domingo, 25 de outubro de 2009

1851
LA LUMIÈRE
9 de Fevereiro
Nº 1
Pag. 2, 3


FRANCIS WEY
DE L’INFLUENCE DE L’HELIOGRAPHIE SUR LES BEAUX-ARTS,DE L’INFLUENCE DE L’HELIOGRAPHIE SUR LES BEAUX-ARTS
Il y a deux mois, l'un des plus habiles praticiens du procédé nouveau de la photographie, M. Le Gray, envoyait au jury de l'exposition de 1850 neuf dessins sur papier représentant des paysages, des portraits d'après nature, et d'après des tableaux. Quand on eut admiré la perfection surprenante des résultats obtenus, l'on se trouva embarrassé pour classer des ouvrages dignes de rivaliser avec les œuvres d'art les plus achevées, et qui toutefois, accomplis par un procédé purement théorique, ne se rattachent point d'une manière directe à la pratique du dessin. Rangées parmi les lithographies, les œuvres de l'habile héliographe furent annoncées sous cette rubrique au Livret de l'exposition actuelle.
Mais il survint une sous-commission qui, envisageant la question à un autre point de vue, fit retirer les dessins de M. Le Gray.
Les premiers juges les avaient considérés comme œuvres d'art ; les seconds les ont classés parmi les produits de la science. Nous serions fort empêché de savoir à qui donner raison.
Evidemment l'héliographie procède de la chimie et de la physique ; mais de toute évidence aussi, cette découverte, perfectionnée de jour en jour, est appelée à exercer dans le domaine de l'art une influence immédiate et profonde.
Appelé naguère à examiner les derniers résultats obtenus par des hommes studieux, zélés et pleins d'expérience, nous avons été frappé d'un étonnement très vif. La photographie est, en quelque sorte, un trait d'union entre le daguerréotype et l'art proprement dit. Il semble qu'en passant sur le papier, le mécanisme se soit animé ; que l'appareil se soit élevé à l'intelligence qui combine les effets, simplifie l'exécution, interprète la nature et ajoute à la reproduction des plans et des lignes l'expression des sentiments ou des physionomies.
En effet, la photographie s'exerce sur une gamme de tons excessivement étendue. Depuis l'indication fugitive et vaporeuse, mais précise encore, telle que M. Vidal parvient à la fixer d'un souffle, jusqu'au relief violent et contrasté de Rembrandt, jusqu'à une intensité de tons qui défie les ressources de la gravure. Telle est la souplesse de cet instrument, qu'il justifie successivement les genres les plus opposés, les qualités les plus diverses, et même les manières les plus individuelles. Dans une série de paysages et d'autres sujets, nous avons vu tour à tour des Joyant et des Piranèse, des Decamps, des Metzu, des Corot, des Ruysdaël, des Marilhat, fortuitement éclos de la seule fantaisie de la nature. On eut dit qu'elle s'était plu, avec une docilité capricieuse, à rendre hommage à la plupart des peintres qui l'ont si diversement encensée.
Telle est donc la première réponse de cette nature jusque-là muette, questionnée tant de fois, et qui se prêtait, inerte, à de si nombreuses hypothèses. L'héliographie lui donne une voix, l'arme d'un langage et l'invite à rédiger ses Mémoires.
Fait consolant et bizarre ! elle consacre à peu près tout ce que l'opinion publique a successivement exalté. Ainsi l'esthétique pure n'a rien à perdre à cette épreuve ; elle ne peut qu'y gagner en hardiesse, en expérience, tandis que les couches inférieures de l'art, celles où le succès douteux dépend de la routine, du procédé manuel, et se limite à la tradition stérile, se trouvent dissoutes et annihilées.
Il est arrivé plus d'une fois que certains genres, investis d'une vogue passagère, ont disparu avec la mode qui les avait recommandés. Sans parler des traits à la silhouette, et pour se borner à des productions plus relevées, rappelons les lavis à l'encre de Chine, puis à la sépia, si fort appréciés sous Louis XVI ; plus tard, les gouaches, compromis harmonieux et terne entre le dessin et la peinture ; puis les petits crayonnages tels que les exécutait Lantara, si souvent imité… La passion de l'effet, l'amour de la couleur ont fait pâlir ces pratiques mal défendues par l'artifice du métier. L'aquarelle a remplacé ces procédés ; puis la peinture à l'huile est devenue si populaire, que l'aquarelle à son tour se voit supplantée.
Au fond, ce qui tend à s'effacer d'une manière constante, c'est la marque sensible de la manutention, c'est l'artifice du procédé et la complication du travail. A moins de se rapprocher du dessin, ou de paraître empreinte d'une forte émanation de la couleur, la gravure devient froide à nos yeux ; la classique vigueur des tailles est de moins en moins appréciée. La lithographie, plus ou moins immédiatement assimilable au dessin naïf, fait des progrès incessants.
C'est dans ces circonstances que se présente l'héliographie : que produira-t-elle ? Sans contredit, d'anciens genres vont disparaître, une révolution s'effectuera, lente, profonde, et salutaire comme toutes les révolutions vraiment dignes de ce titre. Mais ce qui doit advenir, est-il possible déjà de le pressentir ? Assurément.
Précisons en quatre mots le résultat définitif : les artistes vraiment originaux, loin d'être atteints, devront à l'invention nouvelle des ressources imprévues, et prendront un plus large essor. Les gens de métier, les mécaniques, ainsi que l'on disait jadis, seront abattus.
La photographie traduit à merveille : pour la surpasser, il faudra traduire et interpréter. Elle est donc propre à faire ressortir les qualités personnelles de dessinateurs tels que M. Desmaisons, qui copie Vidal avec tant de finesse ; que M. Soulange-Tessier qui a, cette année, retracé Descamps avec souplesse ; que M. Monilleron, l'aigle de la lithographie, qui s'assimile par des qualités particulières les compositions dont il s'inspire ; que M. Aubry-Lecomte, qui séduit par la dextérité charmante, par la finesse et la précision de son crayon, ou que M. Français, le plus subtil commentateur de nos paysagistes.
Ce dernier nous fournirait des exemples faciles à saisir. Pour en choisir un seul, il est certain que la photographie reproduirait avec une incomparable fidélité la Matinée de M. Corot ; mais elle ne compléterait pas le tableau, elle n'en interpréterait pas l'esprit, elle n'en éclairerait pas l'intention poétique en y ajoutant comme l'a fait M. Français, dans sa lithographie, l'impression d'une pensée personnelle et délicate.
Cependant, la photographie est très souple, surtout dans la reproduction de la nature ; parfois, elle procède par masses, dédaignant le détail comme un maître habile, justifiant la théorie des sacrifices, et donnant, ici l'avantage à la forme, et là aux oppositions de tons. Cette intelligente fantaisie est beaucoup moins libre dans les daguerréotypes sur plaques de métal. Il y a plus : le goût particulier du photographe perce dans son œuvre, pour matérielle qu'elle semble ; les épreuves obtenues par des artistes sont supérieures à celles des érudits. Les premiers choisissent mieux leurs sujets, recherchent avec succès des effets dont ils ont le sentiment inné, et l'influence de l'individu est assez perceptible pour que les amateurs–experts, à la vue dune planche sur papier, devinent d'ordinaire le praticien qui l'a obtenue.
Ces explications fournies, abordons succinctement une étude curieuse, celle des diverses branches de l'art que la photographie met en péril ; puis, signalons, parmi les travaux des artistes, ceux qui sont destinés à fructifier de cette invention. Nous n'aurons pas à nous préoccuper de ce qui échappe à cette atteinte ou se soustrait à cette influence, car elle ne laissera rien d'intact et se fera sentir partout.
Le résultat le plus complet, le plus destructif, portera sur les dessins, les gravures ou les lithographies représentant des villes, des monuments, des églises, des ruines, des bas-reliefs, et en général des sujets d'architecture. Sur ce terrain, la lutte serait chimérique : une médiocre épreuve héliographique du portail de Chartres ou de Bourges sera toujours préférable, et comme fini, et comme réalité, et comme relief, et comme précision, à la gravure la plus accomplie. Dans ces sortes de sujets, la reproduction plastique est tout, et la photographie en est la perfection idéale.
Telle est même la puissance presque fantastique du procédé, qu'il permet à l'examinateur d'un dessin d'architecture de l'explorer comme la nature même, et d'y faire des découvertes inaperçues sur le terrain. Cette assertion sera éclaircie et appuyée par une récente anecdote.
Il y a quinze mois, M. le baron Gros, alors ministre plénipotentiaire en Grèce, fixa, par le moyen du daguerréotype, un point de vue pris à l'Acropole d'Athènes. Là se trouvaient disséminés des ruines, des pierres sculptées, des fragments de toute espèce. De retour à Paris, à la suite d'une mission délicate et honorablement remplie, M. le baron Gros revit ses souvenirs de voyage, et considéra, à l'aide d'une loupe, les débris amoncelés au premier plan de sa vue de l'Acropole. Tout à coup, à l'aide du verre grossissant, il découvrit sur une pierre une figure antique et fort curieuse, qui lui avait jusqu'alors échappé. C'était un lion qui dévore un serpent, esquissé en creux et d'un âge si reculé, que ce monument unique fut attribué à un art voisin de l'époque égyptienne. Le microscope a permis de relever ce document précieux, révélé par le daguerréotype, à sept cents lieues d'Athènes, et de lui restituer des proportions aisément accessibles à l'étude.
Ainsi, ce prodigieux mécanisme rend ce que l'on voit et ce que l'œil ne peut distinguer ; si bien que, comme dans la nature, le spectateur en se rapprochant plus ou moins, à l’aide de lentilles graduées, perçoit les détails infinis, quand l'ensemble des objets ne suffit plus à sa curiosité.
On conçoit que l'héliographie, s'exerçant sur une surface plane comme la toile d'un tableau, en reproduit l'image et l'effet avec une exactitude mathématique. Il y a là une précieuse ressource pour obtenir, à l'usage du graveur, des réductions excellentes ; mais la supériorité même du résultat condamne à périr comme insuffisante toute autre copie bornée à la seule imitation, sans coopération de la pensée qui rehausse d'un esprit particulier la traduction du modèle. Morghen, Nicolas Chapron, graveur des loges de Raphaël d'Urbin, donnent assurément du maître une idée plus haute et plus complète que ne le ferait le daguerréotype. Un portrait rendu par Nanteuil ou par Drevet, d'après Mignard ou Rigault, vit deux fois, respire d'un double souffle, et c'est ainsi que le portrait gravé de Bossuet est supérieur à l'original. L'héliographie ne peut aller au-delà de son modèle : c'est un fidèle agent, ce n'est pas une intelligence. Mais, on le pressent avec nous, ce procédé matériel, invincible dans les limites de son domaine, abolit virtuellement toute autre imitation réduite à n'être rien de plus.
Tout dessinateur, tout lithographe, ou tout graveur dépourvu des inspirations de l'artiste, risquera donc de se voir supplanté, et entre deux machines, la plus parfaite, la plus rapide, la moins coûteuse, sera nécessairement préférée. N'est-il pas étrange et providentiel que les révolutions opérées par les progrès de l'intelligence humaine surviennent si à propos et se présentent juste à l'heure où des solutions sont attendues ? Sous le régime libéral et peu éclairé qui a gouverné les arts depuis vingt ans, le nombre des artistes s'est multiplié et le talent s'est éparpillé en petite monnaie. Quiconque eut à sa disposition une influence, a été à même d'exploiter son heureuse médiocrité, et, pour s'improviser artiste, il a suffi de quelque habileté pratique mise en valeur par l'enrôlement dans une coterie. De là cette cohue de peintres, sans cesse recrutée, qui absorbe les ronds de l'Etat, inonde le pays de productions vaines et enlève, par une concurrence illimitée, la légitime assistance du gouvernement aux hommes supérieurs, aux artistes éminents condamnés à la gêne et à la stérilité. Cette armée de peintres des deux sexes étant désormais impossible à défrayer, il devenait aussi indispensable qu'impossible de trancher dans le vif et d'opérer un triage que l'héliographie a pour mission d'accomplir, dans un temps donné, avec une équité parfaite. Cette découverte, il faut se hâter de le dire pour intimider les ambitions vulgaires, amènera la destruction des couches inférieures de l'art.
La comparaison des œuvres débiles avec la reproduction pure et véridique de la nature, régénérera le goût public et le rendra difficile. Une estampe photographiée sera préférée à une peinture vicieuse, car elle satisfera davantage. La classe aisée, qui ne s'élevait que jusqu'au portrait à bas prix, d'une fidélité douteuse, adoptera forcément la photographie si limpide, si précise, si animée dans ses produits ; et quand on pourra, pour un prix modique, se procurer l'image exquise du paysage que l'on aime, du site où l'on a rêvé, du coteau où s'élève le toit natal, du tableau que l'on a goûté, l'on délaissera les mauvais tableaux, les méchant dessins et les gravures médiocres.
Combien d'honnêtes gens se verront contraints de renoncer à un métier sans profit et sans gloire, de chercher fortune ailleurs, de rendre libre, comme on eût dit autrefois, le chemin qui conduit au temple des arts ; de se faire justice enfin, en quittant la peinture, qui n'est pour eux qu'une séduction perfide, et n'aurait jamais dû devenir le gagne-pain de la médiocrité !FW
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