Compte Rendu des Séances de L'Académie des Sciences
T. CXXX
Nº. 4
Pag. 170, 171, 172
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PHOTOGRAPHIE. - Transformation de I'image photographique d'un cliché en un état lamellaire, et phénomènes de colorations qui en dérivent. Note de M. A. Trillat, présentée par M. Lippmann.
« On sait que l'image photographique d'un cliché est formée d'un précipité amorphe disséminé dans l'intérieur de la pellicule qui constitue le support. Les variations du grain en forment les intensités. Je me suis posé le problème suivant : est-il possible de transformer l'état amorphe de l'argent qui constitue l'image, en état lamellaire? Si cette transformation est possible, le remplacement de l'état amorphe par l'état lamellaire donne-t-il lieu à des phénomènes de colorations interférentielles?
» Pour résoudre ces questions, il fallait d'abord chercher un procédé permettant de dissoudre l'image, c'est-à-dire le précipité d'argent amorphe, dans la pellicule même, et, en dernier lieu, trouver un réactif capable de reprécipiter l'argent, non plus à l'état amorphe, mais à l'état de lames.
» Il m'a paru difficile d'obtenir la solubilisation de l'image dans un bain liquide: le dissolvant, dans de pareilles conditions, déforme l'image et enlève une partie du précipité argentique. Tel n'est pas le cas si l'on expose la plaque photographique à des vapeurs qui, tout en solubilisant l'argent, ne détériorent pas le support de l'image. Ce résultat est obtenu en exposant la plaque à l'action des vapeurs d'acide azotique. A cet effet, la plaque, préalablement soumise à un traitement de nettoyage, de polissage et de durcissement, est placée dans un récipient contenant de l'acide azotique du commerce. On voit l'image, après quelques instants d'exposition, s'atténuer peu à peu et disparaître presque totalement. Le cliché devient entièrement transparent, et le précipité argentique reste dissous à un état qui parait être colloïdal, à l'intérieur même du support (') ([i]).
« Il s'agit maintenant de faire réapparaître l'image en précipitant, à l'état de lames métalliques continues, l'argent solubilisé par la méthode précédente. Dans ce but, je me suis adressé à l'hydrogène sulfuré ou à un corps susceptible de le régénérer (2) ([ii]). Pour la même raison que celle que je viens d'exposer ci-dessus, il est préférable de se servir de vapeurs. La plaque étant placée dans un deuxième récipient, on y fait arriver un courant d'hydrogène sulfuré humide. A peine le courant s'est-il produit que l'on voit l'image apparaître avec un aspect métallique argenté et uniforme. En continuant le traitement, le contour des objets ne tarde pas à se dessiner, puis, finalement, des colorations vives et d'aspect métallique viennent se localiser sur les diverses parties de l'image: ces colorations s'atténuent, deviennent diffuses si l'action est trop prolongée.
» L'opération est arrêtée avant cette limite, la plaque est ensuite séchée.
» Si l'on examine par réflexion un cliché ainsi traité soit face verre, soit face gélatine, on aperçoit une image polychrome vivement colorée; les couleurs sur les deux faces sont souvent complémentaires l'une de l'autre: il semble donc dans ce cas qu'il y ait dissymétrie dans la disposition des surfaces réfléchissantes.
» Ces couleurs ne sont pas altérables, mais l'humidification a pour effet de les faire varier momentanément.
« Par suite de l'indice de réfraction de la nature des lames formées, les colorations sont visibles sous un angle plus grand que dans le cas des colorations interférentiellesobtenues par le procédé de M. Lippmann: la pellicule peut être détachée et transportée sur un support quelconque sans perdre ses propriétés.
» D'une manière générale, si l'on ne prend pas de précautions, on n'observe aucune relation entre la réalité et les nuances obtenues. On peutcependant provoquer la localisation de certaines colorations voulues. D'après mes observations, leur nature et leur intensité varient avec les épaisseurs des grains; elles semblent progresser du blanc au noir en passant par les nuances de l'arc-en-ciel, suivant une périodicité non encore déterminée.
» Il sera donc possible que, dans le cas d'une image dont les parties superficielles présentent des différences notables dans les épaisseurs, l'on puisse, pour ainsi dire, provoquer la localisation de certaines couleurs correspondant plus ou moins à la réalité. A l'appui de ces faits, je présente à l'Académie des Sciences plusieurs clichés positifs d'un même sujet et dans lesquels des colorations vertes, rouges et blanches se sont localisées de préférence sur les parties correspondantes et qui, dans ce cas particulier, sont de la verdure, des toits et des murs.
« Ces observations permettent donc d'acquérir la notion du rôle important que peut jouer, dans l'application du procédé, le degré d'orthochromatisme des plaques.
« En résumé, mes expériences démontrent:
» 1º Que l'on peut obtenir la solubilisation de l'image photographique dans la pellicule par divers réactifs;
» 2º Que cette image peut être reprécipitée à un état lamellaire susceptible de fournir des colorations variables suivant l'épaisseur de l'argent;
« 3º Que s'il n'existe aucune relation entre la réalité et les colorations obtenues, on peut provoquer la localisation de certaines nuances.
» L'ensemble de ces phénoménes inexpliqués jusqu'ici fait l'objet d'une étude actuelle. »
([i]) (1) Si le cliché est insuffisamment poli et durci, il se produit un phénomène inverse : l'image ne s'atténue pas mais apparaît en positif (dans le cas d'un cliché négatif) et en relief. Dans ce cas, le traitement ultérieur donne plutôt des irisations et non des localisations de couleurs.
([ii]) (2) Beaucoup d'autres réactifs sont susceptibles de précipiter de nouveau l'argent à l'état de lames: l’hydrogène sulfuré nous a donné les meilleurs résultats.
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PHOTOGRAPHIE. - Transformation de I'image photographique d'un cliché en un état lamellaire, et phénomènes de colorations qui en dérivent. Note de M. A. Trillat, présentée par M. Lippmann.
« On sait que l'image photographique d'un cliché est formée d'un précipité amorphe disséminé dans l'intérieur de la pellicule qui constitue le support. Les variations du grain en forment les intensités. Je me suis posé le problème suivant : est-il possible de transformer l'état amorphe de l'argent qui constitue l'image, en état lamellaire? Si cette transformation est possible, le remplacement de l'état amorphe par l'état lamellaire donne-t-il lieu à des phénomènes de colorations interférentielles?
» Pour résoudre ces questions, il fallait d'abord chercher un procédé permettant de dissoudre l'image, c'est-à-dire le précipité d'argent amorphe, dans la pellicule même, et, en dernier lieu, trouver un réactif capable de reprécipiter l'argent, non plus à l'état amorphe, mais à l'état de lames.
» Il m'a paru difficile d'obtenir la solubilisation de l'image dans un bain liquide: le dissolvant, dans de pareilles conditions, déforme l'image et enlève une partie du précipité argentique. Tel n'est pas le cas si l'on expose la plaque photographique à des vapeurs qui, tout en solubilisant l'argent, ne détériorent pas le support de l'image. Ce résultat est obtenu en exposant la plaque à l'action des vapeurs d'acide azotique. A cet effet, la plaque, préalablement soumise à un traitement de nettoyage, de polissage et de durcissement, est placée dans un récipient contenant de l'acide azotique du commerce. On voit l'image, après quelques instants d'exposition, s'atténuer peu à peu et disparaître presque totalement. Le cliché devient entièrement transparent, et le précipité argentique reste dissous à un état qui parait être colloïdal, à l'intérieur même du support (') ([i]).
« Il s'agit maintenant de faire réapparaître l'image en précipitant, à l'état de lames métalliques continues, l'argent solubilisé par la méthode précédente. Dans ce but, je me suis adressé à l'hydrogène sulfuré ou à un corps susceptible de le régénérer (2) ([ii]). Pour la même raison que celle que je viens d'exposer ci-dessus, il est préférable de se servir de vapeurs. La plaque étant placée dans un deuxième récipient, on y fait arriver un courant d'hydrogène sulfuré humide. A peine le courant s'est-il produit que l'on voit l'image apparaître avec un aspect métallique argenté et uniforme. En continuant le traitement, le contour des objets ne tarde pas à se dessiner, puis, finalement, des colorations vives et d'aspect métallique viennent se localiser sur les diverses parties de l'image: ces colorations s'atténuent, deviennent diffuses si l'action est trop prolongée.
» L'opération est arrêtée avant cette limite, la plaque est ensuite séchée.
» Si l'on examine par réflexion un cliché ainsi traité soit face verre, soit face gélatine, on aperçoit une image polychrome vivement colorée; les couleurs sur les deux faces sont souvent complémentaires l'une de l'autre: il semble donc dans ce cas qu'il y ait dissymétrie dans la disposition des surfaces réfléchissantes.
» Ces couleurs ne sont pas altérables, mais l'humidification a pour effet de les faire varier momentanément.
« Par suite de l'indice de réfraction de la nature des lames formées, les colorations sont visibles sous un angle plus grand que dans le cas des colorations interférentiellesobtenues par le procédé de M. Lippmann: la pellicule peut être détachée et transportée sur un support quelconque sans perdre ses propriétés.
» D'une manière générale, si l'on ne prend pas de précautions, on n'observe aucune relation entre la réalité et les nuances obtenues. On peutcependant provoquer la localisation de certaines colorations voulues. D'après mes observations, leur nature et leur intensité varient avec les épaisseurs des grains; elles semblent progresser du blanc au noir en passant par les nuances de l'arc-en-ciel, suivant une périodicité non encore déterminée.
» Il sera donc possible que, dans le cas d'une image dont les parties superficielles présentent des différences notables dans les épaisseurs, l'on puisse, pour ainsi dire, provoquer la localisation de certaines couleurs correspondant plus ou moins à la réalité. A l'appui de ces faits, je présente à l'Académie des Sciences plusieurs clichés positifs d'un même sujet et dans lesquels des colorations vertes, rouges et blanches se sont localisées de préférence sur les parties correspondantes et qui, dans ce cas particulier, sont de la verdure, des toits et des murs.
« Ces observations permettent donc d'acquérir la notion du rôle important que peut jouer, dans l'application du procédé, le degré d'orthochromatisme des plaques.
« En résumé, mes expériences démontrent:
» 1º Que l'on peut obtenir la solubilisation de l'image photographique dans la pellicule par divers réactifs;
» 2º Que cette image peut être reprécipitée à un état lamellaire susceptible de fournir des colorations variables suivant l'épaisseur de l'argent;
« 3º Que s'il n'existe aucune relation entre la réalité et les colorations obtenues, on peut provoquer la localisation de certaines nuances.
» L'ensemble de ces phénoménes inexpliqués jusqu'ici fait l'objet d'une étude actuelle. »
([i]) (1) Si le cliché est insuffisamment poli et durci, il se produit un phénomène inverse : l'image ne s'atténue pas mais apparaît en positif (dans le cas d'un cliché négatif) et en relief. Dans ce cas, le traitement ultérieur donne plutôt des irisations et non des localisations de couleurs.
([ii]) (2) Beaucoup d'autres réactifs sont susceptibles de précipiter de nouveau l'argent à l'état de lames: l’hydrogène sulfuré nous a donné les meilleurs résultats.