segunda-feira, 16 de março de 2009

1889 - Les merveilles de l'Exposition de 1889

LES MERVEILLES DE L'EXPOSITION DE 1889
A LA LIBRAIRIE ILLUSTRÉE, 8 Rue Saint Joseph, Paris.
Pags. 563 - 566
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La Préfecture de police a exposé un de ses services les plus curieux, celui de l'anthropométrie, qui a été organisé par M. Bertillon, et qui a pour objet la notation des longueurs osseuses relevés sur un indidu: taille, longueur de la main, du pied, longueur et largeur de la tête. Il y a à la Préfecture de police 60,000 photographies de criminels à mine patibulaire. Le fonctionnement du service, le voici tel que l'expose M. Jean Sigaux.
«Nous sommes en présence de 60,000 photographies. La première division qui se présente à l'esprit est celle basée sur la taille, mais la taille peut se modifier avec les années, elle prête à la tricherie, elle se mesure mal; de plus elle ne varie couramment d'un individu à un autre que de 30 centmètres, doù il résulte que si nous admettons qu'on ne puisse la mesurer quà 3 centimètres près, nous ne pourrions établir que dix groupes différents de tailles: avec la tête, au contraire, qui se mesure à 1 millimètre près et qui varie de 30 millimètres, nous pourrons établir 30 catégories. De plus, le crâne, passé vingt ans d'âge, ne se développe plus que très légèrement. Pour ces raisons, c'est la longueur de la tête, de la concavité, de la racine du nez au point le plus saillant de la base occipitale, qui a prévalu comme division primordiale. Nous partagerons donc les 60,000 individus en trois divisions suivant la longueur, petit, moyenne ou grande, de la tête, et nous n'aurons déjà plus qu'à opérer sur 20,000 photographies-fiches. Mais l'expérience prouve que la largeur de la tête varie indépendamment de sa longueur, et cette différence nous permettra de diviser les 20,000 sujets d'une des séries ci-dessus en trois autres catégories, suivant la largeur, petite, moyenne ou grande, de leur tête, soit un peu plus de 6,000 photographies. La longueur du doigt médius donnera une troisième indication encore plus précise qui divisera à nouveau chacun des paquets de photographies précédentes en trois et le réduira à des séries de 2,000 divisées elles-mêmes, d'après la longueur du pied gauche, en trois autres de 600. Ces 600 partagées en trois, suivant la longueur de la coudée, il ne nous reste plus que 200 photographies, réduites à 70 avec la longueur de l'auriculaire, à 25 avec la taille, et à 9 ou 10 avec l'envergure des bras. C'est ainsi qu'au moyen des coefficients antropométriques, la collection des 100,000 photographies-fiches peut-être divisée en groupes d'une dizaine seulement qu'il est facile dès lors de parcourir rapidement. Supposons donc qu'on arrête un malfaiteur qui cache son nom et que l'on veuille savoir s'il a déjà été mesuré ou photographié: on prendra la longueur de sa tête, et l'on saura déjà dans quelle série de cartons on trouvera son portrait. La largeur de sa tête désignera plus spécialement un de ces cartons. La longueur du doigt médius, du pied, de la taille, l'envergure de ses bras, permettront d'arriver à l'endroit précis où doit être rangée cette photographie.»
Le service d'identification, anthropométrie et photographie, fonctionne au dernier étage d'un des pavillons du Palais de Justice, Arrivé dans la salle des gardes, le prévenu, revêtu de son pantalon et de sa chemise, est conduit dans la salle d'anthropométrie, où il est mesuré sur toutes les coutures, après quoi, dans une autre salle, où l'on prend sa photographie.
L'EXPOSITION DE PHOTOGRAPHIE. - L'exposition de Photographie est fort mal placée. Elle figure dans le Palais des Arts libéraux, en compagnie d'oeuvres du plus haut intérêt sans doute, mais elle est juchée dans une galerie supérieure, et pour y parvenir, il faut franchir un grand diable d'escalier qui arrête bien des visiteurs. Tandis que la foule s'entasse au réz-de-chaussée occupé par les galeries de l'Histoire du travail, peu de visiteurs se décident à gravir les marches conduisant à la galerie et, faute de savoir où est installée la classe 12, bien des personnes se retirent, sans avoir pu découvrir la section de photographie.
Cela dit, entrons en matière.
Nous ne pourrions songer dans cette revue rapide des productions de l'art photographique réunis dans le Palais des Arts libéraux, à classer par ordre de mérite les oeuvres et leurs auteurs. C'est une tâche que nous laissons volontiers au jury chargé de distribuer en les justifiant les divers ordres de récompenses. Nous renfermant dans le cadre restreint de notre publication, nous nous bornerons à étudier l'exposition au point de vue de la science.
Il y aurait longuement à écrire, si l'on voulait traiter avec étendue toutes les applications récentes de la photographie, car cet ordre d'applications est représenté à l'Exposition avec une singulière profusion et par des produits d'une véritable perfection.
La photographie scientifique, dit M. Louis Figuier considérée dans son expression la plus élevée, c'est certainement la photographie astronomique qui, depuis dix ans, a rendu à l'astronomie physique, des services d'une importance hors ligne.
L'exécution d'une carte du ciel par des procédés photographiques sera l'une des oeuvres scientifiques les plus remarquables de la fin de notre siècle. On sait que, grâce aux progrès réalisés dans ces derniers temps par les procédés photographique, on a obtenue des images parfaites des étoiles et d'autres astres, et même on est parvenu à discerner sur les épreuves photographiques de la voûte du ciel, des étoiles qui ne sont pas visibles dans les lunettes. De là, le beau projet de constituer un tableau exact de l'état du ciel à notre époque, en répartissant la reproduction photographique de ses différentes parties entre un certain nombre d'opérations.
On examinera avec respect et admiration, à l'Exposition de photographie, les premières cartes ainsi relevées.Les frères Henry, do l'Observatoire de Paris, y font figurer les vues photographiques, prises par eux des constellations du Cygne, du Cocher, des Gémeaux et de la Lyre, premiers résultats d'un travail qui a pris aujourd'hui un grand développement et forme les premiers jalons de la carte photographique du ciel.
Une série d'épreuves d'un grand caractère de nouveauté et d'originalité est presentée par un savant officier, le commandant Moessard. Il s'agit de la fixation sur plaques sensibles de la trajectoire des étoiles. Une étoile suivie le 9 septembre par l'objectif photographique, depuis 11 heures jusqu'à 3 heures, a laissé, par suite du déplacement de la terre, une traînée lumineuse, dont la mesure pourrait, selon le commandant Moessard, servir à rectifier certaines mesures astronomiques, par exemple la latitude du lieu d'observation.
M. Janssen, que l'on peut considérer comme le maître et le créateur des méthodes photographiques actuelles appliquées à l'astronomie, a pris à l'Obervatoire de Meudon dont il est directeur, des vues des taches noires et de la surface du soleil. Cette dernière épreuve, où une tache de soleil prend l'asprct d'une noire et profonde cavité, est tellement vraie, qu'on dirait que c'est le doigt, enfoncé dans une masse molle, qui a produit ce trou ténébreux.
On ne considérera pas sans intérêt les desseins qui représentent le photo-revolver de M. Janssen, cet instrument historique, on peut le dire, qui servit à enregistrer par les procédés Daguerriens, les phases successives du passage de Vénus sur le disque du soleil.

Qui aurait jamais pensé que les éclairs qui sillonnent le ciel aux jours d'orage pourraient être saisis et conservés par la plaque sensible? Ce tour de force a été accompli d'abord par un photographe de Passy, M. Moussette, qui a envoyé à l'Exposition les curieux spécimens de ses divers travaux. De son côté, le commandant Moessard a photographié des éclairs et l'on voit dans la première salle de l'exposition les éclairs de la journée du 24 juillet 1888, photographiés par ce savant à côté des épreuves semblables faites par M. Moussette pendant les orages du 12 mai 1886, du 25 juin 1887 et du 30 juin 1888. L'éclair a laissé sa trace par une ligne sinueuse qui ressemble absolument à celle que fournit l'étincelle des machines électriques à frottement, preuve nouvelle, si cela était nécessaire, de l'identité de l'étincelle électrique et de la foudre.

La photographie instantanée, la plus belle conquête et le couronnement de l'art qui nous occupe, est largement représentée à l'Exposition. Toutes les applications de la photographie extra-rapide se voient dans les cadres des photographes ou des savants qui ont appliqué la photographie instantanée à différentes études de corps et mouvement.
Au premier rang des physiologistes qui se sont caractérisés en ces travaux, se trouve, on le sait, le professeur Marey, qui a pu élucider beaucoup de questions controversées par des séries sucessives d'épreuves instantanées. M. Marey a réuni dans un cadre les spécimens de ses photographies instantanées les plus intéressantes. On saisit les attitudes sucessives d'un sauteur franchissant une corde, d'un enfant jouant au saut-de-mouton, au ballon ou à la corde. Un détachement de soldats passe devant une séries d'objectifs convenablement disposés, et M. Marey nous montre tout le peloton, une jambe en l'air. Nous donnerons une idée des ressources de la photographie instantanée por les opérations de ce genre en disant que M. Marey peut prendre vingt épreuves dans une seconde et qu'il est même arrivé à prendre jusqu'à 50 par seconde.
La physiologie a empruté les secours de la photographie instantanée pour saisir divers mouvements musculaires trop fugitifs pour être fixés par le dessein. Sous ce rapport, M. Albert Londe, directeurdu service de la photographie à l'hospice de la Salpêtrière, a trouvé nombre d'occasions de mettre à profit son habilité. Dans le service du Dr. Charcot, M. Albert Londe a pris une série de vues de contractions musculaires propres à la catalepsie. Il a également fixé sur la plaque les attitudes de femmes en proie à des attaques hystériques ou épileptiformes.
Le même M. Londe montre par quelques échantillons les avantages de la photographie judiciaire, qui est pratiquée au dépôt de la Préfecture de police de Paris. Il y a là une jolie série de gredins dont la police tient les portraits en réserve dans ses cartons, prête à les fournir à dame Justice.
Une des plus intéressantes applications de la photographie instantanée se trouve dans les images de la terre prises du haut d'un ballon. Avant l'invention du gélatino-bromure d'argent, qui donne une impression lumineuse dans un intervalle de temps prodigieusement court, c'est-à-dire dans des fractions de secondes, on n'avait pu songer sérieusement à photographier la terre ou à lever un plan du haut d'un ballon. Aujourd'hui cette opération est devenue facile. M. Nadar fils et M. Gaston Tissandier mettent sous les yeux du public des photographies prises par eux du haut d'un aérostat. M. Nadar expose les vues de Champigny, du parc de Saint-Maur, de Versailles, etc... M. Gaston Tissandier expose des vues semblables transformées en gravures. Nous signalerons spécilement une gravure donnant l'aspect de la terre du haut d'un ballon, d'après les épreuves photographiques de M. Gaston Tissandier. Une société d'amateurs, d'excursionnistes en photographie a d'ailleurs réuni dans un seul cadre une série d'épreuves photographiques prises en ballon que le visiteur examine avec curiosité.
Au parc de l'aérostation militaire de Meudon, on se livre souvent à des levés de plans et à des vues de terrains de remparts ou de fortifications. Dans ses ascensions aérostatiques, M. le commandant Renard a pris un grand nombre de vues de ce genre que lon retrouve à l'Exposition. Telles sont les vues de la ville de Senlis, de Compiègne, de Cherbourg, une vue des Champs--Élysées, etc...
Des levés topographiques les accompagnent et donnent des spécimens curieux de ce nouveau moyen topographique.
Une intéressante application de la photographie instantanée, c'est la production extra-rapide des portraits, et, comme conséquence, la facilité acquise aujourd'hui de photographier les gens malgré eux. Les appareils de poche et les appareils à main abondent aujourd'hui dans le commerce de l'optique photographique. Aussi, voit-on dans les vitrines des expositions une interminable série de ces appareils, qui permettent de saisir au vol, pour ainsi dire, un paysage, un monument, un portrait.
L'appareil à main tend de plus en plus à s'introduire dans les habitudes des amateurs de photographie. On peut, grâce à ces minuscules instruments, opérer instantanément et, pour ainsi dire, sans s'arrêter dans sa marche. Il est possible, en effet de saisir et de fixer le portrait d'une personne sans qu'elle soit aucunement prévenue.
L'appareil de poche a un objectif toujours prêt á fonctionner et une chambre obscure disposée de telle sorte que l'opérateur n'ait qu'à viser l'objet, et à lâcher la détente, qui découvre l'obturateur. C'est un fusil chargé toujours prêt à partir à la volontè du chasseur.
Les appareils de poche ou à main sont nombreux aujourd'hui, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient parfaits. Nous les signalons seulement pour donner une idée des immenses progrès de la photographie et de la révolution qui s'est faite dans cet art, depuis qu'il est sorti des mains de Niepce et de Daguerre. On a peine à croire que la photographie, telle qu'elle existe aujourd'hui, ait eu pour origine les ébauches de ses premiers créateurs.
Les agrandissements d'épreuves ne nous ont présenté rien de particulièrement neuf. M. Malteni expose son appareil, aujourd'hui si généralement répandu, pour l'agrandissementdes épreuves et des projections, et M. Nadar présente des spécimens d'agrandissement tout à fait remarquables.
Une des curiosités qui frappent le plus les amateurs de photographies, c'est la photographie sans objectif, c'est-à-dire la manière d'obtenir une photographie à travers un trou d'épingle, sans faire usage d'appareil d'aucun genre. Le capitaine Colson s'est fait un nom dans cet ordre si original de travaux. Il y a, selon cet opérateur, une dimension de trou qui donne un maximum d'effet, pour chaque cas particulier. L'adresse de l'opérateur consiste à reconnaître les dimensions précises à donner à l'orifice lumineux, pour obtenir l'effet dont il s'agit, effet qui, d'aprés les épreuves exposées par le capitaine Colson, n'est paradoxal qu'en apparence.

Un intérêt de premier ordre s'attachait à apprécier, à l'Exposition, les progrés de la gravure photographique, c'est-à-dire de l'emploi des procédés photographiques, pour remplacer la gravure sur bois et les métaux.
Aujourd'hui, l'imprimerie fait un emploi considérable de la photographie appliquée à produire les clichés en relief, soit en zinc, soit en cuivre. Les livres de sciences, d'art ou d'industrie sont maintenant remplis de gravures qui viennent éclairer et compléter les descriptions de l'auteur. Les ouvrages de pure imagination ont même recours aux illustrations, le récit a bien plus d'attrait, quand un dessinateur de talent vient presque à chaque page, mettre pour ainsi dire le sujet du récit sous nos yeux. A quelles dépenses n'aurait pas entraîné ce déluge d'illustrations, s'il eût fallu employer comme autrefois la gravure sur bois. La gravure par la photographie a permis de supprimer le plus souvent, les deux intermédiaires entre la création el l'exécution de l'oeuvre, c'est-à-dire le graveur sur bois, et quelque fois le dessinateur lui- même.
Il était donc fort important de connaître l'état actuel de la gravure photographique.
Les moyens d'obtenir des clichés en relief applicables à la typographie, c'est-à-dire donnant des desseins que l'on tire en typographie, en même temps que les pages de texte, ce qui procure une économie considérable, peuvent être réduits à deux:

1º La production d'un cliché en relief en zinc, qui rend avec une fidélité rigoureuse, le dessin tracé par l'artiste;
2º La production d'un cliché en relief, en cuivre, qui rend très fidèlement une vue photographique quelconque, paysage, portrait, monument etc... sans aucune intervention du dessinateur.

Le premier cas de ces procédés s'appelle gillotage, du nom de l'inventeur Gillot; le second porte le nom de photogravure directe.
Tels sont les deux procédés qui servent à donner les clichés en relief applicables aux tirages photographiques.
Quant aux procédés permetant d'obtenir des gravures en taille-douce, c'est-à-dire des plaques portant la gravure en creux, ils ont beaucoup perdu de leur importance. La gravure typographique (gillotage et photogravure directe) joue maintenant un très grand rôle dans l'imprimerie, tandis que la photolithographie et la gravure photographique en creux ne trouvent ne trouvent que de rares débouchés. Tandis que la plupart des ouvrages de science et d'art se remplissent de gravures dérivant de la photographie et s'imprimant avec le texte, au contraire les photographies et les gravures en taille-douce qu'ilfaut tirer à part, et qui dès lors, reviennent à un prix élevé ne se voient que très rarement dans les publications des éditeurs et ne servent qu'à des besoins vraiment artistiques.
Tous les produits de la gravure photographique, soit qu'ils présentent une utilité commerciale par le guillotage et la gravure photographique en relief, ou qu'ils répondent à des besoins purement artistiques par la gravure en creux, sont très largement représentés à l'Exposition actuelle.
M. Gillot fils, M. Michelet, M. Ch. Petit présentent de magnifiques spécimens de guillotage.
M. Dujardin produit, on le sait, d'adorables oeuvres par la gravure en creux. M. Lumière, de Lyon, s'est également distingué par l'exécution de gravures photographiques.
Ce serait une tâche trop délicate que de chercher à décerner la palme à l'un ou à l'autre de ces divers artistes. Le jury de l'Exposition nous a éclairé sur la valeur comparée de leurs oeuvres. Il nous a dit en même temps quels progrès a fait récemment la gravure photographique et l'avenir qui peut lui être réservé dans l'industrie et les arts.
Autrefois le procédé employé pour imprimer un dessin était le suivant: l'artiste dessinait son sujet sur une plaque de bois très dur, du buis; le graveur à l'aide d'instruments spécieux, taillait ce bois, le creusait de lignes, évidant les parties claires du dessin, laissant en relief les parties sombres. Puis, ce bois enduit d'encre d'imprimerie servait à obtenir des épreuves du dessin. Au bout de très peu de temps, le bois se fatiguait, les traits délicats, continuellement pressés, finissaient par s'écraser, et la gravure ne pouvait plus être reproduite.
Alors apparaît l'électrotypie. Le bois gravé n'est plus porté á la presse d'imprimerie. Une couche de cire coulée sur ce bois prend l'empreinte de la gravure, et cette empreinte, portée dans un bain galvanoplastique, se recouvre d'un dépôt de cuivre reproduisant absolument tous les détails du bois gravé. Lorsque ce dépôt a atteint une certaine consistance, il est monté sur une plaque de bois, mis sous la presse d'imprimerie, et les épreuves sont obtenues. Ce cliche métallique, beaucoup plus dur et plus résistant que le bois, donne beaucoup plus d'épreuves avant d'être fatigué. De plus, le bois original, conservé, peut donner autant de clichés que l'on veut et la vente de ces clichés constitue une source de bénéfices. Mais là, comme précédemment, l'oeuvre de l'artiste, son dessin qui, souvent, est de grande valeur, se trouvait détruit par le graveur.
La photographie a changé tout cela. L'artiste exécute son travail sur du papier, au crayon et au pinceau. Ce dessin est alors livré au graveur qui commence par le photographier sur bois. La photographie présente un immense avantage: elle permet d'agrandir ou de réduire le dessin. Dans la pratique, on n'agrandi jamais, mais la réduction d'un grand dessin est une opération de chaque jour. Le bois portant une reproduction exacte du dessin original est alors gravé par la méthode habituelle, puis cliché. Cette fois-ci, l'oeuvre de l'artiste est restée intacte et possède une valeur dépendant du talent de son auteur.
Mais ce n'est pas le seul changement introduit par la photographie dans l'art du graveur. Une grande partie des gravures qui illustrent nos journaux ont été dessinées et photographiées, puis portées à l'imprimerie sans avoir passé par les mains du graveur. Il semble assez extraordinaire que l'image fragile formée par la lumière sur la plaque de verre de la chambre noire, image si fragile qu'elle est souvent détruite par un attouchement maladroit, puisse être changée en une plaque métallique assez dure et résistante pour qu'on en obtienne facilement des milliers de copies. Ce n'est cependant que la pure vérité, et la plupart des gravures qui illustrent nos romans n'ont point passé par les mains du graveur. Les journaux quotidiens donnent de temps à autre des dessins gravés ainsi par des moyens mécaniques, et, un jour ou l'autre, grâce aux progrès incessants de cet art, nous verrons se créer un journal illusté quotidien.
Le procédé qui permet de reproduire directement les dessins est assez simple.
Il repose sur la propriété qu'ont certains sels chimiques, comme le bicromate de potasse, de rendre la gélatine ou autres substances colloides insolubles dans l'eau chaude après leur exposition à la lumière. Nous allons indiquer rapidement la marche de l'opération.
Tout d'abord une solution chaude de gélatine et d'eau est chargée de bichromate de potasse. Ce mélange est étendu au pinceau sur une feuille de papier qui est ensuite mise à sécher dans un appartement obscur. Pendant ce temps, une image négative du dessin a été prise sur une plaque de verre; les traits noirs du dessin sont clairs et les parties blanches sont obscures. Ceete épreuve négative est portée sur la feuille de papier recouverte de la couche de gélatine; puis le tout est exposé à la lumière pendant quelques minutes. Les seules portions de la gélatine qui reçoivent les rayons lumineux sont celles qui correspondent aux traits noirs du dessin, l'épreuve négative n'étant transparente que pour ces parties.
Quand le temps d'exposition a suffisamment duré, tout l'appareil est transporté dans une pièce obscure ou éclairée seulement par une lumière rouge qui n'a aucune action sur les produits chimiques employés. Le papier est alors recouvert d'une couche uniforme d'encre grasse et transporté dans un bain d'eau chaude. Certaines parties de la gélatine bichromatée ont été rendus complètement insolubles par l'action de la lumière et ces parties correspondent aux lignes noires du dessin. Le reste de la surface est entièrement soluble dans l'eau chaude et commence immédiatement à se dissoudre. En quelques minutes le travail est achevé et le dessin original se révèle en lignes insolubles couvertes d'encre grasse. Une plaque de zinc est appliqué sur cette gélatine et l'image du dessin s'y imprime. Le zinc est plongé dans un bain acidulé et le métal qui n'est pas recouvert par l'encre grasse est attaqué aussitôt: le dessin s'y trouve ainsi gravé en relief. Cette plaque de zinc peut être alors montée sur une pièce de bois et mise directement dans la presse d'imprimerie. On peut aussi en prendre des empreintes à la cire pour en tirer un nombre de clichés indéfini. Le prix de revient d'une telle gravure est infiniment moins élevé que celui d'un bois gravé à la main.

Nous voyons donc qu'une gravure peut être mise sous la presse d'imprimerie sans avoir passé par les mains du graveur. Il a suffi l'action de la lumière et de certaines opérations chimiques ou mécaniques. Un bois peut être exécuté soit au moyen de lignes, soit au moyen de points, soit par une combinaison des deux procédés. Beaucoup d'essais ont été tentés pour arriver a combiner ces deux méthodes de façon à reproduire les demi-tons. Le meilleur procédé consiste peut-être à employer un papier spécial pour le bois original. Une des faces de ce papier est couverte de lignes noires parallèles, semblables à celles par lesquelles les graveurs représentent un ciel pur. Sur ce papier l'artiste dessine à la plume comme sur du papier ordinaire. De plus, avec un bon canif, il peut gratter le papier de façon à le rendre absolument blanc. Les portions grattées représentent les parties claires du dessin, les traits à la plume sont les ombres les plus marquées, les lignes primitives du papier restées intactes donnent les demi-tons. D'autres effects peuvent être obtenus avec des papiers quadrillés de différentes manières.

La production de ces «gravures au procédé», commo on les appelle pour les distinguer des gravures sur bois, est devenue une branche importante d'industrie. Les épreuves obtenues n'ont généralement pas la beauté des gravures sur bois; mais employé par des artistes exercés, ce procédé a donné des résultats excellents. D'ailleurs on s'attache à le perfectionner chaque jour, et les résultats obtenus sont de plus en plus satisfaisants.
Ce qui nous a frappé, et ce que nous voulons faire ressortir en terminant, c'est précesément le caractère éminemment artistique que présentent beaucoup de ces gravures, obtenus par la photographie. Il nous semble qu'à l'heure qu'il est la photographie s'arrache aux sentiers battus du mercantilisme, et s'élève dans une région plus haute, qu'elle arrive, sans prétendre à remplacer la gravure à constituer (toutefois sur une échelle inférieure) une forme particulière de cette manifestation de l'art.
Aujourd'hui, l'appareil photographique nous apparaît comme un moyen nouveau dont nous pouvons disposer, un procédé, jusqu'ici sans analogue, pour traduire matériellement l'impression que fait sur nous l'aspect de la nature. Jusqu'ici l'artiste a eu à sa disposition le pinceau, le crayon, le burin, la surface lithographique; il a de plus maintenant l'objectif de la chambre obscure.
L'objectif est un instrument comme le crayon ou le pinceau; la photographie est procédé comme le bois et la gravure, car ce qui fait l'artiste, c'est le sentiment et non le procédé. Tout homme heureusement et convenablement doué peut donc obtenir les mêmes effects avec l'un quelconque de ces de ces moyens de reproduction.
Aux personnes que cette assimilation pourrait surprendre, nous ferons remarquer qu'un photographiste habile a toujours la manière propre tout aussi bien qu'un dessinateur ou un peintre, de telle sorte qu'avec un peu d'habitude on reonnaît toujours au premier coup d'oeil l'oeuvre de tel ou tel opérateur, et, bien plus, le caractère propre à l'esprit artistique de chaque nation se décèle avec une singulière et frappante évidence dans les oeuvres sorties des différents pays. Vous devineriez d'une lieue un paysage photographique dû à un artiste anglais, à sa couleur froide guindée et monotone; à la presque identité qu'il présente avec une vignette anglaise. Jamais un photographiste français ne pourra être confondu sous ce rapport, avec un de ses confrères d'outre-Manche.
Nous ajouterons que l'individualité de chaque photographe demeure toujours reconnaissable dans son oeuvre. Faites reproduire par différents opérateurs, un même site naturel, demandez à différents artistes le portrait de la même personne, et aucunne de ces oeuvres reproduisant partout un modèle identique ne ressemblera à l'autre; dans chacune d'elles, tout ce que vous connaîtrez, c'est la manière ou plutôt le sentiment de celui qui l'a exécutée.
Si donc l'objectif n'est qu'un instrument de plus dont nous disposons pour traduire l'aspect de la nature, si le photographe conserve dans ses oeuvres son individualité, sa manière propre, le sentiment qui le distingue et l'anime, on est bien forcé de reconnaître que la photographie fait véritablement partie du domaine des beaux-arts. Au lieu de n'y voir qu'un simple mécanisme à la portée du premier venu, il faut donc s'efforcer de la pousser plus avant encore dans la direction artistique; il faut applaudir aux efforts de ceux qui travaillent dans cet esprit élevé et souhaiter que leur exemple trouve beaucoup d'imitateurs.

Nous avons signalé les plus intéressantes nouveautés que l'on rencontre dans les vastes salles de l'exposition de photographie, celles qui marquent les progrés récents de ses applications aux sciences et aux arts.
Un très curieux musée rétrospectif est annexé à cette exposition. C'est une collection d'appareils qui remontent aux premiers temps et à l'origine de la photographie. Les personnes qui ont le culte des souvenirs dans les sciences et dans les arts ne verront pas sans intérêt cette évocation historique des débuts et des progès successifs de la photographie.
Les appareils et les spécimens des épreuves métalliques de Daguerre, les gravures photographiques sur papier de Niepce, de Talbot, de Bayard, sont réunis dans les premières vitrines. On voit dans d'autres les épreuves et les appareils de Niepce de Saint-Victor, l'inventeur du négatif sur verre albuminé. Plus loin, se trouvent les appareils de Poitenir (1), un des maîtres de cet art, inventeur du procédé à la gélatine chromatée, qui a servi de point de départ et serve encore de base à la gravure photographique
Cette collection qui forme comme une histoire de la photographie est d'un intérêt sans égal. Or, on ne peut se défendre d'un sentiment de surprise, si l'on met en parallèle la première ébauche de Daguerre et de Niepce avec les épreuves merveilleuses que nous avons aujourd'hui. Du daguerréotype, qui exigeait un temps considérable de pose et ne donnait qu'une image fugace et unique aux appareils qui produisent une image permanente en un cinquantième de seconde, qu'elle merveilleuse enjambée!...

(1) Deve trata-se de Poitevin (nota minha)

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