avait plu en abondance; déjà dans la matinée les personnes qui demeuraient dans le voisinage du Gnypenspitz entendirent du bruit et un craquement dans la montagne: on aperçut aussi ailleurs, en divers endroits, d'autres phénomènes singuliers. Enfin, à cinq heures du soir, les couches de Breche, qui s'étendaient entre le Spitzbuel et la Steinbergerfloue, se détachèrent de la montagne et se précipitèrent avec fracas dans la vallée, d'où leurs débris remontèrent le long de la base du Righi. La largeur de ces couches était de 1,000 pieds, leur hauteur de 100 pieds, et leur longueur de près d'une lieue: en cinq minutes ces contrées si charmantes et si fertiles furent changées en un désert affreux. On compte 449 individus écrasés sous les décombres. Tel est le spectacle que nous présente le tableau de M. Daguerre dans l'effet de nuit. Quand on songe qu'une transformation aussi complète est produite sur la même toile, sans changer aucune de ses parties, par la seule modification de la lumière, il faut admirer et la simplicité de ce procédé, et la grande intelligence de son art qu'il suppose dans l'auteur, et toutes les ressources que présentent l'association de la peinture, de l'optique et de la mécanique, employées par un talent aussi elevé, aussi habile et aussi consciencieux que celui de M. Daguerre. Il serait à désirer que cet ingénieux artiste pût obtenir un local plus vaste qui lui permît de conserver plusieurs de ses toiles. Le Diorama pourroit devenir un Musée d'architecture et un voyage. Le public a compris toute l'importance et l'attrait de ce bel établissement; le gouvernement ne devrait-il donc pas aussi venir en aide à M. Daguerre et lui donner un appui qui serait tout à la fois et une récompense de ses beaux travaux, et un moyen de les développer ? |
1837 - L’ARTISTE
1837 | L’ARTISTE Vol. XIII 1ª. Serie 19e Livraison Pag. 287 | Variétés Il y a depuis quelques semaines, au Diorama de Londres, deux très-beaux tableaux de M. Bouton, représentant l'un une Vue de la basilique de Saint-Paul hors les murs, l'autre le Village d'Alagna, en Piémont. Les lignes perspectives de ces deux nouvelles compositions de M. Bouton sont très-étendues. On voit l'église de Saint-Paul telle qu'elle était avant l'incendie qui l'a détruite en 1823. On la voit aussi en ruines. L'effet de lumière est trés-remarquable dans le village d'Alagna, que l'on voit disparaître sous les avalanches qui tombent du haut des montagnes. |
terça-feira, 31 de agosto de 2010
1838 – L’ARTISTE
1838 | L’ARTISTE Vol. XV 1e Serie Pag. 143, 144 |
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quinta-feira, 17 de junho de 2010
L’ARTISTE
1839 | L’ARTISTE 2e Série, Tome II, 11e Livraison Pag. 145, 146, 147, 148 | BEAUX – ARTS LE DAGUEROTYPE A la fin, nous avons pu voir de nos yeux, toucher de nos mains cette incroyable et admirable invention de Daguerre. Il n'est pas besoin de s'occuper, comme nous faisons, des beaux-arts et de leurs moindres détails, pour connaître Daguerre. Son nom est populaire en Europe; il a été d'abord un peintre habite; mais son art même ne lui a pas suffi, et il a voulu trouver quelque chose un peu au-delà de la peinture. Ce quelque chose, c'était le Diorama. Par la toute-puissance de cet art qu'il agrandissait, Daguerre nous a fait entrer dans l'intérieur des tableaux, dont, avant lui, on ne voyait que la surface. Vous avez pénétré à sa suite dans les vieilles églises en ruines; vous avez gravi la mon- tagne, descendu le vallon; vous avez parcouru les fleuves et les mers; l'enchanteur vous a promené sans fatigue dans les plus curieuses capitales; cet homme habile, s'il en fut, se jouait de tous les effets les plus multipliés de la lumière et de la couleur, qu'il faisait agir à son gré, l'une et l'autre, comme s'il en était le maître souverain. A de pareils spectacles, si nouveaux pour lui, le public restait ébahi et confondu d'admiration. Les peintres disaient entre eux: Mais quel dommage que Daguerre, ce grand peintre, s'obstine ainsi à faire des tableaux plus beaux que la peinture! A cette admiration et à ces reproches, Daguerre répondait en souriant, car lui seul savait bien où il voulait aller. A force donc d'étudier d'une façon si persévérante dans son sanctuaire du Diorama, où il produisait tant de chefs-d'œuvre, la nuance intime de la lumière et de 1a couleur; a force de commander au soleil et de le porter çà et là, esclave obéissant et volontaire, sur tous les points où il était besoin de son rayon vigoureux ou pâle, l'inventeur du Diorama devait arriver des résultats étranges. Ce qui n’était pour nous, frivoles, qu'un jeu frivole en apparence, était en résultat une étude sévère et complète de cette science qu'il devait pousser jusqu'aux dernières limites. Vous souvient-il de deux tableaux célèbres du Diorama, la Vallée de Goldau, et la Messe de Minuit à l'église Saint-Étienne-du-Mont? Dans l'un et l'autre tableau, la lumière agit ainsi: vous, voyez d'abord la vallée, calme et sereine, comme un beau paysage de la Suisse par un tranquille et frais soleil; l’humble chalet est posé légèrement sur le versant de la montagne; la verdoyante prairie étend son fin tapis sur les bords du petit ruisseau qui serpente; la vie est partout dans ce doux petit recoin du monde: l'arbre s'agite la chèvre broute, l'oiseau chante, le paysan travaille. Tout à coup, mais quelle horrible révolution! voici que le sommet de ces montagnes s'ébranle, voici que le gazon disparaît pour faire place à la terre bouleversée… Au secours! au secours!Une avalanche de terre engloutit le petit chalet, le ruisseau débordé devient un torrent terrible, l'arbre déraciné jette au loin ses branches et sa ruine. Vous assistez ainsi au plus terrible bouleversement, et vous vous écriez :Quelle tempête! quel affreux tremblement de terre! Mais qui donc est l'auteur de tous ces ravages? - L'auteur de tous ces ravages, c'est le même homme qui, tout à l'heure, semait autour de vous tant d'idées fraiches et riantes;ce tableau terrible d'une dévastion sans bornes, c'est le même paysage si doux sur lequel vos yeux charmés se reposaient tout à l'heure. Par une certaine combinaison de l'ombre, de la lumière et de la couleur, il arrive que tout à coup le chalet est devenu un roc, la prairie une terre fraîchement remuée, le ruisseau un torrent, l'arbre une ruine, l'homme vivant un cadavre. Le vulgaire admirait toutes ces transformations incroyables sans nullement s'en rendre compte. Celui seul qui s'en rendait compte complètement, c'était Daguerre. Il en était de même de la Messe de minuit. Vous entriez dans la vieille église, elle était vide. Pas une seule vieille femme agenouillée au pied de l'autel, pas un prêtre dans le sanctuaire, pas un enfant de chœur, pas même le donneur d'eau bénite à la porte. La lumière seule remplissait Ie vide de ces arceaux gothiques; elle allait se perdant au loin, éclairant toutes les profondeurs de l'édifice. Peu a peu, cependant, à la lumière décroissante, vous voyez entrer quelques fideles, puis la foule arriver, puis l'église se remplir jusqu'aux combles. C'en est fait, les cierges s'allument, les prêtres sont dans leurs stalles, les femmes sont agenouillées sur leur prie-dieu, les hommes se tiennent debout dans l'attitude du respect. Dans la chaire gothique, le prédicateur est monté, et il jette à tous la sainte parole. Quand tout est dit, la foule prosternée se relève, l'église se vide peu à peu, les prêtres rentrent dans la sacristie, le prédicateur descend de sa chaire, le sacristain ferme la porte du temple, le crépuscule du jour naissant redescend sur ces dalles sonores. Cette fois encore, l'église est vide, et cependan c'est toujours la même église, c'est toujours le même tableau, rien n'a changé. Vous allez voir maintenant a quel but mystérieux ces essais persévérants devaient conduire Daguerre. A force d'études, ce peintre célèbre était parvenu à être un grand chimiste; il avait observé, sans nul doute que telle nuance, vigoureuse au grand jour, s'effaçait à mesure que s'effaçait la lumière, et disparaissait complétement. Il savait, en outre, ce que nous savons tous, l'action du soleil et de la lumière sur la couleur. Il se proposa donc, avec cette persévérance acharnée qui est le génie, la solution du probléme suivant: Trouver une couleur ainsi faite, que le soleil, bien plus, que la lumière seule enlève en partie, pendant que l'autre partie résiste et reste immobile à sa place; forcer le jour à agir sur cette ombre donnée, comme ferait le burin divin de quelque Morghen invisible, et ainsi jeter, sur cette planche unie et sombre, la forme et la vie; forcer le soleil, cet œil du monde, à n'être plus qu'un ingénieux ouvrier sous les ordres d'un maître! voilà sans contredit le plus étrange, le plus dificile, le plus incroyable problème qu'un homme se soit proposé de nos jours. Pour la dificulté, nous ne disons pas pour l'utilité de l'œuvre, l'inventeur de la vapeur ne vient que le second. Par quelle suite incroyable d'essais, de tentatives, de recherches, de péripéties de tous genres, l'auteur du Daguerotype est arrivé au résultat que nous allons vous dire, c'est encore son secret. Plus tard, il l'expliquera lui-même à toute l'Europe, quand la Franee, libérale et désintéressée entre toutes les nations da monde, lui aura fait, à l'Europe, ce noble présent. Toujours est-il qu'à force de persévéranee et de génie, et par une suite infinie d'essais, M. Daguerre est arrive au résultat que voici: il a composé un certain vernis noir; ce vernis s'étend sur une planche quelconque; la planche est esposée au grand jour, et aussitôt, et quelle que soit l'ombre qui se projette sur cette planche, la terre ou le ciel, ou l'eau courante, la cathédrale qui se perd dans le nuage, ou bien la pierre, le pavé, le grain de sable imperceptible qui flotte à la surface; toutes ces choses, grandes ou petites, qui sont égales devant le soleil, se gravent à l'instant même dans cette espèce de chambre obscure qui conserve toutes les empreintes. Jamais le dessin des plus grands maîtres n'a produit de dessin pareil. Si la masse est admirable, les détails sont infinis. Songez donc que c'est le soleil lui-même, introduit cette fois comme l'agent tout-puissant d'un art tout nouveau, qui produit ces travaux incroyables. Cette fois, ce n'est plus le regard incertin de l'homme qui découvre ou loin l'ombre ou la lumière, ce n'est plus sa main tremblante qui reproduit sur un papier mobile la scène changeante de ce monde, que le vide emporte. Cette fois, il n'cst plus besoin de passer trois Jours sous le même point du cicl ou de la terre pour en avoir à peine une ombre défigurée. Le prodige s'opère à l'nstant même, aussi prompt que la pensée, aussi rapide que le rayon du soleil qui va frapper là-bas l'aride montagne ou la fleur à peine éclose. Il y a un beau passage dans la Bible; Dieu dit : Que la lumière soit, la lumière fut. A cette heure, vous direz aux tours de Notre-Dame: Placez-vous là, et les tours obéiront; et c'est ainsi qu'elles ont obéi à Daguerre, qui, un beau jour, les a rapportées chez lui tout entiéres, depuis la pierre formidable sur laquelle elles sont fondées, jusqu'à la flèche rnince et légère qu'elles portent dans les airs, et que personne n'avait vue encore, excepté Daguerre et le soleil. Ce que nous vous disons là est bicn étrange; mais rien n'est incroyable comme certaines vérités. Napoléon lui-même, cet homme qui comprenait toute chose, n'a pas voulu croire qu'une légère vapeur enfermée dans un tube de fer pouvait soulever le monde, et il appelait un jouet d'enfant ce bateau à vapeur qui fonctionnait sous scs ycux. Il faudra bien ccpcndant qu'on croie au Daguerotype ; car nulle main humainc nc pourrait dessiner comme dessine lc soleil; nul regard humain ne pourrait plongcr aussi avant dans ccs flots de lumière, dans ces ténèbres profondes. Nous avons vu ainsi reproduits les plus grands monuments de Paris, qui, cette fois, va devenir véritablement la ville éternelle. Nous avons vu le Louvre, l'Institut, les Tuileries, le Pont-Neuf , Notre-Dame de Paris; nous avons vu le pavé de la Grève, l'eau de la Seine, le ciel qui couvre Sainte-Geneviève, et dans chacun de ces chefs-d'œuvre c'était la même perfection divine. L'art n'a plus rien à débattre avec ce nouveau rival; il ne s'agit pas ici, notez-le bien, d'une grossière invention mécanique qui reproduit tout au plus des masses sans ombre, sans détail, sans autre résultat qu'un bénéfice de quelques heures d'un travail manuel. Non, il s'agit ici de a plus délicate, de la plus fine, de la plus complète reproduction à laquelle puissent aspirer les œuvres de Dieu et les ouvrages des hommes. Et notez bien encore ceci, que cette reproduction est bien loin d'être une et uniforme, comme on pourrait le croire encore. Au contraire, pas un de ces tableaux, exécutés d'après le même procédé, ne ressemble au tableau précédent: l'heure du jour,la couleur du ciel, la limpidité de l'air, la douce chaleur du printemps, la rude austérité de l'hiver, les teintes chaudes de l'automne, le reflet de l'eau transparente, tous les accidents de l'atmosphèrc se reproduisent merveilleusement dans ces tableaux merveilleux qu'on dirait enfantés sous le souffle des génies aériens. C'est ainsi que dans une suite de tableaux créés par le Daguerotype, nous avons vu Paris reproduit par un chaud rayon de solcil; le soleil avait déteint sur ces nobles murailles, qui ressortaient vigoureusement de cette ombre fantastique; après quoi nous avons vu Paris reproduit sous son voile de nuages, quand l'eau descend tristement goutt te à goutte, quand le ciel est couvert d'un crêpe mouillé, quand le froid resserre tristement les moindres pierres de la ville. Ainsi, cette manière de reproduire le monde extérieur ajoutera au grand mérite d'une fidélité de détail impossible à dire, le grand mérite d'une incroyable fidélité de la lumière. Il arrivera donc qu'au premier coup d'œil, vous reconnaîtrez le dessin reproduit par le pâle soleil parisien, et le dessin exécuté par l’ardent soleil d'Italie. Vous direz coup sûr : voici un paysage rapporté des froids vallons de la Suisse; voici un aspect emprunté aux déscrts de Sahara; vous distinguerez le campanille de Florence des tours de Notre-Dame, par la seule inspection du ciel dans lequel elles s'élèvent l'une at l'autre, les deux tours élégantes ou terribles. Merveilleusc découverte en effet, qui conserve non-seulement l'identité des lieux, mais encore l'identité du soleil. Et notez bien encore que l'homme reste toujours le maître, même de la lumière qu'il fait agir. Une seconde de plus ou de moins, consacrée à cette œuvre, compte pour beaucoup. Tenez-vous aux détails plus qu'à la masse? en deux minutes, vous avez un dessin comme les fait Martinn; confusion poétique et tant soit peu voilée, dans laquelle l'œil devine plus de choses qu’il n'en voit en effet. Voulez-vous, au contraire, comme l'architecte, que le monument vienne en relief et se montre à vous tel qu'il a été construit, et dégagé de tout entourage qui pourrait en diminuer l’effet? cette fois encore, le soleil obéira, il dévorera tous les accessoires, et votre monument restera isolé, comme la Colonne au milieu de la place Vendôme. Vous obtiendrez par le même procédé tous les effets que vous voudrez obtenir, depuis l'aube naissante jusqu'aux derniers crépuscules du soir. Ce qui n'est pas un de nos moindres sujets d'admiration, c'est qu'une fois l'œuvre accomplie par le soleil ou la lumièrc, le soleil ou la lumiére n'y peuvent plus rien. Ce frêle vernis, sur lequel le moindre rayon avait tant d'empire tout à l'heure, maintenant vous l'exposez en vain au grand jour; il est durable, impérissable comme une gravure sur acier. Il est impossible de commander d'une façon plus impérieuse; c'est dire vraiment à la lumière: Tu n'iras pas plus loin. Vous avez vu l'effet de la chambre obscure. Dans la chambre obscure se reflètent les objets extérieurs avec une vérité sans égale; mais la chambre obscure ne produit rien par elle-même; ce n'est pas un tableau, c'est un miroir dans lequel rien ne reste. Figurez-vous, maintenant, que le miroir a gardé l'empreinte de tous les objets qui s'y sont reflétés, vous aurez une idée à peu près complète du Daguerotype. Mais bien plus, la lune elle-même , cette incertaine et mouvante clarté, ce pâle reflet du soleil, dont il est éloigné de quarante millions de lieues, la lune mord aussi sur cette couleur, qu'on peut dire inspirée. Bous avons vu le portrait de l'astre changeant se refléter dans le miroir de Daguerre, au grand étonnement de cet illustre Arago, qui ne savait pas tant de puissance à son astre favori. Soumettez au microscope solaire l'aile d'une mouche, et le Daguerotype, aussi puissant que le microscope, va reproduire l'aile de cette mouche dans ces dimensions incommensurables qu'on dirait empruntées aux contes des fées. Maintenant, est-il besoin de vous dire toutes les applications sans fin de cette immense découverte, qui sera peut-être l'honneur de ce siècle? Le Daguerotype est destiné à reproduire les beaux aspects de la nature et de l'art, à peu près comme l'imprimerie reproduit les chefs-d'œuvre de l'esprit humain. C'est une gravure à laportée de tous et de chacun; c'est un crayon obéissant comme la pensée; c'est un miroir qui garde toutes les empreintes; c'est la mémoire fidèle de tous les monuments, de tous les paysages de l'univers; c'est la reproduction incessante, spontanée, infatigable, des cent mille chefs-d'œuvre que le temps a renversés ou construits sur la surface du globe. Le Daguerotype sera le compagnon indispensable du voyageur qui ne sait pas dessiner, et de l'artiste qui n'a pas le temps de dessiner. Il est destiné populariser chez nous , et à peu de frais, les plus belles œuvres des arts dont nous n'avons que des copies coûteuses et infidèles; avant peu, et quand on ne voudra pas être soi-même son propre graveur, on enverra son enfant au Musée, et on lui dira: Il faut que dans trois heures tu me rapportes un tableau de Murillo ou de Raphaël. On écrira à Rome: Envoyez-moi par leprochain courrier la coupole de Saint-Pierre, et la coupole de Saint-Pierre vous arrivera courrier par courrier. Vous passez à Anvers, vous admirez la maison de Rubens, et vous envoyez à votre architecte cette maison sans rivale dans les caprices flamands:Voilà, dites-vous, la maison que je veux bâtir et, sur ce dessin fidèle, l'arcitecte retrouve un à un tous les ornements de cette pierre devenue dentelle sous le ciseau du sculpteur. Désormais, le Daguerotype suffira à tous les besoins des arts, à tous les caprices de la vie. Vous emporterez avec vous, et sans qu'elle le sache, la blanche maison sous laquelle se cache votre maîtresse. Vous ferez vous-même la copie de ce beau portrait de M. Ingres, dans lequel M. Ingres a reproduit la belle tête de ce noble écrivain, l'honneur de la presh en Europe, et vous direz: Que m'importe à présent que ce portrait n'ait point été livré à la gravure? j'ai beaucoup mieux qu'une gravure, j'ai aussi bien qu'un dessin de M. Ingres. Mon Dieu, pour se servir de cet ingénieux miroir, il ne sera pas besoin d'être un grand voyageur dans les pays déserts comme M. Combes, d'etre un grand poète comme M. de Lamartine, de marcher comme le comte Demidoff à travers les déserts de la Russie méridionale, à la tete d'une armée de savants et d'artistes; dans les plus simples et les plus douces passions de la vie, le Daguerotype aura son utilité et son charime; il reproduira à l'instant toutes les choses aimées: le fauteuil de l'aïeul, le berceau de l'enfant, la tombe du vieillard. M. Daguerre espère bien qu'avant peu il parviendra aussi à obtenir le portrait, sans qu'il soit besoin du portrait préalable de M. Ingres. Il est déjà en train d'inventer une machine à l'aide de laquelle le sujet restera parfaitement immobile; car, telle est la puissanee de ce reproducteur acharné, le Daguerotype, qu'il reproduit à l'instant même le coup d'œil, le froncement du soureil, la moindre ride du front, la moindre boucle de cheveux qui s'agite. Prenez la loupe; voyez-vous, sur ce sable uni, ce quelque chose d'un peu plus obscur que le reste? c'est un oiseau qui aura passé dans le ciel. Nous vivons dans une singulière époque; nous ne songeons plus de nos jours à rien produire par nous-mêmes; mais, en revanehe nous recherchons avee une persévérance sans égale les moyens de faire reproduire pour nous et à notre place. La vapeur a quintuplé le nombre des travailleurs; avant peu, les chemins de fer doubleront ce capital fugitif qu'on appelle la vie; le gaz a remplacé le soleil ; on tente à cette heure des essais sans fin pour trouver un chemin dans les airs. Cette rage de moyens surnaturels a passé bientôt du monde des faits dans le monde des idées, du commerce dans les arts. II n'y a pas déjà si longtemps qu'a été inventé le Diagraphe-Gavard, au moyen duquel les plafonds obéissants du palais de Versailles viennent d'eux-mêmes se poser sur le papier, reproduits par la main d'un enfant sans espérience. L'autre jour encore, un autre homme de génie, le même qui a trouvé le moyen de reproduire en relief toutes les médailles antiques ou modernes, M. Colas, inventait une roue à l'aide de laquelle il a reproduit, avec une admirable et incroyable vérité, la Vénus de Milo. Voici maintenant qu'avec cet enduit étendu sur une planche de cuivre, M. Daguerre remplace le dessin et la gravure. Laissez-le faire, avant peu vous aurez des machines qui vous dicteront des comédies de Molière et feront des vers comme le grand Corneille: ainsi soit-il. Une loi va être présentée aux chambres par M.Arago lui-même, pour donner à M. Daguerre, non pas un brevet d'invention, il est tout disposé à démontrer publiquement son procédé, mais une récompense nationale qui lui donne le moyBEAUX – ARTSLE DAGUEROTYPEA la fin, nous avons pu voir de nos yeux, toucher de nos mains cette incroyable et admirable invention de Daguerre. Il n'est pas besoin de s'occuper, comme nous faisons, des beaux-arts et de leurs moindres détails, pour connaître Daguerre. Son nom est populaire en Europe; il a été d'abord un peintre habite; mais son art même ne lui a pas suffi, et il a voulu trouver quelque chose un peu au-delà de la peinture. Ce quelque chose, c'était le Diorama. Par la toute-puissance de cet art qu'il agrandissait, Daguerre nous a fait entrer dans l'intérieur des tableaux, dont, avant lui, on ne voyait que la surface. Vous avez pénétré à sa suite dans les vieilles églises en ruines; vous avez gravi la mon- tagne, descendu le vallon; vous avez parcouru les fleuves et les mers; l'enchanteur vous a promené sans fatigue dans les plus curieuses capitales; cet homme habile, s'il en fut, se jouait de tous les effets les plus multipliés de la lumière et de la couleur, qu'il faisait agir à son gré, l'une et l'autre, comme s'il en était le maître souverain. A de pareils spectacles, si nouveaux pour lui, le public restait ébahi et confondu d'admiration. Les peintres disaient entre eux: Mais quel dommage que Daguerre, ce grand peintre, s'obstine ainsi à faire des tableaux plus beaux que la peinture! A cette admiration et à ces reproches, Daguerre répondait en souriant, car lui seul savait bien où il voulait aller. A force donc d'étudier d'une façon si persévérante dans son sanctuaire du Diorama, où il produisait tant de chefs-d'œuvre, la nuance intime de la lumière et de 1a couleur; a force de commander au soleil et de le porter çà et là, esclave obéissant et volontaire, sur tous les points où il était besoin de son rayon vigoureux ou pâle, l'inventeur du Diorama devait arriver des résultats étranges. Ce qui n’était pour nous, frivoles, qu'un jeu frivole en apparence, était en résultat une étude sévère et complète de cette science qu'il devait pousser jusqu'aux dernières limites. Vous souvient-il de deux tableaux célèbres du Diorama, la Vallée de Goldau, et la Messe de Minuit à l'église Saint-Étienne-du-Mont? Dans l'un et l'autre tableau, la lumière agit ainsi: vous, voyez d'abord la vallée, calme et sereine, comme un beau paysage de la Suisse par un tranquille et frais soleil; l’humble chalet est posé légèrement sur le versant de la montagne; la verdoyante prairie étend son fin tapis sur les bords du petit ruisseau qui serpente; la vie est partout dans ce doux petit recoin du monde: l'arbre s'agite la chèvre broute, l'oiseau chante, le paysan travaille. Tout à coup, mais quelle horrible révolution! voici que le sommet de ces montagnes s'ébranle, voici que le gazon disparaît pour faire place à la terre bouleversée… Au secours! au secours!Une avalanche de terre engloutit le petit chalet, le ruisseau débordé devient un torrent terrible, l'arbre déraciné jette au loin ses branches et sa ruine. Vous assistez ainsi au plus terrible bouleversement, et vous vous écriez :Quelle tempête! quel affreux tremblement de terre! Mais qui donc est l'auteur de tous ces ravages? - L'auteur de tous ces ravages, c'est le même homme qui, tout à l'heure, semait autour de vous tant d'idées fraiches et riantes;ce tableau terrible d'une dévastion sans bornes, c'est le même paysage si doux sur lequel vos yeux charmés se reposaient tout à l'heure. Par une certaine combinaison de l'ombre, de la lumière et de la couleur, il arrive que tout à coup le chalet est devenu un roc, la prairie une terre fraîchement remuée, le ruisseau un torrent, l'arbre une ruine, l'homme vivant un cadavre. Le vulgaire admirait toutes ces transformations incroyables sans nullement s'en rendre compte. Celui seul qui s'en rendait compte complètement, c'était Daguerre. Il en était de même de la Messe de minuit. Vous entriez dans la vieille église, elle était vide. Pas une seule vieille femme agenouillée au pied de l'autel, pas un prêtre dans le sanctuaire, pas un enfant de chœur, pas même le donneur d'eau bénite à la porte. La lumière seule remplissait Ie vide de ces arceaux gothiques; elle allait se perdant au loin, éclairant toutes les profondeurs de l'édifice. Peu a peu, cependant, à la lumière décroissante, vous voyez entrer quelques fideles, puis la foule arriver, puis l'église se remplir jusqu'aux combles. C'en est fait, les cierges s'allument, les prêtres sont dans leurs stalles, les femmes sont agenouillées sur leur prie-dieu, les hommes se tiennent debout dans l'attitude du respect. Dans la chaire gothique, le prédicateur est monté, et il jette à tous la sainte parole. Quand tout est dit, la foule prosternée se relève, l'église se vide peu à peu, les prêtres rentrent dans la sacristie, le prédicateur descend de sa chaire, le sacristain ferme la porte du temple, le crépuscule du jour naissant redescend sur ces dalles sonores. Cette fois encore, l'église est vide, et cependan c'est toujours la même église, c'est toujours le même tableau, rien n'a changé. Vous allez voir maintenant a quel but mystérieux ces essais persévérants devaient conduire Daguerre. A force d'études, ce peintre célèbre était parvenu à être un grand chimiste; il avait observé, sans nul doute que telle nuance, vigoureuse au grand jour, s'effaçait à mesure que s'effaçait la lumière, et disparaissait complétement. Il savait, en outre, ce que nous savons tous, l'action du soleil et de la lumière sur la couleur. Il se proposa donc, avec cette persévérance acharnée qui est le génie, la solution du probléme suivant: Trouver une couleur ainsi faite, que le soleil, bien plus, que la lumière seule enlève en partie, pendant que l'autre partie résiste et reste immobile à sa place; forcer le jour à agir sur cette ombre donnée, comme ferait le burin divin de quelque Morghen invisible, et ainsi jeter, sur cette planche unie et sombre, la forme et la vie; forcer le soleil, cet œil du monde, à n'être plus qu'un ingénieux ouvrier sous les ordres d'un maître! voilà sans contredit le plus étrange, le plus dificile, le plus incroyable problème qu'un homme se soit proposé de nos jours. Pour la dificulté, nous ne disons pas pour l'utilité de l'œuvre, l'inventeur de la vapeur ne vient que le second. Par quelle suite incroyable d'essais, de tentatives, de recherches, de péripéties de tous genres, l'auteur du Daguerotype est arrivé au résultat que nous allons vous dire, c'est encore son secret. Plus tard, il l'expliquera lui-même à toute l'Europe, quand la Franee, libérale et désintéressée entre toutes les nations da monde, lui aura fait, à l'Europe, ce noble présent. Toujours est-il qu'à force de persévéranee et de génie, et par une suite infinie d'essais, M. Daguerre est arrive au résultat que voici: il a composé un certain vernis noir; ce vernis s'étend sur une planche quelconque; la planche est esposée au grand jour, et aussitôt, et quelle que soit l'ombre qui se projette sur cette planche, la terre ou le ciel, ou l'eau courante, la cathédrale qui se perd dans le nuage, ou bien la pierre, le pavé, le grain de sable imperceptible qui flotte à la surface; toutes ces choses, grandes ou petites, qui sont égales devant le soleil, se gravent à l'instant même dans cette espèce de chambre obscure qui conserve toutes les empreintes. Jamais le dessin des plus grands maîtres n'a produit de dessin pareil. Si la masse est admirable, les détails sont infinis. Songez donc que c'est le soleil lui-même, introduit cette fois comme l'agent tout-puissant d'un art tout nouveau, qui produit ces travaux incroyables. Cette fois, ce n'est plus le regard incertin de l'homme qui découvre ou loin l'ombre ou la lumière, ce n'est plus sa main tremblante qui reproduit sur un papier mobile la scène changeante de ce monde, que le vide emporte. Cette fois, il n'cst plus besoin de passer trois Jours sous le même point du cicl ou de la terre pour en avoir à peine une ombre défigurée. Le prodige s'opère à l'nstant même, aussi prompt que la pensée, aussi rapide que le rayon du soleil qui va frapper là-bas l'aride montagne ou la fleur à peine éclose. Il y a un beau passage dans la Bible; Dieu dit : Que la lumière soit, la lumière fut. A cette heure, vous direz aux tours de Notre-Dame: Placez-vous là, et les tours obéiront; et c'est ainsi qu'elles ont obéi à Daguerre, qui, un beau jour, les a rapportées chez lui tout entiéres, depuis la pierre formidable sur laquelle elles sont fondées, jusqu'à la flèche rnince et légère qu'elles portent dans les airs, et que personne n'avait vue encore, excepté Daguerre et le soleil. Ce que nous vous disons là est bicn étrange; mais rien n'est incroyable comme certaines vérités. Napoléon lui-même, cet homme qui comprenait toute chose, n'a pas voulu croire qu'une légère vapeur enfermée dans un tube de fer pouvait soulever le monde, et il appelait un jouet d'enfant ce bateau à vapeur qui fonctionnait sous scs ycux. Il faudra bien ccpcndant qu'on croie au Daguerotype ; car nulle main humainc nc pourrait dessiner comme dessine lc soleil; nul regard humain ne pourrait plongcr aussi avant dans ccs flots de lumière, dans ces ténèbres profondes. Nous avons vu ainsi reproduits les plus grands monuments de Paris, qui, cette fois, va devenir véritablement la ville éternelle. Nous avons vu le Louvre, l'Institut, les Tuileries, le Pont-Neuf , Notre-Dame de Paris; nous avons vu le pavé de la Grève, l'eau de la Seine, le ciel qui couvre Sainte-Geneviève, et dans chacun de ces chefs-d'œuvre c'était la même perfection divine. L'art n'a plus rien à débattre avec ce nouveau rival; il ne s'agit pas ici, notez-le bien, d'une grossière invention mécanique qui reproduit tout au plus des masses sans ombre, sans détail, sans autre résultat qu'un bénéfice de quelques heures d'un travail manuel. Non, il s'agit ici de a plus délicate, de la plus fine, de la plus complète reproduction à laquelle puissent aspirer les œuvres de Dieu et les ouvrages des hommes. Et notez bien encore ceci, que cette reproduction est bien loin d'être une et uniforme, comme on pourrait le croire encore. Au contraire, pas un de ces tableaux, exécutés d'après le même procédé, ne ressemble au tableau précédent: l'heure du jour,la couleur du ciel, la limpidité de l'air, la douce chaleur du printemps, la rude austérité de l'hiver, les teintes chaudes de l'automne, le reflet de l'eau transparente, tous les accidents de l'atmosphèrc se reproduisent merveilleusement dans ces tableaux merveilleux qu'on dirait enfantés sous le souffle des génies aériens. C'est ainsi que dans une suite de tableaux créés par le Daguerotype, nous avons vu Paris reproduit par un chaud rayon de solcil; le soleil avait déteint sur ces nobles murailles, qui ressortaient vigoureusement de cette ombre fantastique; après quoi nous avons vu Paris reproduit sous son voile de nuages, quand l'eau descend tristement goutt te à goutte, quand le ciel est couvert d'un crêpe mouillé, quand le froid resserre tristement les moindres pierres de la ville. Ainsi, cette manière de reproduire le monde extérieur ajoutera au grand mérite d'une fidélité de détail impossible à dire, le grand mérite d'une incroyable fidélité de la lumière. Il arrivera donc qu'au premier coup d'œil, vous reconnaîtrez le dessin reproduit par le pâle soleil parisien, et le dessin exécuté par l’ardent soleil d'Italie. Vous direz coup sûr : voici un paysage rapporté des froids vallons de la Suisse; voici un aspect emprunté aux déscrts de Sahara; vous distinguerez le campanille de Florence des tours de Notre-Dame, par la seule inspection du ciel dans lequel elles s'élèvent l'une at l'autre, les deux tours élégantes ou terribles. Merveilleusc découverte en effet, qui conserve non-seulement l'identité des lieux, mais encore l'identité du soleil. Et notez bien encore que l'homme reste toujours le maître, même de la lumière qu'il fait agir. Une seconde de plus ou de moins, consacrée à cette œuvre, compte pour beaucoup. Tenez-vous aux détails plus qu'à la masse? en deux minutes, vous avez un dessin comme les fait Martinn; confusion poétique et tant soit peu voilée, dans laquelle l'œil devine plus de choses qu’il n'en voit en effet. Voulez-vous, au contraire, comme l'architecte, que le monument vienne en relief et se montre à vous tel qu'il a été construit, et dégagé de tout entourage qui pourrait en diminuer l’effet? cette fois encore, le soleil obéira, il dévorera tous les accessoires, et votre monument restera isolé, comme la Colonne au milieu de la place Vendôme. Vous obtiendrez par le même procédé tous les effets que vous voudrez obtenir, depuis l'aube naissante jusqu'aux derniers crépuscules du soir. Ce qui n'est pas un de nos moindres sujets d'admiration, c'est qu'une fois l'œuvre accomplie par le soleil ou la lumièrc, le soleil ou la lumiére n'y peuvent plus rien. Ce frêle vernis, sur lequel le moindre rayon avait tant d'empire tout à l'heure, maintenant vous l'exposez en vain au grand jour; il est durable, impérissable comme une gravure sur acier. Il est impossible de commander d'une façon plus impérieuse; c'est dire vraiment à la lumière: Tu n'iras pas plus loin. Vous avez vu l'effet de la chambre obscure. Dans la chambre obscure se reflètent les objets extérieurs avec une vérité sans égale; mais la chambre obscure ne produit rien par elle-même; ce n'est pas un tableau, c'est un miroir dans lequel rien ne reste. Figurez-vous, maintenant, que le miroir a gardé l'empreinte de tous les objets qui s'y sont reflétés, vous aurez une idée à peu près complète du Daguerotype. Mais bien plus, la lune elle-même , cette incertaine et mouvante clarté, ce pâle reflet du soleil, dont il est éloigné de quarante millions de lieues, la lune mord aussi sur cette couleur, qu'on peut dire inspirée. Bous avons vu le portrait de l'astre changeant se refléter dans le miroir de Daguerre, au grand étonnement de cet illustre Arago, qui ne savait pas tant de puissance à son astre favori. Soumettez au microscope solaire l'aile d'une mouche, et le Daguerotype, aussi puissant que le microscope, va reproduire l'aile de cette mouche dans ces dimensions incommensurables qu'on dirait empruntées aux contes des fées. Maintenant, est-il besoin de vous dire toutes les applications sans fin de cette immense découverte, qui sera peut-être l'honneur de ce siècle? Le Daguerotype est destiné à reproduire les beaux aspects de la nature et de l'art, à peu près comme l'imprimerie reproduit les chefs-d'œuvre de l'esprit humain. C'est une gravure à laportée de tous et de chacun; c'est un crayon obéissant comme la pensée; c'est un miroir qui garde toutes les empreintes; c'est la mémoire fidèle de tous les monuments, de tous les paysages de l'univers; c'est la reproduction incessante, spontanée, infatigable, des cent mille chefs-d'œuvre que le temps a renversés ou construits sur la surface du globe. Le Daguerotype sera le compagnon indispensable du voyageur qui ne sait pas dessiner, et de l'artiste qui n'a pas le temps de dessiner. Il est destiné populariser chez nous , et à peu de frais, les plus belles œuvres des arts dont nous n'avons que des copies coûteuses et infidèles; avant peu, et quand on ne voudra pas être soi-même son propre graveur, on enverra son enfant au Musée, et on lui dira: Il faut que dans trois heures tu me rapportes un tableau de Murillo ou de Raphaël. On écrira à Rome: Envoyez-moi par leprochain courrier la coupole de Saint-Pierre, et la coupole de Saint-Pierre vous arrivera courrier par courrier. Vous passez à Anvers, vous admirez la maison de Rubens, et vous envoyez à votre architecte cette maison sans rivale dans les caprices flamands:Voilà, dites-vous, la maison que je veux bâtir et, sur ce dessin fidèle, l'arcitecte retrouve un à un tous les ornements de cette pierre devenue dentelle sous le ciseau du sculpteur. Désormais, le Daguerotype suffira à tous les besoins des arts, à tous les caprices de la vie. Vous emporterez avec vous, et sans qu'elle le sache, la blanche maison sous laquelle se cache votre maîtresse. Vous ferez vous-même la copie de ce beau portrait de M. Ingres, dans lequel M. Ingres a reproduit la belle tête de ce noble écrivain, l'honneur de la presh en Europe, et vous direz: Que m'importe à présent que ce portrait n'ait point été livré à la gravure? j'ai beaucoup mieux qu'une gravure, j'ai aussi bien qu'un dessin de M. Ingres. Mon Dieu, pour se servir de cet ingénieux miroir, il ne sera pas besoin d'être un grand voyageur dans les pays déserts comme M. Combes, d'etre un grand poète comme M. de Lamartine, de marcher comme le comte Demidoff à travers les déserts de la Russie méridionale, à la tete d'une armée de savants et d'artistes; dans les plus simples et les plus douces passions de la vie, le Daguerotype aura son utilité et son charime; il reproduira à l'instant toutes les choses aimées: le fauteuil de l'aïeul, le berceau de l'enfant, la tombe du vieillard. M. Daguerre espère bien qu'avant peu il parviendra aussi à obtenir le portrait, sans qu'il soit besoin du portrait préalable de M. Ingres. Il est déjà en train d'inventer une machine à l'aide de laquelle le sujet restera parfaitement immobile; car, telle est la puissanee de ce reproducteur acharné, le Daguerotype, qu'il reproduit à l'instant même le coup d'œil, le froncement du soureil, la moindre ride du front, la moindre boucle de cheveux qui s'agite. Prenez la loupe; voyez-vous, sur ce sable uni, ce quelque chose d'un peu plus obscur que le reste? c'est un oiseau qui aura passé dans le ciel. Nous vivons dans une singulière époque; nous ne songeons plus de nos jours à rien produire par nous-mêmes; mais, en revanehe nous recherchons avee une persévérance sans égale les moyens de faire reproduire pour nous et à notre place. La vapeur a quintuplé le nombre des travailleurs; avant peu, les chemins de fer doubleront ce capital fugitif qu'on appelle la vie; le gaz a remplacé le soleil ; on tente à cette heure des essais sans fin pour trouver un chemin dans les airs. Cette rage de moyens surnaturels a passé bientôt du monde des faits dans le monde des idées, du commerce dans les arts. II n'y a pas déjà si longtemps qu'a été inventé le Diagraphe-Gavard, au moyen duquel les plafonds obéissants du palais de Versailles viennent d'eux-mêmes se poser sur le papier, reproduits par la main d'un enfant sans espérience. L'autre jour encore, un autre homme de génie, le même qui a trouvé le moyen de reproduire en relief toutes les médailles antiques ou modernes, M. Colas, inventait une roue à l'aide de laquelle il a reproduit, avec une admirable et incroyable vérité, la Vénus de Milo. Voici maintenant qu'avec cet enduit étendu sur une planche de cuivre, M. Daguerre remplace le dessin et la gravure. Laissez-le faire, avant peu vous aurez des machines qui vous dicteront des comédies de Molière et feront des vers comme le grand Corneille: ainsi soit-il. Une loi va être présentée aux chambres par M.Arago lui-même, pour donner à M. Daguerre, non pas un brevet d'invention, il est tout disposé à démontrer publiquement son procédé, mais une récompense nationale qui lui donne le moyen de se ruiner encore une fois pour une nouvelle découverte. Certes, malgré toute sa mesquinerie de nation constitutionnelle, représentée par des bourgeois très-peu éclairés et disposés à mépriser tout ce qui n'est pas une charrue, une forge, ou une truelle à bâtir, la France ne saurait trop récompenser ce génie et cette persévérance, arrivés à un pareil résultat. Elle accordera,sans nul doute, à l'auteur de la gravure universelle , non pas la récompense qu'il mérite, mais seulement la récompense qu'il demande. Puis, quand elle aura fait de Daguerre un homme riche autant qu'il est célèbre; quand elle lui aura ouvert les portes de cet Institut qui le réclame, la France dira à l'Europe: Je vous ai déjà donné la vapeur; maintenant baissez-vous, et ramassez à mes pieds le nouveau présent que je vous fais.JULES JANIN. en de se ruiner encore une fois pour une nouvelle découverte. Certes, malgré toute sa mesquinerie de nation constitutionnelle, représentée par des bourgeois très-peu éclairés et disposés à mépriser tout ce qui n'est pas une charrue, une forge, ou une truelle à bâtir, la France ne saurait trop récompenser ce génie et cette persévérance, arrivés à un pareil résultat. Elle accordera,sans nul doute, à l'auteur de la gravure universelle , non pas la récompense qu'il mérite, mais seulement la récompense qu'il demande. Puis, quand elle aura fait de Daguerre un homme riche autant qu'il est célèbre; quand elle lui aura ouvert les portes de cet Institut qui le réclame, la France dira à l'Europe: Je vous ai déjà donné la vapeur; maintenant baissez-vous, et ramassez à mes pieds le nouveau présent que je vous fais. JULES JANIN. |