domingo, 5 de setembro de 2010

1834 - L’ARTISTE

1834

L’ARTISTE

Vol. VII

1ª. Serie

20e Livraison

Pag. 228, 229

DIORAMA

 

VUE DU BASSIN CENTRAL DU COMMERCE A GAND.

 

Tout-à-l'heure nous avions des regrets pour Paris que des mains aveugles et avides dépouillent de son aspect varié et pittoresque, réduisant à une forme unique toutes les formes diverses que le passé avait données à ses maisons et à ses édifices. Voila que, pour faire comprendre comment il est possible de concilier le respect des monumens et les exigences d'une population nouvelle, l'image d'une ville devenue une des plus industrieuses, et restée en même temps une des plus pittoresques de l'Europe, se présente à nous par le plus heureux à propos. C'est de Gand, c'est du beau tableau que M. Daguerre en a récemment exposé au Diorama, que nous voulons parler. Le peintre, avec un parfait sentiment d'artiste, s'est laissé aller au charme de cette physionomie du passé qui se conserve dans l'aspect de la ville flamande, physionomie d'autant plus précieuse et plus piquante, que les traits d'une physionomie toute moderne se développent à côté d'elle sans s’y confondre et sans l'effacer. On a exploité toutes les richesses pittoresques de l'Italie et du midi de l'Europe, et on les a exploitées sans modération, sans discernement; on a usé et même abusé de tous les moyens de les mettre sous nos yeux, dans les livres, dans les panoramas, au théâtre, partout enfin: et ce spectacle, sans cesse répété, a fini par devenir fastidieux. M. Daguerre, avec beaccoup de tact, a pensé que le peintre devait enfin se tourner vers le Nord et lui demander des modèles. C'est une justice que méritait bien cette Flandre, elle aussi, glorieuse patrie des arts et dans laquelle leur culte n'a cessé d'être un objet d'amour et de foi. La race flamande, avec son admirable attachement pour les lieux qu'elle habite, non-seulement conserve et entretient religieusement ses édifices et ses manoirs domestiques, mais elle recueille encore dans ses musées, dans ses églises, dans les cabinets d'amateurs, tous les tableaux que sa célèbre école de peinture a laissés répandus sur la surface du pays; elle veille sur eux, elle en est fière; elle sait exactement l'histoire de chacun d'eux, qu'elle raconte avec empressement à l'étranger curieux d'admirer ces richesses. En aucune contrée de l'Europe, sans en excepter l'Italie, me aussi fervente dévotion à l'art n'est professée. Gand est une des villes les plus riches de cette Belgique si riche en objets d'art, ville d'ailleurs tout empreinte de moyen âge, comme M. Daguerre nous la fait voir dans son tableau, si vrai et d'une illusion si complète.

Le spectateur admis dans le Diorama aperçoit le Canal qui se déploie devant lui. A droite et à gauche sont les quais avec leurs maisons de siècles et de styles différens, et qui toutes semblent avoir de longues années a rester debout, tant elles sont soigneusement entretenues et réparées chez ce peuple, grand ami de la propreté, de l'ordre et de ses aises, comme il est ami des arts. Nous sommes dans le quartier du Commerce. Ces longs bateaux marchands amarrés sur les deux bords du canal viennent y déposer chaque jour de nouveaux chargemens; ainsi ce commerce de Gand n'est point aveugle, brutal et envahisseur, comme celui de certains autres pays; il ne démolit point sans raison, pour les reconstruire à sa guise, les maisons qui se trouvent à sa portée; il a respecté cette belle ligne d'anciens manoirs des bourgeois de Gand, seulement il les a appropriés à son usage, ces antiques manoirs. Ainsi devrait faire le commerce de Paris: ne point tant construire de nouvelles maisons, mais plutôt utiliser les anciennes.

Admirons encore une fois la variété de cette architecture et l'illusion du point de vue. Aussi bien il se fait tard; l'obscurité commence à envelopper les contours des objets. Les maisons s'éclairent successivement; la nuit est venue. Mais quel nouveau coup d'œil enchanteur elle nous présente! quels moyens d'illusion sont donc ceux de M. Daguerre? Je revois Gand tel que je l'aperçus une première fois à pareille heure de la nuit. Les circonstances, au milieu desquelles ce spectacle se présenta alors à mes yeux, reviennent à ma mémoire qui depuis longtemps en avait perdu le souvenir. Cela tient du prodige.

Jusqu'à présent on avait pu croire que l'exécution des tableaux du Diorama n'était plus susceptible de perfectionnemens. Cette Vue de Gand prouve le contraire; en la comparant à la Vue de la Forêt-Noire, qui reste aussi exposée, on se convaincra que M. Daguerre a réalisé un progrès nouveau. L'illusion est encore plus complète dans cette Vue de Gand, et le travail du peintre y est évidemment encore plus heureusement réussi. Que M. Daguerre continue à nous montrer ainsi des tableaux empruntés aux lieux les plus intéressans de l'Europe, et il pourra se glorifier de nous avoir fait connaître ces lieux même comme si nous les avions parcourus dans la réalité.

Tout le Paris qui aime les arts doit se montrer reconnaissant envers l'artiste qui consacre ainsi sa fortune et son talent à créer des plaisirs pour tous. Pour nous, notre reconnaissance lui doit un conseil que la réflexion nous a déjà inspiré: les bénéfices de l'entreprise que dirige M. Daguerre s'accroîtraient à coup sûr, si le prix d'entrée du Diorama était réduit, pendant plusieurs jours de la semaine, à un taux très-minime, par exemple: à 1 franc, ou même à 50 centimes; car des milliers de personnes auxquelles l'élévation du prix actuel interdit la vue de ces tableaux s'empresseraient alors d'aller les visiter. A certains jours réservés, on pourrait maintenir le prix d'entrée au taux d'aujourd'hui, ou même l'élever, et ce serait peut-être un sûr moyen d'attirer ces curieux dont la vanité n'estime les plaisirs qu'autant qu'ils les paient cher et qu'ils s'y distinguent de la foule par la façon dont ils y prennent part. Bien des personnes n'iraient pas au théâtre, si toutes les places, mises indistinctement à un prix modique, étaient également accessibles pour tout le monde. Mais c'est surtout en mettant, par la modicité du prix, l'entrée du Diorama à la portée du plus grand nombre, que la combinaison que nous proposons serait assurée de réussir. Les publications à bon marché que multiplie chaque jour la librairie ne sont fondées que sur le calcul bien simple que nous venons de faire, et les étonnans succès qu'elles obtiennent montrent que leur exemple est bon à suivre.

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