terça-feira, 31 de agosto de 2010

1838 – L’ARTISTE

1838

L’ARTISTE

Vol. XV

1e Serie

Pag. 143, 144

DIORAMA

ÉGLISE ROYALE DE SANTA-MARIA-NUOVA,

A MORREALE, EN SICILE,

PAR M. DAGUERRE

Dans un spectacle comme celui que le Diorama offre au public, le bon choix du sujet est une chose trés importante, quelque soit d'ailleurs le mérite de l’exécution. Il ne s'agit pas seulement, en effet, de montrer un site pittoresque ou un monument grandiose et fantastique, car alors l'œil seul est flatté; il n'y a rien pour l'intelligence, rien dont on désire conserver l'image ou le souvenir. Nous rangerons parmi ces représentations de peu de portée, l'Inauguration du Temple de Salomon. Sans doute l'esprit est étonné en présence de ces gigantesques édifices, éclairés d'une maniére prestigieuse, et autour desquels se pressent les flots du peuple qui vient adorer le Dieu qui l'a guidé quarante ans à travers le désert. Ces colonnades, ces portiques, ces grandes statues, ces immenses escaliers qui semblent faits pour conduire au ciel, ces pérystiles illuminés par mille lampes sacrées, ces somptueux monumens qui dessinent leurs masses pittoresques dans le lointain, présentent un ensemble imposant, mais, nous le répétons ne suffisent pas pour captiver long-temps l'intérêt du public. M. Daguerre a été bien mieux inspiré quand il a songé à peindre la vue inlérieure de l'église de Santa-Maria-Nuova. Cetle église est une des constructions les plus grandes et les plus belles de la Sicile. Elle fait d'ailleurs époque dans l'histoire de l'architecture. Sa description peut donner une idée de son importance.

La basilique de Morreale fut fondée par Guillaume II, dit le Bon, vers 1170, et terminée en 1177; elle est bâtie sur d'assez vastes dimensions. C'est un type remarquable du style bysantin. Son plan est conforme au rite grec, et les motifs de sa décoratien rappellent, d'une manière toute spéciale, ceux qu'on retrouve dans les églises orientales. Elle est divisée en trois nefs et présente neuf travées. Ses colonnes en granit et en porphyre,de vingt-trois pieds de haut, semblent empruntées à plusieurs monumens antiques. Les chapitaux sont décorés dans leurs deux tiers inférieurs de feuilles d'acanthe; mais les volutes ont été remplacées par des cornes d'abondance, et les roses par des cartouches dans lesquels sont sculptées des figures de saints. Les retombées des arcades portent à faux sur l'abaque des chapiteaux. C'est un des caractères de l'architecture byzantine, et surtout de l'architecture saracénique. Les murs et les voussures des arcs sont rehaussées de mosaïques dans le genre de celles de Ste. Sophie, de Constantinople. Les murailles des bas côtés étaient décorées de marquetteries aujourd'hui très-détériorées. L'église est formée de dalles en marbre de diverses couleurs, et qui produisent un très bon effel. Outre la richesse des matériaux employés dans la construction de Santa-Maria-Nuova, on doit surtout signaler, la forme de toutes les arcades, qui sont en tiers-point. Cette église est la première de celles de la Sicile et même de l'Italie, dans laquelle l'ogive ait été employée. Sans doute on trouve l'ogive au palais de la Ziza, que Seroux d'Agincourt fait remonter au IXe siécle, mais cette date a été contestée avec raison. En Sicile, l'architecture dans laquelle on emploie l'arc en liers-point est appelée française ou normande, parce que cet arc a été mis en usage à l'époque où les Normands étaient maîtres de Palerme. On s'est appuyé sur ce fait pur démontrer l'origine française de l'ogive (1) ([i]); mais on conçoit que ce n'est là qu'une preuve de peu de valeur.

Cette basilique si somptueuse et si magnifique a été rendue avec un incroyable bonheur par M. Daguerre. Mosaïques, sculptures, tableaux, tous les détails qui en rehaussent l'éclat sont reproduits avec uue parfaite exactitude. On peul dire que ceux qui ont vu l'église de Santa-Maria-Nuova, au Diorama, en ont une idée presque aussi exacte que ceux qui ont visité Morreale. Aprés avoir vu le temple chrétien de Guillaume II, par un brillant soleil, dont la lumière envahit de toutes parts le chœur et les nefs, on y assiste à un sermon qui se prêche la nuit, à la lueur de quelques lampes qui projettent leurs pâles reflets sur une foule de fidèles, rangés autour de la chaire sacrée. Avant d'arriver à cet effet de nuit, l'église passe graduellement du jour le plus éblouissant a l'obscurilé la plus complète. Les ombres grandissent peu à peu, les nefs deviennent de plus en plus profondes, les angles s'effacent insensiblement. Le crépuscule jette encore sur les colonnes et les boiseries du plafond ses reflets incertains, mais bientôt les ténébres les plus épaisses règnent dans tout l'édifice. Le froid saisit, pour ainsi dire, au milieu de cette sombre solitude, d'ou la vie sertible avoir disparu avec la lumière. Voici maintenant la prédication qui va commencer. Une lampe et quelques cierges s'allument autour de la chaire, et montrent le peuple des fidèles agenouillé pour la prière. Cet effet est d'une vérité frappante, et touche de bien près à la réalité. Les profils se dessinent, comme il convient, d'une manière vague, et les ombres sont distribuées avec beaucoup de science. Pour comprendre tout ce qu'il y a d'étonnant dans ce spectacle, il ne faut pas oublier que tout est peint sur la mème toile, et que la lumière qui éclaire le tableau est seule mobile. L'église royale de Morreale est, à notre avis, d'une exécution bien supérieure à l'Eglise de St-Etienne-du-Mont, également peinte par M. Daguerre, et qui, d'ailleurs, a été, avec raison, vivement admirée. Il serait à désirer que le Diorama fût plus populaire. Par malheur, le prix élevé des entrées n'est pas à la portée de toutes les fortunes, et ne le sera pas nécessairement tant que le gouvernement ne viendra pas en aide à une entreprise qui mérite d'être encouragée. Pourquoi ne céderait-on pas, pour y établir un immense diorama, une partie des vastes emplacemens que comprennent les Champs Elysées. Au lieu d'un ou de deux tableaux, on pourrait en faire voir ou huit ou dix, représentant les lieux les plus célèbres et les monumeus les plus curieux. Alors, un certain jour de chaque semaine, le prix d'entrée serait diminué assez pour que la vue de tant de merveilles ne fût pas exclusivement le privilége du riche. Le succès des exercices équestres de Franconi, aux Champs Elysées, devrait décider le pouvoir à faire la concession que nous demandons pour un Diorama.

L.-B.


 



([i]) (1) L'ogive est appelée, en Sicile, arco impastrato, de pastora, entrave, corde dont on lie les pieds des chevaux dans les paturages.

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