domingo, 9 de maio de 2010

COMPTES RENDUS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES

1840

13 de Abril

COMPTES RENDUS  DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES

Janvier-Juin

T. X

Nº. 15

Pag. 587, 588, 589, 590, 591, 592, 593, 594

MÉMOIRES ET COMMUNICATIONS

DES MEMBRES ET DES CORRESPONDANTS DE L’ACADÉMIE.

 

PHYSIQUE APPLIQUÉE. - Sur L’application du Daguerrèotype relativement à la représentation des objets d’histoire naturelle; par M. Turpin.

 

« A la vue des corps temporaires du monde extérieur, nous éprouvons divers sentiments, quelque chose vibre en nous plus ou moins fort, plus ou moins vite, plus ou moins agréablement. Lorsqu’on nous parla la première fois des produits de M. Daguerre, nous eûmes peine à y croire et nous eussions repoussé cette nouvelle comme une fable imaginée à plaisir, si des hommes supérieurs et très capables, qui avaient vu, ne nous avaient pas assuré le fait (1)([i]).

» Jusque-là nous n’admirions encore que la découverte sous le rapport scientifique, nous ne pensions nullement à la perfection presque absolue des produits; imbu que nous étions de nos productions artistiques, soit de dessin, soit de gravure, soit de peinture, soit de sculpture, etc., productions toutes obtenues à l’aide de moyens artificiels, de convention et, par conséquent, imparfaits, je dirais presque monstrueux; dans leurs détails et leur ensemble.

» C’est dans cette disposition d’esprit que nous nous rendîmes chez M. Daguerre. C’est la qu’en voyant ses nouveaux et admirables dessins, nous épronvâmes un sentiment intérieur qui fit vibrer certaines fibres qui jusque alors étaient restées sans mouvement. Ce sentiment, voisin de celui de l’admiration ordinaire, avait quelque chose de particulier qui l’en distinguait, il semblait s’étendre et donner lieu à une jouissance pleine, délicieuse et toute nouvelle.

» Nous sortîmes de l’atelier presque magique de M. Daguerre fortement  préoccupé de tout ce que nous venions de voir et du sentiment particulier que nous avions éprouvé.

» Nous étions dans one position physique et morale dont nous cherchions à nous rendre compte.

« Ce que nous avions ressenti était tout autre chose que ce que fait éprouver la vue de nos salons d’exposition de peinture. En y réfléchissant quelques instants, nous nous aperçûmes bientôt que la différence de ces deux sensations était due à ce que l’une des productions appartenait presque entièrement à la nature, tandis que l’autre était toute de convention, toute de fabrique humaine; enfin a ce que la première n’exige qu’un peu de soin, de surveillance et de direction presque automatique, tandis que la seconde demande de longues études, du goût et une main très docile.

« Nos compositions de dessins, de peinture et de sculpture les plut parfaites, celles où l’artiste s’est le plus assujéti à copier servilement les objets de la nature, sont toujours excessivement fautives, elles fourmillent d’impossibilités dans tous leurs détails et par conséquent dans leur ensemble. L’artiste qui n’agit que sous l’influence de l’école bonne ou mauvaise, qui n’a à sa disposition que des moyens grossiers, la boue et le balai, qui a souvent le tort grave de composer, en rapprochant les uns après les autres divers objets fort étonnés de se trouver en voisinage, ne peut que produire une œuvre qui tourmente l’oeil et l’esprit, de l’observateur, sans que le plus souvent celui-ci puisse exprimer la sensation désagréable qu’il éprouve, et sans qu’il puisse dire antre chose que je n’aime pas ce tableau. Cela vient de ce que ce tableau est incorrect dans see détails, faux dans son ensemble, et de ce qu’en lui tout est art, tout est monstrueux, comme le dirait la nature en voyant ce travail. C’est ainsi que sans être aussi habile, aussi absolu que la nature, le naturaliste, observateur scrupuleux des corps qu’il étudie avec soin, est souvent frappé par des monstruosités impossibles qui se trouvent sur des figures exécutées par des peintres ignorants ou par des peintres dirigés par des naturalistes trop peu versés dans la connaissance des lois qui régissent et subordonnent la constante harmonie de chaque espèce d’être organisé.

«  C’est surtout dans la représentation des végétaux isolés destinés pour la botanique, ou dans celle des végétaux groupés dans les tableaux sous l’aimable nom de fleurs, qu’une foule de monstruosités, tout aussi grandes que celle d’une cinquième jambe sur le dos d’un cheval, frappent les yeux du botaniste organographe.

«  Diderot, en parlant de cette harmonie qui règne entre les choses de la nature et celles qui constitient un être en particulier, dit: « Tournez vos regards sur cet homme dont le dos et la poitrine ont pris une forme convexe. Tandis que les cartilages antérieurs du col s’allongeaient, les vertèbres postérieures s’en affaissaient; la tête s’est renversée, les mains se sont redressées à l’articulation du poignet, les coudes se sont portés en arrière; tous les membres ont cherché le centre de gravité commun qui

convenait le mieux à ce système hétéroclite; le visage en a pris un air

de contrainte et de peine.

« Couvrez cette figure; n’en montrez que les pieds à la nature, et la nature dira sans hésiter: Ces pieds sont ceux d’un bossu (1). ([ii]) »

« Pour représenter cet être difforme, dans l’harmonie particulière duquel chaque fibre est celle d’un bossu, nos moyens ordinaires sont par trop inexacts; ils ne produiraient que des parties mal ajustées: ce serait toujours une chose monstrueuse dans ses détails et son ensemble. Tout grimacerait et l’on n’aurait pas le bossu.

» Au Daguerréotype seul appartient la possibilité de la perfection abslue dans la représentation des corps, claque fois qu’en raison de leurs diverses couleurs et de leur immobilité indispensable, la lumiére peut atteindre l’image et la fixer. Le bossu de Diderot, représenté à l’aide de cet admirable procédé, serait bossu de la tête aux pieds.

» II est remarquable que depuis que M. Daguerre a montré au public les beaux résultats de sa brillante et três utile découverte, on n’ait rien obtenu de plus.

«  Son procédé très simple, mis à la portée de tout le monde, a produit dans des mains moins exercées que les siennes beaucoup d’images médiocres ou mauvaises, mais aussi beaucoup qui sont tout aussi parfaités; tout aussi admirables que les plus belles de l’auteur.

« Si ce pracédé et ses résultats, dans lequel la science a tout fait et l’art si peu malgré que le but soit tout artistique; si ce procédé, disons-nous, est destiné au progrès et à une plus grande perfection, on doit s’étonner que jusqu’à ce moment il soit resté stationnaire, quoique manié tous les jours par des hommes nombreux et habiles et par d’illustres savants qui s’efforcent d’en expliquer les causes et les effets les plus intimes.

«  Nous n’entendons parler ici que des images obtenues dans le public et comparées à celles de M. Daguerre, et nullement de toutes ces petites, mais utiles améliorations apportées chaque jour par des hommes laborieux dans les diverses pièces de l’appareil, et dans les divers moyens que l’on prépare et que l’on offre à l’action de la lumière qui, dans ce travail, est le seul artiste, et dont le faire est essentiellement différent de celui de l’homme.

« Faut l’avouer, jusqu’ici les beaux résultats. obtenus par M. Daguerre n’ont été dépassés par personne.

«  La découverte en est toujours au même point où elle était au moment où il la communiqua au public. Elle nous semble une colonne d’airain autour de laquelle tournent un grand nombre d’individus, dont les efforts très louables ne peuvent y rien ajouter.

«  Cependant ces images, tout admirables qu’elles soient sous le rapport de leur exactitude absolue, dans les plus petits détails, dans la grandeur relative des parties, dans les perspectives de trait et aérienne, dans les ombres, les demi-teintes et les lumières, rigoureusement produites à leurs véritables places; ces images laissent encore beaucoup à desirer sur quelques points.

» Les corps noirs, tels que draperies, chapeaux, habits, cravattes, quoique offrant à nos yeux des effets d’ombre et de lumière, ne présentent sur les images daguerriennes que des contours, trés fideles à la Vérité, mais comme remplis par une couche de noir bien égale. Le traivail des demi-teintes est admirable, mais comme il manque de lumières vives ou piquées, l’image manque par cette raison d’animation, et cela à un tel point que nous ne pouvons voir un sujet extérieur sans avoir envie d’y figurer une petite lune dans l’un des coins du ciel monotone, et une petite lampe pour éclairer les sujets intérieurs. Ces deux indications d’éclairage ajouteraient singulièrement à l’illusion des objets représentés.

«  On a essayé, sans aucun succès jusqu’à ce jour, de fixer sur la plaque d’argent l’image daguerrienne par la morsure au moyen d’acides, comme on le fait pour tous les autres genres de gravure. On a cherché, long-temps après que MM. Niépce et Daguerre y avaient renoncé, à reproduire ces essais. Chacun de nous peut se souvenir combien ces nombreuses épreuves, présentées à l’Académie, étaient molles, sans détails, sans effets, et combien elles ressemblaient à ces épreuves d’essui que font les imprimeurs en taille-douce, sur de mauvais chiffons de papier, lorsque après le tirage d’une planche ils veulent arracher des creux de la gravure la derniére particule d’encre qui peut encore s’y trouver (1) ([iii]).

» On a encore cherché, en combinant l’action microscopique à celle du Daguerréotype, à produire, sur une grande échelle, de tres petits corps organisés. Mais là encore, on a été tout aussi malheureux, puisqu’il est vrai que les images de ces corps qui nous ont été présentées n’étaient absolument bonnes à rien sous le rapport de l’agrément et surtout sous celui de l’instruction.

» La moins mauvaise de ces images est celle de M. Daguerre qui représentait les filières et le croupion d’une Araignée.

« Nous avons vu ensuite une Puce de profil dont toute la silhouette, très exacte sarns doute, n’offrait qu’une seule teinte plate et très noire.

» Lundi dernier, c’était l’image de l’Acarus de la gale humaine (2) ([iv]), même dimension, même silhouette avec quelques détails fort obscurs dans l’intérieur, parce que l’insecte est beaucoup moins coloré que la Puce, mais toujours dans un vague désespérant sous le rapport des nombreux et très remarquables organes extérieurs et intérieurs que montre cet arachnide et dont le plus grand nombre manquait absolument. Les huit pieds, si différents entre eux et si singulièrement caractérisés, sans doute à cause de leurs mouvements, existaient à peine, ou plutôt n’existaient pas sur cette figure. La bouche, l’œsophage , le vaste estomac, l’ovaire, l’œf ovoïde et réticulé chez les femelles, la lève supérieure en forme de stylet; et 1a lèvre inférieure ou sternale en forme de pelle, les pieds-mâchoires,  et les deux petits yeux cristallins si difficiles à voir; 1es deux grandes poches pulmonaires situées latéralement et dans la partie antérieure du corps; les nombreuses stries saillantes et transversales qui solidifient la carapace ou la peau cornée de l’insecte en-dessus et en-dessous; les nombreux tubercules symétriquement disposés sur le dos, les épaules, et terminés, chacun par une pointe ou épine plus ou moins longue et dirigée de haut en bas; les diverses couleurs enfin qui aident à distinguer les organes de cet Acarus; tout cela, et beaucoup d’autres choses qu’il serait trop long d’énumérer dans cette courte Notice, manquaient absolument et prouvaient l’insuffisance et l’inutilité de cette image d’essai, qui, en effet, n’offrait tout au plus que l’ombre de l’Acarus de la gale humaine (1) ([v]).

» Loin de nous la pensée de blâmer les travaux d’observation, d’essais, et d’expériences par voie de tâtonnements ou d’à priori, puisque ce n’est que par ces deux moyens que l’on arrive aux découvertes. Mais nous croyons qu’il serait tout-à-fait dans l’intérêt de la science et dans celui des chercheurs, de n’apporter à l’Académie que des faits véritablement nouveaux et pouvant être utiles à quelque chose, ce dont il serait facile de s’assurer en consultant à l’avance les hommes spéciaux dans chaque genre de connaissances (2) ([vi]).

« Le naturaliste consulté aurait dit: votrre croupion d’Araignée, votre Puce, votre Acarus, ne sont bons à rien parce que vous n’obtenez que l’ombre ou la silhouette de la chose, et qu’en histoire naturelle tous les détails doivent être sévèrement accusés et mis en lumière.

«  L’artiste, en voyant les épreuves obtenues de dessins photogéniques  sur argent, et gravés à l’aide de la morsure dirait: ne les montrez pas, elles sont par trop inférieures pour trouver place parmi nos besoins, cachez les, et en cela vous imiterez la modeste réserve de MM. Daguerre et Niépce qui, aprés tant d’infrucfueux essais, y avaient complétement renoncé parce qu’ils étaient convaincus que deux vices radicaux, inhérents au procédé du Daguerréotype, s’opposeraient constamment à la possibilité d’obtenir des eaux fortes passables d’après des dessins photogéniques.

«  Les mêmes dessins photogéniques, reçus sur papier sensible, n’offrent rien de plus quant à la précision qu’exigent les objets d’histoire naturelle, il y a toujours là une mollesse et un vague dans les détails qui s’y opposent.

» Parmi les nombreux dessins de ce genre présentés a l’Académie par M. Biot, de la part de M. Talbot, nous en possédons un qui est la représentation d’après nature, d’un orme dépouillé de ses feuilles pendant l’hiver.

« Cette image, quoique peu arrêtée sur les bords de ses contours, quoique ayant les derniéres ramilles de l’arbre dans un véritable état de confusion, à cause de l’air qui les agitait au moment où l’image était reçue dans la chambre obscure, quoique n’offrant qu’une teinte plate et brune sur l’épaisseur des branches; cette image, dans ce qu’elle est, a un caractère de vérité, d’allure spéciale, qu’aucun peintre de paysage n’a jamais rendu et ne pourrait rendre quelques soins et quelques peines qu’il apportât dans l’exécution de son dessin.

«  De semblables figures qui peuvent être justement comparées pour leur absolue exactitude à l’ombre de l’arbre projetée sur un mur blanc ou à ce même arbre se mirant dans une eau pure et tranquille, seraient d’une grande utilité, comme études de porte-feuilles, pour les peintres paysagistes. En obtenant presque sans frais et en très peu de temps ces images d’arbres et d’arbustes pendant l’hiver ils auraient des squelettes, rigoureusement vrais, pour leurs effets de neige ou sur lesquels, sans pouvoir trop s’égarer, sans perdre l’allure de l’espéce, ils n’auraient plus qu’à masser le feuillage comme sur le squelette humain on reléve les muscles.

«  Si jamais le procédé daguerrien parvenait a donner tous les détails de l’Acaruss de la gale humaine, comme ceux que l’on peut voir sur les dessins coloriés que j’ai l’honneur de mettre sous les yeux de l’Académie, il aurait d’immenses avantages, parce que ce qui nous a coûté plus de quinze jours d’étude et de travail, ce qui a nécessité la connaissance du naturaliste et l’habileté du peintre, s’obtiendrait par le premier-venu en quelques instants et serait, comme dessin monochrome (1) ([vii]), incomparablement plus parfait.

Mais nous sommes loin d’être ià.

» Espérns. (2) ([viii]) »



([i]) (1) M. Arago.

([ii]) (1) Essais sur peinture.

([iii]) (1) Nous lisons dans le Compte rendu de la dernière séance, page 583, M. Donné adresse un paquet cacheté portant pour suscription: « Description de mon procédé de gravure des images photographiques sur les plaques d’argent.

Ce qui intésse le public en toute chose, c’est le résultat. Sur cela seulement il juge.

Lorsque M. Daguerre trouva bon de nous instruire de sa découverte, lorsqu’il la crut assez parfaite pour être dignement annoncée au public, il n’eut point recours à ces paquets cachetés, véritables paquets que l’on ne décachète que bien rarement; il se contenta de dire, venez voir: on y fut, et l’on admira. On se dit ensuite : le procédé qui conduit à un semblable résultat est d’une grande valenr.

([iv]) (2) Scarcoptes hominis. S. Scabiei.

([v]) (1) Image présentée par M.Vincent Chevalier, et obtenue par lui au moyen du microscope solaire achromatique, avec grossissement d’environ 145 fois le diamètre.

([vi]) (2) Une chose presque aussi rare que la découverte de M. Daguerre c’est que l’auteur ait pu garder son secret pendant plusieurs années. Cela ne peut se comprendre que chez un grand artiste pour lequel la perfection artistique élait le but principal. Il est certain que s’il n’eût été que savant, il aurait gâté son affaire en I’émiètant et en nous I’apportant à l’Académie, par parcelles, chaque lundi.

Son nom n’aurait pas été attaché à la découverte, parce que tout le monde s’en serait mêlé, comme depuis, et qu’alors c’eût été l’œuvre du temps et l’œuvre de tous. De là, point de récompense nationale pour personne.

([vii]) (1) Sous le rapport de la couleur nous n’avons encore rien obtenu, car ce n’est pas de la coloration que des dessins qui, capricieusement, se montrent plus ou moins ardoisés, rougeâtres ou verdâtres

([viii]) (2) Notre figure artificielle de  l’Acarus de la gale humaine est beaucoup plus parfaite que toutes celles publiées jusqu’à ce jour, parce que nous y avons mis tous nos soins, notre longue habitude dans ce genre d’iconographie microscopique, et tout le temps nécessaire dans l’exécution très difficile de cet objet. Cette figure, comme chose relative, paraît très satisfaisante, et est admirée dans ses nombreux détails parce que nous ne connaissons rien de mieux. ais que le Daguerréotype parvienne à en produire une avec tous ces détails bien accusés, la nôtre ne sera plus auprès qu’une grossière caricature de L'Acurus, et alors nous ne balancerons pas à ladétruire malgh même l’avantage du coloris. II en serait de mêrne,à plus forte raison, de tous nos tableaux pris à l’œil et exécutés par main d’homme.

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