quinta-feira, 17 de junho de 2010

L’ARTISTE

1839
L’ARTISTE
2e Série
 Tome IV,
1e Livraison
Pag. 1, 2, 3
Le
 
DAGUÉROTYPE
 
Nouvelle Expérience
 
Dimanche passé, nous vous avons démontré de la façon la plus claire tout le système de M. Daguerre. Ce que nous vous disions ce jour- la, nous l'avions été prendre comme tout le monde, à 1'Académie des Sciences, pendant que M. Arago lisait ce savant rapport dont toute la France s’est émue. Seulement, tout en vous expliquant de notre mieux ces détails matériels qui nous paraissaient d'une exécution bien difficile, nous trouvions à part nous, de deux choses l'une, ou que le Daguérotype n'était qu'un instrument à la portée du petit nombre, ou bien que le rapport de M. Arago était effrayant et incomplet. Dieu merci ! c'est le rapport de M. Arago qui a tort. M. Arago, en le faisant, ce rapport, n'a pas songé aux pauvres intelligences vulgaires; il a parlé purement et simplement la langue de la science, et nous autres, arretés à l'écouter, nous avons crié que le Daguérotype était véritablement un miracle, mais un miracle qui n'appartiendrait de longtemps qu'a M. Daguerre, et voilà justement ce qui nous chagrinait si fort.
Alors M. Daguerre, justement inquiet de se voir expliqué d'une façon si formidable par M. Arago, aussi bien que par nous-mêmes, nous a fait l'honneur de venir lui-même chez nous, dans notre maison; et nous trouvant réunis, qui parlions encore d'iode, de sulfite, d'iodure d'argent, d'hypo-sulfite et de chambre noire:
-Vous avez tort, nous a-t-il dit, de crier à l'impossible! Mon procédé exige, il est vrai, quelques soins, mais ces soins-là je les ai mis à la portée de tous. Vous-mêmes, qui n'êtes que des critiques, des gens de lettres, des veurs, des hommes que j'aime cependant, parce que personne ne parle mieux que vous et que vous avez singulièrement aidé à la popularité de ma découverte, oui, vous-mêmes, si naturellement maladroits et qui n'avez jamais fait, que je sache, œuvre de vos dix doigts, je veux que vous veniez à l'instant à mon troisiéme étage, et je vous ferai exécuter, séance tenante, un beau dessin si exact, si vrai, si limpide, que jamais Raphaël en personne n'en a fait un si beau. Aussitôt nous voilà tous criant: bravo! entourant et suivant M. Daguerre, aussi fiers que des enfants à qui leur père, le colonel, va faire tirer leur premier coup de fusil.
Nous sommes donc arrivés chez M. Daguerre; nous sommes entrés, non sans émotion, dans ce petit cabinet où s'opèrent tant de merveilles. La maison est située sur le boulevart Saint-Martin. nº 17, vis-à-vis le théâtre de l'Ambigu-Comique, qui ne s'attendait pas à tant d'honneur. Le cabinet de M. Daguerre est des plus simples: ce sont des gravures assez belles, des plâtres assez médiocres, des cornues, des bocaux, en un mot de quoi se faire brûler vif il y a quelques centaines d'années. Sur la table de M. Daguerre était déjà placée la boîte pour la vapeur d'iode.  Le mystère a commencé tout aussitôt.
M.Daguerre a pris une planehe de cuivre légèrement plaquée en argent; sur cet argent M. Daguerre passe son acide; l'acide essuyé, il jette un peu de pierre-ponce qu'il essuie tout comme l'acide. Ceci fait, et la chose est très-simple, il attache, avec des vis préparées à l'avance, et tout autour de la plaque, un léger rebord du même métal. La plaque ainsi disposée, on la place dans la boîte iodée. L'iode est au fond de la boîte qui jette à traves une gaze sa vapeur sur ce miroir. Dans le cabinet les rideaux sont tirés, il est vrai, mais cependant la nuit n'est pas si profonde qu'on ne puisse très-bien se voir les uns les autres. De temps en temps M. Daguerre tire sa plaque de sa boîte; et ne la trouvant pas assez chargée d'iode, il la remet à sa place jusqu'à ce qu'enfin l'iode se soit également répandu sur cette surface, qui a pris la couleur de l'or. Cette operation demande un quart d'heure à peine. Ceci fait, vous placez votre plaque colorée dans une espèce de portefeuille en bois. La chambre obscure vous attend dans un appartement voisin. Vous choisissez le point de vue que vous vaulez reproduire; vous introduisez dans la chambre obscure votre plaque iodée, sans découvrir l'enveloppe qui la protége. Une fois dans la chambre, l'enveloppe s'entr'ouvre par un petit ressort, et aussitôt le prodige commence. La lumière arrive alors de toutes parts, jetant sur cette plaque toute sa puissance et toute sa vie. Le monde extérieur se reflète dans cette glace miraculeuse. A ce moment le soleil était légèrement voilé. - Nous aurons besoin de six minutes, dit M. Daguerre en tirant sa montre. Et en effet, au bout de six minutes il refermait la boîte dans laquelle étaient contenus la plaque, et avec la plaque, tout ce beau paysage invisible à l'oeil. Maintenant il ne s'agissait plus que de dire à cet univers caché: Montre-toi. Une autre boîte était préparée, elle contient le mercure; au moyen d'une lampe, ce mercure est échauffé jusqu'à ce qu’il atteigne cinquante degrés; alors peu à peu et au travers d'une glace placée là tout exprès, vous voyez la toute-puissante vapeur marquer chaque partie de la plaque, du ton qui lui convient. Le paysage vous apparaît comme s'il eût été tracé là par le pinceau invisible de la reine Mab, la reine des fées. Quand l'oeuvre est finie, vous retirez la plaque, vous la placez dans l'hypo-sulfite; aprés quoi vous jetez sur cette plaque de l'eau tiède. L'opération est terminée, le dessin est entier, complet, inaltérable. Tout cela dans une heure tout au plus.
Votre dessin achevé, si vous ne voulez pas le placer sous un verre tout de suite, vous le placez dans une boîte à raînure, dans laquelle le frottement est impossible, et même sans avoir été passé à l'hypo-sulfite et a l'eau chaude, votre dessin fera deux fois le tour du monde. Ainsi cette opération, qui paraissait presque impossible racontée par M. Arago, est des plus faciles et des plus simples, exécutée par M. Daguerre. Nous avions donc bien raison de regretter l'autre jour que M. Daguerre n'eût pas démontré lui-même au public, impatient d'une pareille nouveauté, le nouvel instrument auquel M. Daguerre a donné son nom. A voir de ses yeux l'opérateur si à l'aise avec son instrument, à toucher cet instrument de ses mains, le public eût été ravi et transporté d'admiration. Il se fût convaincu qu'avcc un peu d'habitude et les précautions les plus faciles, le Daguérotype était tout à fait un instrument à sa portée. Il eût pensé que toutes les terribles menaces de M. Arago, à propos d'un peu plus ou d'un peu moins d'iode, de mercure, de sulfite, d'ombre ou de soleil, n'étaient pas des menaces sans appel. Encore une fois, depuis que nous avons vu l'instrument, c'est-à-dire les trois boîtes dans lesquelles s'opère le prodige, nous sommes heureux de reconnaître qu'avant peu on se servira du Daguérotype tout comme on se sert à l'heure qu'il est du Diagraphe Gavard.
Ainsi vous voilà bien avertis. Relisez avec soin notre article de dimanche passé sur le Daguérotype;cet article est complet, la description de l'instrument est des plus claires et des plus exactes, pas one préparation n'a été oubliée. De grands chimistes, et entre autres un des plus illustres de ce temps-ci, un homme qui sera l'honneur de l'Académie des Sciences quand L'Académie des Sciences l'aura adopté, M. Desprez, trouvait lui-même que, dans cette circonstance, nous avions véritablement parlé la langue scientifique. Nous n'avons donc à retirer de cet article que les conclusions relatives aux difficultés sans nombre de l'opération. Ceci était moins notre faute que celle de M. Arago, et aussi la faute du public, qui s'était maladroitement épouvanté. En effet, pour nous servir d'une comparaison qui est juste, mais triviale, ouvrez la Cuisinière bourgeoise, et lisez l'article Fricassée de poulet. Ceci n'est guère difficile à faire, et pourtant à lire seulement les détails de cette préparation il y a de quoi arrêter l'essor de tous les cuisiniers novices.
Au reste, M. Daguerre, qui veut, à présent qu'elle n'est plus à lui, populariser son invention autant que possible, se propose de démontrer son instrument au public, comme il nous l'a démontré avant-hier à nous-mêmes. De son côté, M. le ministre de l'intérieur, qui tient à honneur de propager cette merveilleuse découverte, dont il a été l'appui tout-puissant auprès des Chambres, a mis à la disposition de M. Daguerre la plus vaste salle de cet immense palais du quai d'Orsay, qui, au moins ce jour-là, sera bon à quelque chose. Cette salle sera préparée avant peu pour l'usage auquel le ministre la destine. Là, M. Daguerre sera posé a merveille, et il pourra reproduire tout à  l'aise, le Louvre, le palais des Tuileries, l’Arc de triomphe, ou les tours de Notre-Dame. Deux cents spectateurs, tout autant, seront admis ces leçons du maître, et sans nul doute, une seule leçon, aidée de la brochure que publie M. Daguerre, suffira pour faire de ces deux cents spectateurs autant de démonstrateurs. Si bien qu'en huit ou dix leçons, l'inventeur du Daguérotype aura engendré autant de maîtres qu'il aura eu de disciples; et pour compléter cet enseignement, une fois par semaine M. Daguerre tiendra, chez lui, cour plénière pour recevoir les réclamations des nouveaux adeptes. Nous ne voyons donc pas qu'il y ait là aucune difficulté insurmontable; au contraire, tous les obstacles nous paraissent levés maintenant.
Quant au prix de quatre cent cinquante francs que l'on demande à cette heure pour l'appareil complet, ce prix-là nous paraît toujours absurde, sinon odieux. Que diable! une chambre noire de dix-huit pouces, une boîte en bois blanc pour l'iode, une autre boîte en bois blanc pour le mercure, un réchaud à l'esprit-de-vin et un thermomètre Réaumur, ne vaudront jamais pareille somme; sans compter que les planches de cuivre plaqué se paieront non pas vingt francs, mais bien sept francs la pièce, ce qui est déjà cruellement cher. Mais patience! laissons passer les plus pressés, laissons les riches et les heureux de ce monde satisfaire, à tout prix, à leur moindre fantaisie. Nous autres artistes, pauvres diables, qui n'avons jamais eu quatre cent cinquante francs dans notre vie, nous aurons avant trois mois le Daguérotype complet pour une dizaine de louis payables en vingt paiements.

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