domingo, 25 de outubro de 2009

1851
LA LUMIÈRE
nº. 2

FRANCIS WEY
DE L’INFLUENCE DE L’HELIOGRAPHIE SUR LES BEAUX-ARTS (SUITE)COURTES REFLEXIONS SUR L’EXPOSITION DE 1850

Quand un laboureur promène à travers champs le soc affilé de la charrue, que de folles herbes, que de plantes parasites, de racines mortes et de fleurs inutiles ne le voit-on pas trancher et anéantir à la surface de la terre ! Cependant, son entreprise est salutaire, sa destruction est féconde : purgé des végétations gourmandes, le sol donnera au bon grain qui lui sera confié tous ses sucs nourriciers, et, l'hiver venu, la plaine changée en un tapis vert offrira l'espoir d'une moisson pure et dorée.
Telle est l'action future de l'héliographie dans le vaste champ des arts. Nous avons entrevu la destinée des herbes parasites ; occupons-nous de la moisson.
Il est aisé de signaler, dès aujourd'hui, les résultats bienfaisants d'une découverte qui fera de nouveaux progrès sous l'impulsion des élus de la science. Dans notre pensée, le talent du portrait n'a qu'à gagner à la rivalité de la photographie : d'abord, la peinture, loin de rien redouter, est susceptible d'acquérir, du côté du modelé, du dessin, certaines qualités plus solides, en possédant un moyen facile de se rendre compte de l'état exact des ombres et des demi-teintes, transportées de la nature sur une surface plane. A côté d'un résultat précis, l'à peu près devient de plus en plus suffisant ; le génie de l'artiste se verra donc contraint à dépasser par la vraisemblance ou l'esprit de l'interprétation, la puissance de la vérité matérielle. Et comme la perfectibilité humaine est illimitée, elle triomphera de ces obstacles heureux.
Ils sont considérables, cependant : l'héliographie, à l'état actuel, s'empare d'une image si rapidement, que le praticien est à même de saisir au vol l'expression la plus animée, la plus caractérisée, la plus fugitive ; une seconde lui suffit pour dérober le sourire, le nuage qui assombrit un instant la physionomie, la lueur intelligente qui l'éclaire quand le modèle va parler.
Si ces précieuses leçons ne sont pas perdues, l'art de peindre l'expression s'élèvera jusqu'au sublime. Comme le daguerréotype est impuissant à donner aux images la couleur et les dimensions de la nature (deux moyens importants de pousser la réalité jusqu'à l'illusion), le portrait peint et le portrait de grandeur naturelle resteront hors de toute concurrence. Seulement, ils s'exécuteront dans des conditions plus rigoureuses ; ils pourront et ils devront posséder, avec leurs qualités propres, celles dont la photographie aura dicté l'exigence.
Quant aux portraits de petite dimension, ils résisteront pourvu que, joignant la poésie à la vérité, ils se proposent d'embellir la nature sans la démentir, de l'interpréter par la noblesse du style ou par le rayonnement de certaines grâces insaisissables. Du reste, l'élévation générale du niveau de l'art, laisse toutes choses dans le même rapport de proportions. Si chacun se met à faire des portraits avec une épreuve de photographie pour guide, le mérite des plus habiles sera aussi rare, aussi apprécié qu'il l'est aujourd'hui sans le secours du procédé ; et la preuve, c'est que déjà quelques peintres ayant essayé de mettre à profit le daguerréotype se sont rebutés, n'en ont tiré qu'une timidité bizarre, et ont reculé avec effroi. Tous à la vérité ne furent point si malheureux ; mais l'héliographie n'a servi que les plus forts, tandis qu'elle a insinué aux autres le soupçon de leur néant.
Puis, si l'on est femme et jeune, on veut être belle et léguer à la postérité un aimable procès-verbal de ses attraits. La question est d'être décrite comme on est ; et telle que l'on se voit, ainsi l'on prétend être. On appelle un peintre, on espère un flatteur ; le daguerréotype n'est qu'un traître.
Il vous répartit au nez sans économie ; la bouche en cœur n'est pas de sa compétence, la tradition des yeux fendus en amandes est supérieure à ses moyens. L'atelier où l'on rajeunit ne sera jamais désert. Par ces diverses raisons, la miniature ne sera pas compromise ; elle unit la couleur aux grâces précieuses ; traitée avec beaucoup d'esprit, elle parle au cœur, et correspond aux sentiments intimes. Rien pourrait-il remplacer les miniatures de madame de Mirbel et de quelques autres peintres consommés dans cet art difficile !
Sur ce point, d'ailleurs, et dans certaines circonstances, la photographie est impuissante : elle ne saurait reproduire l'équivalent de la teinte azurée des prunelles : le bleu céleste échappant à l'action des agents chimiques, reste intraduisible, et les yeux bleus, quand leur nuance est pure, ne ressortent pas ; ils s'offrent blêmes. Ce phénomène rend, en nombre d'occasions, la photographie insuffisante, il le faut avouer.
Mais, tout en cédant à la supériorité de la peinture, le daguerréotype est susceptible de lui prêter une ressource unique pour parvenir au degré de réalité qui souvent lui a fait défaut. Certaines petites toiles si lumineuses, si claires et si fermes tout à la fois, seraient d'une exécution surhumaine, si l'héliographie ne donnait la clef de cette sorcellerie à des gens peu empressés de la ramasser, parce qu'ils seraient inhabiles à s'en servir.
Comment énumérer les divers avantages que la photographie est susceptible d'apporter à l'exécution de la grande peinture ?
La figure nue, parfaitement étudiée au point de vue anatomique, est à peu près ignorée par rapport au mouvement, à la vie, chez les peuples chrétiens et dans les climats du Nord où l'on est hermétiquement vêtu. Le temps où nous sommes se prête bien mal aux épopées : car les deux principaux éléments du style font défaut aux observations journalières ; à savoir la forme nue et les draperies. D'où il suit que nos idées sur le corps humain, trop justement qualifié d'académie dans nos écoles, n'ont été longtemps que de simples préjugés de routine. L'ensemble de ces préjugés, transmis d'âge en âge, et imposés par des professeurs-machines, constituait l'art du dessin. Telle fut l'éducation des jeunes artistes : on leur apprenait par cœur la figure, comme on leur enseignait à tracer un paraphe, et, le plus adroit en cette façon de calligraphie, on l’envoyait à Rome étudier l'homme sur des pierres cassées.
Aussi la mode a-t-elle signalé son passage dans nos notions de la forme corporelle. Le moyen-âge passa tout au laminoir et à la filière ; Michel-Ange, qui fit le contraire, créa une école herculéenne, noueuse et musclée, qui dura deux siècles. Après quoi, le corps humain livide, pauvre, strapassé, sous l'impulsion de Vanloo et de quelques autres, fut rendu semblable aux cadavres : c'était l'engouement des études anatomiques, et le premier pas d'une pédanterie chirurgico-picturale. On doit à une fausse interprétation de l'antique l'immobilité et la vogue de ces tableaux étranges des maîtres de l'Empire, où des corps de marbre servent de supports à des têtes de bois.
Par les procédés de l'héliographie, une seconde nous suffit pour saisir, dans un temps d'arrêt fugitif, une figure nue librement agissante, et les modèles ainsi accusés fournissent déjà des leçons bien autrement précises que celles des statues et des écorchés anatomiques. L'héliographie mettra dorénavant les types humains, consacrés d'âge en âge, à l'abri des fantaisies de la mode ; c'est le germe d'une révolution contre le système des poncifs, au profit de la réalité. Grâce à une invention de la science, le modelé cessant d'être savant, rentrera dans le domaine de l'art.
La même théorie est applicable aux draperies. Il s'agit, je le suppose, d'un sujet historique, grec ou romain : que fait l'artiste ? Il copie la tête, les jambes, les bras d'un modèle, puis il ajuste des étoffes sur un sac de son, appelé mannequin. Ces étoffes, leurs plis, leurs aspects n'ont point été produits par le mouvement naturel de la figure ; elles voilent les contours d'un monstre inerte. Les membres agissants n'ont pas donné lieu aux allures prises par l'étoffe. Or, pour se rendre compte des motifs d'une draperie, ne faut-il pas savoir quelle attitude a précédé la pose actuelle ? Un homme se détourne et s'arrête : la draperie change de maintien et participe de deux modes d'action ; le personnage marchait, son corps prend rapidement une impulsion nouvelle, et le vêtement plus rebelle obéit à deux influences contraires.
Difficiles à exprimer, les finesses de la vie dans les œuvres plastiques n'en sont pas moins d'une incontestable évidence. A l'aide de la photographie, l'on peut habiller le modèle, le faire agir, et fixer le mouvement dans toute son énergique spontanéité. Cette épreuve obtenue, la statue, le tableau s'exécutent dans le calme, avec certitude, et le temps concédé à l'étude minutieuse, n'affaiblit point le jet de la pensée.
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