domingo, 15 de março de 2009

1893, 1 de Maio - Le Magasin Pittoresque

LE MAGASIN PITTORESQUE
2e. Série
61e Année
T. XI
Pag. 146, 147
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LA PHOTOGRAPHIE DES COULEURS

Les lecteurs du Magasin Pittoresque ont été tenus au courant des tentatives faites pour reproduire photographiquement les objets, en leur conservant avec exactitude et en totalité leurs couleurs, si complexes soient-elles. J'ai notamment exposé en détail (1) ([i]) la théorie et la manipulation du procédé dû à M. Lippmann, membre de l'Académie des Sciences, professeur de physique à la Sorbonne; et j'ai fait connaître les perfectionnements que M. Lippmann a depuis apportés à sa remarquable découverte. Tout récemment encore, à la séance de l'Académie des Sciences du 17 avril, il a présenté des photographies obtenues, par l'application de sa méthode, sur des plaques au gélatino-bromure d'argent transparentes et isochromatiques: elles montrent un spectre solaire de 30 centimètres de longueur dont toutes les couleurs sont reproduites avec un éclat superbe, un paysage, un bouquet de fleurs et une Japonaise dont la robe apparaît multicolore, sur la plaque sensibilisée.
Ainsi on peut considérer comme résolu aujourd'hui le problème de l'obtention d'un premier cliché coloré. Une seule difficulté subsiste qui s'oppose encore à l'application de la méthode Lippmann à la photographie des étres animés ou des objets en mouvements: la durée de la pose est trop longue; mais cette difficulté n'est pas de cclles qui sont impossibles à vaincre, et déjà la durée de pose a pu être réduite à moins de cinq minutes. Or, la reproduction photographique d'un objet, qu'il s'agisse d'obtenir une photographie ordinaire, monochrome, présentant seulement des parties plus ou moins claires et plus ou moins sombres, ou qu'il s'agisse d'obtenir une photographie polychrome, comporte une double série d'opérations: il faut établir d'abord un cliché photographique; il faut ensuite utiliser ce cliché originel, comme une sorte de planche-mère, à l'aide de laquelle on pourra tirer des épreuves en nombre aussi considérable qu'on le désire. Le cliché coloré originel, le procédé de M. Lippmann permet de l'obtenir. On ne savait pas encore en tirer des épreuves également colorées; c'est cette lacune que M. Guitton espère combler, et il fait reposer ses espérances sur des expériences qui ne sont malheureusement pas définitives. Il a tenu, pourtant à les faire connaître, afin de prendre date, en un temps où de nombreuses recherches sont faites dans cette voie; et, comme on va le voir, si elles ne sont pas absolument décisives les expériences sont au moins curieuses et encourageantes.
On sait en quoi consiste le phénomène connu en physique sous le nom de « réseaux »: Si, à la surface d'une plaque de verre, on grave des traits parallèles équidistants, d'une finesse extrême, et très rapprochés – cent au millimètre, par exemple – la plaque primitivement incolore présente, après cette opération, les plus billantes irisations: « Ces réseaux, a pensé M. Guitton, sont analogues à un cliché coloré. Si je parviens à trouver un procédé permettant de reproduire ces réseaux à un nombre quelconque d’exemplaires, je pourrai très vraisemblablement obtenir de même une infinité d’épreuves d’un cliché coloré ». M. Guitton a alors eu l'idée de considérer cette plaque de verre, rendue irisée par la présence du réseau, comme une matrice capable de reproduire, par simple application sur une matière plastique, le réseau qui y est gravé, ainsi que les phénomènes colorés qui sont la conséquence de ce réseau. Et, en effet, si on applique sur de la gélatine légèrement humide la plaque de verre sur laquelle le réseau a été tracé, cette gélatine présente l’aspect irisé qu’offrait la plaque de verre.
Le même résultat peut être obtenu à l’aide de métaux précipitables par simple réduction, comme l’argent, l’or, le platine, le nickel, etc. M. Guitton dépose par précipitation, à la surface de la plaque de verre qui porte le réseau, une couche mince d’argent par exemple; cette couche d’argent est ensuite doublée d’une couche épaisse de cuivre; par simple arrachement on sépare du verre une plaque solide de cuivre, recouverte d’une lame mince d’argent sur laquelle le réseau s’est reproduit et qui peut elle-même servir à reproduire sur la gélatine humide, par simple contact, les irisations du réseau primitif.
La seconde expérience effetuée par M. Guitton est plus caractéristique encore. Il sc propose de reproduire le miroitement multicolore d'un morceau de nacre poli. Pour obtenir ce résultat il lui suffit d'opérer comme précédemment: à la surface de cette plaque nacrée absolument unie, il précipite un dépôt très mince d'argent; il consolide cette couche argentée en la doublant d'une couche épaisse de cuivre; par simple arrachement, il sépare de la nacre la plaque de cuivre argentée, et il lui suffit d'appliquer celle-ci sur de la gélatine humide pour qu’a la surface de la gélatine apparaissent fidèlement rcproduites, les couleurs chatoyantes si variées de la nacre.
Commet expliquer ces expériences? Les couleurs de la nacre sont dues, on le sait, à l’existence de lames minces superposées à travers lesquelles la lumière interfère. On peut admettre que la couche d’argent réduite précipitée à la surface de la nacre, se dispose suivant les lamelles analogues à celles de la nacre, et en reproduit, par suite, les colorations; lemême phénomène serait réalisé par la simple application sur la gélatine humide de la plaque argentée. C’est là l’interprétation donnée par M. Guitton qui, dans un langage plus simpliste, dit que les couleurs des objets sont dues à des « creux » et à des « reliefs » insensibles au toucher et invisibles, dont la couche d’argent précipitée à la surface des objets colorés prend en quelque sorte l’empreinte.
Ces expériences faites, M. Guitton conclut qu’en appliquant le même procédé non plus à une plaque de nacre mais à un cliché photographique polychrome, il obtiendra sur gélatine une infinité de reproductions qui présenteront les couleurs du cliché, de même que, précédemment, la gélatine présentait celles de la nacre ou du réseau. Pour vérifier cette conclusion, il suffira à M. Guitton d’emprunter à M. Lipmann un des nombreux clichés photographiques polychromes obtenues par ce savant, de précipiter par réduction à la surface de ce cliché une couche d’argent, de la doubler d’une couche épaisse de cuivre, de séparer du cliché la plaque de cuivre argentée et d’appliquer, sur de la gélatine humide, la matrice ainsi obtenue. C’est cette expérience définitive que M. Guitton va prouver. Le raisonnement, la logique permettent d’espérer que M. Guitton obtiendra des épreuves du cliché polychrome ainsi que, dans les précédentes expériences, il a obtenue des reproductions des couleurs de la nacre ou du réseau; mais, on sait, par des exemples mémorables, que le raisonnement rigoureux est parfois décevant, que la logique a parfois tort. Il faut attendre le résultat de cette opération décisive pour proclamer résolu complètement le problème de la reproduction photographique des couleurs.
Je rappelais tout à l’heure que la photographie, monochrome ou polychrome, comporte une double série d’opérations: obtention d’un cliché, reproduction de de cliché. Pour la photographie ordinaire, on fait effectuer ces deux opérations aisément et avec une absolue perfection.
Pour la photographie polychrome, la première opération est réalisée par la méthode Lipmann; la seconde, M. Guitton espère que son procédé en permettra la réalisation facile. Mais M. Guitton ne s’est pas seulement attaché à rechercher un moyen d’obtenir des épreuves d’un cliché polychrome. Il s’est également proposé de perfectionner la méthode de M. Lipmann, en simplifiant le dispositif et en diminuant peut-être la durée de pose !
On sait que M. Lippmann obtient un cliché polychrome en recevant les rayons lumoneux sur une couche de bromure d’argent aussi homogène et continu que possible, adossée à une surface réflechissante, un bain de mercure; ce sont les interférences, à l’intérieur de la couche sensible, des rayons lumineux qui la prappent directement et des rayons qui la traversent après s’être réfléchis à la surface du mercure, qui créent dans l’épaisseur de cette couche des lames minces superposées qui reproduisent les objets lumineux avec leurs couleurs exactes. M. Guitton a songé à éliminer le bain de mercure et à lui substituer une surface réfléchissante plus commode. Pour cela, à la surface d’une plaque de verre absolument polie, il dépose par réducyion une couche mince d’argent dont l’épaisseur est accrue par dépôt galvanoplastique et qu’il cuivre ensuite jusqu’à obtention de rigidité suffisante; le dépôt d’argent, plus adhérent au métal qu’au verre quite ce dernier par simple arrachement, en conservant le poli de sa surface; et on obtiernt ainsi un miroir parfait. A la surface de ce miroir d’argent, M. Guitton dépose la couche de bromure d’argent qu’il prépare de la façon suivante pour que les conditions nécessaires de finesse du grain soient réalisées: une solution très étendue de bromure de cadmium dans l’alcool et une solution d’azotate d’argent également dans l’alcool sont contenues dans deux pulvérisateurs dont les jets sont dirigés en face l’un de l’autre dans une chambre noire. Les jets de liquide pulvérisé se rencontrent; il se produit du bromure d’argent dans un état de finesse proportionnel au degré de dilution des solutions; ce bromure tombe dans l’eau que contient la chambre noire à sa partie inférieure et se lave de l’azotate de cadmium produit en même temps dans la réaction; le bromure recueilli est séché, puis mêlé soit à de l’albumine ou du collodion ou de la gélatine orthochromatique, enfin étendu sur le miroir d’argent. Ce mode de procéder n’est autre qu’une application du principe général de la méthode Lipmann; mais il présente ce double avantage de supprimer la plaque de verre qui, par le dispositif employé par l’éminent membre de l’Institut, supporte la couche sensible, et de substituer au bain de mercure un miroir argenté à la surface duquel est coulée la couche sensible; bien plus, M. Guitton espère que ces perfectionnements permettront de diminuer le temps de pose.
Ainsi la double série de recherches effectuées par M. Guitton l’a conduit à des résultats plus intéressants. Sans doute ces résultats ne sont pas définitifs; mais il est juste d’accorder à M. Guitton le léger crédit qu’il réclame. Avant peu, il aura procédé aux expériences qui permettront de décider si réellement il peut obtenir des épreuves d’un cliché photographique polychrome. Nous souhaitons qu’elles soient décisives.
Perron.
([i]) 1. Voir le nº 6, année 1891.

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