1860, 18 de Junho
Compte Rendu des Séances de L'Académie des Sciences
T. L,
Nº. 25
Pag. 1127, 1128, 1129, 1130, 1131, 1132, 1133, 1134
Compte Rendu des Séances de L'Académie des Sciences
T. L,
Nº. 25
Pag. 1127, 1128, 1129, 1130, 1131, 1132, 1133, 1134
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TOPOGRAPHIE. - Rapport sur un Mémoire intitulé : Mémoire sur l’emploi de la photographie dans le levé des plans et spécialement dans les reconnaissances militaires; par M. Laussedat.
(Commissaires, MM. Daussy, Laugier rapporteur.)
« Les méthodes en usage pour le levé des plans sont : la méthode de cheminement, qui exige que l’on parcoure, la chaîne et la boussole à la main, le pays qu’il faut étudier, et la méthode d’intersection, dans laquelle l’opérateur se transporte aux extrémités d’une base orientée, pour y observer les angles formés par la base avec les lignes qui aboutissent aux différents points remarquables du. terrain. Ces lignes de visée déterminent par leurs mutuelles intersections les positions des points sur le plan.
« Dans les reconnaissances rapides, il n’est pas toujours possible de procéder aussi méthodiquement, et l’on est obligé parfois de se contenter d’esquisser à main levée quelques perspectives auxquelles on joint, suivant la méthode employée dans les reconnaissances hydrographiques, des distances angulaires mesurées au cercle ou au théodolite, et qui fixent les positions relatives de quelques lignes verticales passant par les points remarquables du pays. Ces angles servent à corriger les esquisses et à circonscrire les erreurs dans des limites d’autant plus étroites, que les lignes verticales qui divisent le panorama sont plus rapprochées.
» Cette méthode des hydrographes a été adoptée par les officiers chargés des reconnaissances militaires, entre autres par le colonel Leblanc, qui, au lieu de cercles divisés, se servait de son crayon placé à une longueur de bras pour évaluer les coordonnées angulaires des divers objets en vue ; mais son application exige une certaine habileté dans l’art du dessin, et pour s’affranchir de cette nécessité, il était naturel de recourir aux perspectives prises à la chambre claire. En 1851, l’auteur du Mémoire qui fait l’objet de ce Rapport, M. le capitaine du génie Laussedat, présenta sur, l’emploi de la chambre claire dans les reconnaissances topographiques un travail qui a été approuvé par le Comité des Fortifications, et dans lequel sont exposées pour la première fois les opérations graphiques très-simples qui conduisent à la construction du plan d’une vue panoramique, dont on a deux perspectives prises des extrémités d’une base connue de longueur et de position. L’auteur indique en outre la modification suivante, qu’il apporte au prisme destiné à transmettre à l’oeil l’image du panorama : il place sur l’arete même de ce prisme le centre optique de la calotte concave sphérique de Wollaston, et il donne au rayon de cette lentille une longueur de 15 centimètres. Par cette double disposition, les rayons émanés des objets éloignés ont le mème degré de divergence que s’ils venaient de points situés à 30 centimétres, distance de la vision distincte; de sorte que le dessinateur voit avec une égale netteté le trait du crayon sur le tableau et l’image de l’objet; l’œil n’éprouve aucune fatigue provenant de l’adaptation, et la parallaxe est entièrement détruite. Le centre optique, ainsi défini de position, devient le point de vue mathématique de perspective, sa projection sur le plan du tableau en est le point principal, et sa distance au tableau donne la distance du point de vue. On arrive facilement à la connaissance de ces trois éléments, qui suffisent pour effectuer les constructions géométriques, à l’aide desquelles on passe des perspectives aux projections orthogonales. De nombreux essais ont été faits sur le terrain avec cet instrument, et les résultats ont paru assez satisfaisants au Comité des Fortifications pour motiver les conclusions favorables de son Rapport. C’est à l’aide de ce procédé que M. Laussedat est parvenu en deux jours à dessiner un nombre de vues suffisant pour relever les détails d’un plan incomplet d’une ville de quinze mille habitants, et pour fournir les éléments d’un nivellement assez exact des parties accidentées de la ville et de ses environs.
« Nous avons donné quelques détails sur le Mémoire de M. Laussedat relatif à l’emploi de la chambre claire dans les reconnaissances militaires, parce que celui que nous allons examiner en est en quelque sorte une transformation. Les photographies de paysage ne sont effectivement que des perspectives, et tout ce qu’on a dit sur les vues dessinées à la chambre claire s’applique aux vues photographiées. Par suite de cette parfaite analogie, la question de priorité perd de son importance : toutefois, comme. plusieurs auteurs ont proposé, dans ces dernières années, l’emploi de la photographie pour je levé des plans, nous dirons qu’il résulte du Rapport du Comité des Fortifications, qu’en 185 I, époque à laquelle M. Laussedat s’occupait à perfectionner la chambre claire, il avait indiqué cette application. Mais les progrès importants qui ont fait de la photographie un art véritable n’étaient pas encore réalisés, et les essais qu’il tenta lui prouvérent que les manipulations alors en usage étaient peu en harmonie avec les conditions dans lesquelles se trouvait l’opérateur sur le terrain. M. Laussedat s’en tint donc à la chambre claire, sans abandonner toutefois l’espoir de recourir à la photographie.
« Dans le Mémoire dont nous rendons compte aujourd’hui et qui a été présenté à l‘Académie le 14 novembre dernier, M. Laussedat revient sur l’application des perspectives photographiées au levé des plans. La supériorité de celles-ci sur les esquisses dessinées à l’aide de la chambre claire est évidente. Les vues photographiées sont infiniment plus complètes, puis-qu’elles n’omettent aucun détail et qu’elles peuvent être exécutées à une plus grande échelle; elles font connaltre le véritable aspect du terrain dont elles accusent les moindres reliefs; enfin on les obtient rapidement après un séjour de quelques heures dans le pays qu’on veut reconnaître; elles ont d’ailleurs tous les avantages des vues perspectives: les opérations graphiques à l’aide desquelles on passe des perspectives à la construction du plan peuvent être effectuées sans difficultés par d’autres personnes que celles qui ont été sur le terrain, à une grande distance des lieux où les épreuves ont été prises, sans qu’on soit exposé à regretter de ne pouvoir y retourner pour recueillir dos données omises, puisque l’ingénieur installé dans son cabinet a en quelque sorte le terrain lui-même sous les yeux.
« Les épreuves dont M. Laussedat s’est servi dans ses essais ont été obtenues sur collodion sec préparé par M. Laveine, ancien elève de l’École Polytechnique; elles ont été ensuite reproduites sur papier positif. Les plaques collodionnées peuvent conserver leur sensibilité pendant plusieurs semaines et être transportées sans altération après avoir reçu l’empreinte des objets. On n’a donc aucune manipulation à faire sur le terrain, et le bagage se réduit ainsi à l’appareil lui-même, qui n’est guére plus embarrassant que le bagage du topographe. La face supérieure de la boîte de l’appareil photographique porte un niveau destiné à faciliter la mise en station; son installation s’effectue comme celle des instruments de géodésie, sans exiger toutefois la même exactitude.
» La plaque collodionnée étant placée dans un plan vertical, l’axe optique de l’objectif doit lui être perpendiculaire par construction. Cet axe rencontre la plaque sensible en un point, qui est le point principal de perspective; la distance du centre optique à la plaque est précisément la distance du point de vue au tableau; le plan horizontal passant par le centre optique coupe le tableau suivant la ligne d’horizon. Si l’on suppose celle-ci divisée de degré en degré par des rayons qui partent du centre optique ou point de vue, on aura, sur la photographie, une échelle de tangente, qui donnera immédiatement les angles compris entre les plans verticaux menés par le point de vue et par les divers points remarquables du panorama; ou, ce qui revient au même, les angles compris entre les lignes de visée qui, sur le plan horizontal, vont du point de vue aux projections de ces points. On peut tracer sur l’épreuve cette ligne d’horizon divisée en degrés si l’opérateur a eu le soin de déterminer, au moyen d’un niveau à la main, un certain nombre de points situés dans l’horizon; mais dans l’appareil de M. Laussedat ce sont les plaques sensibles elles-mêmes qui devront recevoir l’empreinte de cette ligne divisée. Toutes les photographies porteront donc avec elles leur ligne d’horizon; et, si l’instrument a été installé avec soin, si le mouvement de rotation imprimé à l’appareil photographique pour le diriger sur les divers points de l’horizon, s’est effectué autour d’un axe vertical, les lignes d’horizon des épreuves successives, obtenues dans une même station, devront se trouver dans le prolongement les unes des autres, lorsque les épreuves seront juxtaposées.
» La construction du plan au moyen des perspectives photographiées n’offre aucune difficulté: il suffit de lire sur la ligne d’horizon de l’épreuve, les nombres de degrés compris entre les lignes verticales qui passent par les divers objets en vue, et de tracer sur le plan, à la règle et au compas, les lignes de visée correspondantes. Les intersections mutuelles des lignes devisée qui, de deux stations connues de position, aboutissent aux mêmes objets, détermineront les projections horizontales de ces objets.
« Pour effectuer cette construction, M. Laussedat se sert d’une espéce de rapporteur formé d’une feuille de parchemin transparent montée sur un cadre en carton: on a tracé sur cette feuille une droite exactement divisée comme les lignes d’horizon des photographies, en sorte que les divisions de cette échelle du rapporteur peuvent être mises en coïncidence avec les divisions des lignes d’horizon. Le zéro de l’échelle est au point milieu, lequel dans la coïncidence correspond au point principal de la perspective. Si par ce point milieu on élève une perpendiculaire, et qu’on prenne sur cette perpendiculaire une distance égale à la longueur focale de l’objectif de l’appareil photographique, on aura le centre du rapporteur ou le point d’où partent les rayons qui se terminent aux divisions de l’échelle.
» Pour obtenir la ligne de visée qui joint la station à un objet, on place le centre du rapporteur sur le point du plan qui figure la station et l’on fait coïncider l’échelle du rapporteur avec la ligne d’horizon de la photographie, ou plutôt avec une droite tracée parallèlement à cette ligne d’horizon, au bas de la photographie, en dehors du paysage; cette droite peut être prise ici pour la ligne d’horizon elle-même autour de laquelle on aurait rabattu le plan du tableau. Cela fait, on projette l’objet sur l’échelle du rapporteur, et en joignant cette projection au centre de station, on obtient sur le plan une droite ou ligne de visée qui, de la station, aboutit à la projection horizontale de l’objet.
« L’inconvénient des vues photographiées est de ne pouvoir embrasser qu’une étendne limitée du panorama: comme il faut éviter les déformations qui proviennent de l’objectif, il convient de restreindre à 25 ou 30 degrés l’amplitude des vues sur lesquelles on doit opérer pour construire les lignes de visée. Cet inconvénient n’existe pas au même degré dans les vues dessinées à la chambre claire, puisque cet instrument ne donne lieu à aucune déformation sensible, dans une étendue de 60 degrés pour le sens horizontal. Mais, grâce à la rapidité avec laquelle on opère, on l’évite facilement dans les vues photographiées, en décomposant la perspective en un plus grand nombre de segments : seulement il peut arriver, 1ors de la constrnction du plan., que les deux objets dont on cherche les lignes de visée ne figurent pas sur une même photographie. Dans ce cas, on choisit plusieurs points intermédiaires qui appartiennent chacun à deux photographies contiguës, et l’on dispose les épreuves sur le rapporteur sous une inclinaison convenable, qui est donnée immediatement par les lignes de visée relatives aux objets reproduits sur deux épreuves voisines.
« Si l’instrument a été installé avec soin au moyen du niveau, les éléments géométriques du nivellement s’obtiennent aussi facilement que ceux du plan: on mesure sur l’épreuve photographiée la distance rectiligne de l’objet à la ligne d’horizon, et sur le rapporteur transparent la longueur de la droite comprise entre le centre et la projection de l’objet; l’élévation de l’objet au-dessus du plan horizontal est égale à sa distance réelle au point de vue, multipliée par le rapport de la ligne mesurée sur l’épreuve, à la longueur de la droite prise sur le rapporteur. Ce même rapport donne la tangente de l’angle de pente ou de la hauteur angulaire de l’objet au-dessus de l’horizon. On voit que le nivellement est d’autant plus exact que la ligne mesurée sur l’épreuve est plus grande; il faut donc que l’objet ne soit pas trop éloigné du point de vue.
« Pour s’assurer de l’exactitude de sa méthode, M. Laussedat s’est servi d’un plan de Paris executé en 1839 à l’échelle de sous la direction de M. Emmery, ingénieur en chef des ponts et chaussées. Il a choisi pour stations la tour nord de Saint-Sulpice et J’observatoire de l’École Polytechnique, et a photographié, en plusieurs épreuves, une certaine étendue des panoramas pris de ces deux stations. Empruntant ensuite au plan de Paris la distance de l’École à Saint-Sulpice (1 233 mètres), il a placé ces deux points sur un plan; puis, au moyen des perspectives photographiées, il a construit les lignes de visées relatives à quelques points remarquables, tels que la Tour de 1’Horloge (Conciergerie), la fleche du clocher de Notre-Dame, etc.; les intersections de ces lignes de visée ont donné les positions de ces points avec une exactitude telle, qu’on a pu opérer la coïncidence du plan de M. Laussedat et du plan de Paris. Les points ainsi determinés sont éloignés des stations de plus d’un kilométre, mais nous nous sommes assurés qu’avec cette base de 1233 mètres, on aurait obtenu avec une exactitude suffisante les positions de points situés à des distances beaucoup plus grandes. A la station de Saint-Sulpice, les épreuves avaient été prises dans les conditions atmosphériques les plus défavorables, de sorte que les lointains étaient à peine visibles; c’est cette circonstance qui nous a déterminés à opérer sur des points plus rapprochés. Nous avons pareillement cherché
l’élévation de la flèche de Notre-Dame, au-dessus de l’arête du toit de la nef. La hauteur obtenue (50 métres), d’après une des photographies prises de l’École Polytechnique, s’est accordée avec la hauteur (47 mètres) mesurée sur le plan même de la cathédrale.
» Au reste, cet accord n’a rien de surprenant, si l’on remarque que le rayon du rapporteur transparent, qui sert à trouver les directions des lignes de visée, est de 0m,426, distance focale de l’objectif de l’appareil photographique. Nous n’exagérons rien en disant qne sur un cercle de cette dimension, le degré occupe un espace assez grand pour qu’on puisse facilement estimer les arcs à 10 minutes près; or un angle de 10 minutes sous-tend à 1000 mètres de distance une longueur de 3 mètres environ; ce qui fait un peu moins d’un demi-millimètre sur le plan à l’échelle de 1/6667. Il n’est pas douteux qu’on atteigne une exactitude supérieure, lorsque l’auteur aura perfectionné le tracé graphique des lignes de visée.
» On voit par ces essais que l’appareil photographique peut servir à la mesure des angles, et par suite, à la construction des plans. La méthode à suivre n’est au fond que celle dont on se sert pour le levé à la planchette; les différentes stations où l’on transporte successivement l’appareil, sont celles que l’on choisirait pour y installer la planchette; seulement les opérations du photographe sur le terrain sont plus rapides que celles de l’ingénieur, et les constructions graphiques se font dans des conditions bien plus favorables. L’avantage est évident pour les reconnaissances en pays de montagnes, où les stations sont souvent séparees par de longues distances difficiles à franchir.
« Mais pour que les plans construits d’après les photographies présentent toute l’exactitude dont la méthode est susceptible, il faut s’assurer que les images photographiées n’ont éprouvé aucune déformation sensible; voici le moyen dont M. Laussedar s’est servi dans cet examen.
« Au point même d’où la vue photographiée a été prise, on établit une planchette sur laquelle on fixe la photographie. Deux tiges articulées qui supportent le prisme d’une chambre claire s’adaptent sur les côtés de la planchette: en faisant varier la distance du prisme au plan, et en réglant sa position, on arrive facilement à superposer l’image de la chambre claire et celle de la photographie. La superposition ainsi établie pour les objets situés prés du point principal de perspective doit avoir lieu également pour les objets qui en sont éloignés; et comme l’image fournie par la chambre claire dépasse de beaucoup celle de l’épreuve, on a d’excellents points de repère dans les lignes qui sont sur les bords de celle-ci, et qui doivent se trouver dans le prolongement des mêmes lignes prises sur l'image de la chambre claire, si l’objectif de l’appareil ne donne lieu à aucune déformation. Dans cette position du prisme, la distance au plan de la planchette est égale à la distance focale de l’objectif.
» On peut également mettre en évidence les déformations des images qui proviennent de l’objectif, en comparant l’angle compris entre deux images situées sur les bords de la photographie, mesuré sur la ligne d’horizon divisée, avec la valeur qu’on obtiendrait en observant au théodolite l’angle compris entre les deux objets: ce dernier angle, combiné avec l’intervalle qui separe les images des deux objets sur l’épreuve, fera connaitre en outre la distance focale de l’objectif. Ces mesures doivent être prises une fois pour toutes et sont spéciales à l’instrument dont on doit se servir pour les reconnaissances a faire.
« En résumé, l’application de la photographie au levé des plans réalise un progrés important pour la topographie. L’appareil photographique tel qu’on le construit aujourd’hui, devient un véritable goniomètre, si l’on a soin de l’installer convenablement, et de joindre aux vues photographiées certains éléments géométriques faciles à obtenir. Quelques instructions trés-simples sur le choix des stations, suffiront pour mettre les photographes voyageurs a même de fournir un grand nombre de documents dont les géographes, les géologues, les ingénieurs et les architectes pourront tirer un parti très-avantageux.
» La Commission pense en conséquence que le Mémoire de M. Laussedat sur l’emploi de la photographie dans le levé des plans et specialement dans les reconnaissances militaires, est digne de l’approbation de l’Académie. »
Les conclusions de ce Rapport sont adoptées.
TOPOGRAPHIE. - Rapport sur un Mémoire intitulé : Mémoire sur l’emploi de la photographie dans le levé des plans et spécialement dans les reconnaissances militaires; par M. Laussedat.
(Commissaires, MM. Daussy, Laugier rapporteur.)
« Les méthodes en usage pour le levé des plans sont : la méthode de cheminement, qui exige que l’on parcoure, la chaîne et la boussole à la main, le pays qu’il faut étudier, et la méthode d’intersection, dans laquelle l’opérateur se transporte aux extrémités d’une base orientée, pour y observer les angles formés par la base avec les lignes qui aboutissent aux différents points remarquables du. terrain. Ces lignes de visée déterminent par leurs mutuelles intersections les positions des points sur le plan.
« Dans les reconnaissances rapides, il n’est pas toujours possible de procéder aussi méthodiquement, et l’on est obligé parfois de se contenter d’esquisser à main levée quelques perspectives auxquelles on joint, suivant la méthode employée dans les reconnaissances hydrographiques, des distances angulaires mesurées au cercle ou au théodolite, et qui fixent les positions relatives de quelques lignes verticales passant par les points remarquables du pays. Ces angles servent à corriger les esquisses et à circonscrire les erreurs dans des limites d’autant plus étroites, que les lignes verticales qui divisent le panorama sont plus rapprochées.
» Cette méthode des hydrographes a été adoptée par les officiers chargés des reconnaissances militaires, entre autres par le colonel Leblanc, qui, au lieu de cercles divisés, se servait de son crayon placé à une longueur de bras pour évaluer les coordonnées angulaires des divers objets en vue ; mais son application exige une certaine habileté dans l’art du dessin, et pour s’affranchir de cette nécessité, il était naturel de recourir aux perspectives prises à la chambre claire. En 1851, l’auteur du Mémoire qui fait l’objet de ce Rapport, M. le capitaine du génie Laussedat, présenta sur, l’emploi de la chambre claire dans les reconnaissances topographiques un travail qui a été approuvé par le Comité des Fortifications, et dans lequel sont exposées pour la première fois les opérations graphiques très-simples qui conduisent à la construction du plan d’une vue panoramique, dont on a deux perspectives prises des extrémités d’une base connue de longueur et de position. L’auteur indique en outre la modification suivante, qu’il apporte au prisme destiné à transmettre à l’oeil l’image du panorama : il place sur l’arete même de ce prisme le centre optique de la calotte concave sphérique de Wollaston, et il donne au rayon de cette lentille une longueur de 15 centimètres. Par cette double disposition, les rayons émanés des objets éloignés ont le mème degré de divergence que s’ils venaient de points situés à 30 centimétres, distance de la vision distincte; de sorte que le dessinateur voit avec une égale netteté le trait du crayon sur le tableau et l’image de l’objet; l’œil n’éprouve aucune fatigue provenant de l’adaptation, et la parallaxe est entièrement détruite. Le centre optique, ainsi défini de position, devient le point de vue mathématique de perspective, sa projection sur le plan du tableau en est le point principal, et sa distance au tableau donne la distance du point de vue. On arrive facilement à la connaissance de ces trois éléments, qui suffisent pour effectuer les constructions géométriques, à l’aide desquelles on passe des perspectives aux projections orthogonales. De nombreux essais ont été faits sur le terrain avec cet instrument, et les résultats ont paru assez satisfaisants au Comité des Fortifications pour motiver les conclusions favorables de son Rapport. C’est à l’aide de ce procédé que M. Laussedat est parvenu en deux jours à dessiner un nombre de vues suffisant pour relever les détails d’un plan incomplet d’une ville de quinze mille habitants, et pour fournir les éléments d’un nivellement assez exact des parties accidentées de la ville et de ses environs.
« Nous avons donné quelques détails sur le Mémoire de M. Laussedat relatif à l’emploi de la chambre claire dans les reconnaissances militaires, parce que celui que nous allons examiner en est en quelque sorte une transformation. Les photographies de paysage ne sont effectivement que des perspectives, et tout ce qu’on a dit sur les vues dessinées à la chambre claire s’applique aux vues photographiées. Par suite de cette parfaite analogie, la question de priorité perd de son importance : toutefois, comme. plusieurs auteurs ont proposé, dans ces dernières années, l’emploi de la photographie pour je levé des plans, nous dirons qu’il résulte du Rapport du Comité des Fortifications, qu’en 185 I, époque à laquelle M. Laussedat s’occupait à perfectionner la chambre claire, il avait indiqué cette application. Mais les progrès importants qui ont fait de la photographie un art véritable n’étaient pas encore réalisés, et les essais qu’il tenta lui prouvérent que les manipulations alors en usage étaient peu en harmonie avec les conditions dans lesquelles se trouvait l’opérateur sur le terrain. M. Laussedat s’en tint donc à la chambre claire, sans abandonner toutefois l’espoir de recourir à la photographie.
« Dans le Mémoire dont nous rendons compte aujourd’hui et qui a été présenté à l‘Académie le 14 novembre dernier, M. Laussedat revient sur l’application des perspectives photographiées au levé des plans. La supériorité de celles-ci sur les esquisses dessinées à l’aide de la chambre claire est évidente. Les vues photographiées sont infiniment plus complètes, puis-qu’elles n’omettent aucun détail et qu’elles peuvent être exécutées à une plus grande échelle; elles font connaltre le véritable aspect du terrain dont elles accusent les moindres reliefs; enfin on les obtient rapidement après un séjour de quelques heures dans le pays qu’on veut reconnaître; elles ont d’ailleurs tous les avantages des vues perspectives: les opérations graphiques à l’aide desquelles on passe des perspectives à la construction du plan peuvent être effectuées sans difficultés par d’autres personnes que celles qui ont été sur le terrain, à une grande distance des lieux où les épreuves ont été prises, sans qu’on soit exposé à regretter de ne pouvoir y retourner pour recueillir dos données omises, puisque l’ingénieur installé dans son cabinet a en quelque sorte le terrain lui-même sous les yeux.
« Les épreuves dont M. Laussedat s’est servi dans ses essais ont été obtenues sur collodion sec préparé par M. Laveine, ancien elève de l’École Polytechnique; elles ont été ensuite reproduites sur papier positif. Les plaques collodionnées peuvent conserver leur sensibilité pendant plusieurs semaines et être transportées sans altération après avoir reçu l’empreinte des objets. On n’a donc aucune manipulation à faire sur le terrain, et le bagage se réduit ainsi à l’appareil lui-même, qui n’est guére plus embarrassant que le bagage du topographe. La face supérieure de la boîte de l’appareil photographique porte un niveau destiné à faciliter la mise en station; son installation s’effectue comme celle des instruments de géodésie, sans exiger toutefois la même exactitude.
» La plaque collodionnée étant placée dans un plan vertical, l’axe optique de l’objectif doit lui être perpendiculaire par construction. Cet axe rencontre la plaque sensible en un point, qui est le point principal de perspective; la distance du centre optique à la plaque est précisément la distance du point de vue au tableau; le plan horizontal passant par le centre optique coupe le tableau suivant la ligne d’horizon. Si l’on suppose celle-ci divisée de degré en degré par des rayons qui partent du centre optique ou point de vue, on aura, sur la photographie, une échelle de tangente, qui donnera immédiatement les angles compris entre les plans verticaux menés par le point de vue et par les divers points remarquables du panorama; ou, ce qui revient au même, les angles compris entre les lignes de visée qui, sur le plan horizontal, vont du point de vue aux projections de ces points. On peut tracer sur l’épreuve cette ligne d’horizon divisée en degrés si l’opérateur a eu le soin de déterminer, au moyen d’un niveau à la main, un certain nombre de points situés dans l’horizon; mais dans l’appareil de M. Laussedat ce sont les plaques sensibles elles-mêmes qui devront recevoir l’empreinte de cette ligne divisée. Toutes les photographies porteront donc avec elles leur ligne d’horizon; et, si l’instrument a été installé avec soin, si le mouvement de rotation imprimé à l’appareil photographique pour le diriger sur les divers points de l’horizon, s’est effectué autour d’un axe vertical, les lignes d’horizon des épreuves successives, obtenues dans une même station, devront se trouver dans le prolongement les unes des autres, lorsque les épreuves seront juxtaposées.
» La construction du plan au moyen des perspectives photographiées n’offre aucune difficulté: il suffit de lire sur la ligne d’horizon de l’épreuve, les nombres de degrés compris entre les lignes verticales qui passent par les divers objets en vue, et de tracer sur le plan, à la règle et au compas, les lignes de visée correspondantes. Les intersections mutuelles des lignes devisée qui, de deux stations connues de position, aboutissent aux mêmes objets, détermineront les projections horizontales de ces objets.
« Pour effectuer cette construction, M. Laussedat se sert d’une espéce de rapporteur formé d’une feuille de parchemin transparent montée sur un cadre en carton: on a tracé sur cette feuille une droite exactement divisée comme les lignes d’horizon des photographies, en sorte que les divisions de cette échelle du rapporteur peuvent être mises en coïncidence avec les divisions des lignes d’horizon. Le zéro de l’échelle est au point milieu, lequel dans la coïncidence correspond au point principal de la perspective. Si par ce point milieu on élève une perpendiculaire, et qu’on prenne sur cette perpendiculaire une distance égale à la longueur focale de l’objectif de l’appareil photographique, on aura le centre du rapporteur ou le point d’où partent les rayons qui se terminent aux divisions de l’échelle.
» Pour obtenir la ligne de visée qui joint la station à un objet, on place le centre du rapporteur sur le point du plan qui figure la station et l’on fait coïncider l’échelle du rapporteur avec la ligne d’horizon de la photographie, ou plutôt avec une droite tracée parallèlement à cette ligne d’horizon, au bas de la photographie, en dehors du paysage; cette droite peut être prise ici pour la ligne d’horizon elle-même autour de laquelle on aurait rabattu le plan du tableau. Cela fait, on projette l’objet sur l’échelle du rapporteur, et en joignant cette projection au centre de station, on obtient sur le plan une droite ou ligne de visée qui, de la station, aboutit à la projection horizontale de l’objet.
« L’inconvénient des vues photographiées est de ne pouvoir embrasser qu’une étendne limitée du panorama: comme il faut éviter les déformations qui proviennent de l’objectif, il convient de restreindre à 25 ou 30 degrés l’amplitude des vues sur lesquelles on doit opérer pour construire les lignes de visée. Cet inconvénient n’existe pas au même degré dans les vues dessinées à la chambre claire, puisque cet instrument ne donne lieu à aucune déformation sensible, dans une étendue de 60 degrés pour le sens horizontal. Mais, grâce à la rapidité avec laquelle on opère, on l’évite facilement dans les vues photographiées, en décomposant la perspective en un plus grand nombre de segments : seulement il peut arriver, 1ors de la constrnction du plan., que les deux objets dont on cherche les lignes de visée ne figurent pas sur une même photographie. Dans ce cas, on choisit plusieurs points intermédiaires qui appartiennent chacun à deux photographies contiguës, et l’on dispose les épreuves sur le rapporteur sous une inclinaison convenable, qui est donnée immediatement par les lignes de visée relatives aux objets reproduits sur deux épreuves voisines.
« Si l’instrument a été installé avec soin au moyen du niveau, les éléments géométriques du nivellement s’obtiennent aussi facilement que ceux du plan: on mesure sur l’épreuve photographiée la distance rectiligne de l’objet à la ligne d’horizon, et sur le rapporteur transparent la longueur de la droite comprise entre le centre et la projection de l’objet; l’élévation de l’objet au-dessus du plan horizontal est égale à sa distance réelle au point de vue, multipliée par le rapport de la ligne mesurée sur l’épreuve, à la longueur de la droite prise sur le rapporteur. Ce même rapport donne la tangente de l’angle de pente ou de la hauteur angulaire de l’objet au-dessus de l’horizon. On voit que le nivellement est d’autant plus exact que la ligne mesurée sur l’épreuve est plus grande; il faut donc que l’objet ne soit pas trop éloigné du point de vue.
« Pour s’assurer de l’exactitude de sa méthode, M. Laussedat s’est servi d’un plan de Paris executé en 1839 à l’échelle de sous la direction de M. Emmery, ingénieur en chef des ponts et chaussées. Il a choisi pour stations la tour nord de Saint-Sulpice et J’observatoire de l’École Polytechnique, et a photographié, en plusieurs épreuves, une certaine étendue des panoramas pris de ces deux stations. Empruntant ensuite au plan de Paris la distance de l’École à Saint-Sulpice (1 233 mètres), il a placé ces deux points sur un plan; puis, au moyen des perspectives photographiées, il a construit les lignes de visées relatives à quelques points remarquables, tels que la Tour de 1’Horloge (Conciergerie), la fleche du clocher de Notre-Dame, etc.; les intersections de ces lignes de visée ont donné les positions de ces points avec une exactitude telle, qu’on a pu opérer la coïncidence du plan de M. Laussedat et du plan de Paris. Les points ainsi determinés sont éloignés des stations de plus d’un kilométre, mais nous nous sommes assurés qu’avec cette base de 1233 mètres, on aurait obtenu avec une exactitude suffisante les positions de points situés à des distances beaucoup plus grandes. A la station de Saint-Sulpice, les épreuves avaient été prises dans les conditions atmosphériques les plus défavorables, de sorte que les lointains étaient à peine visibles; c’est cette circonstance qui nous a déterminés à opérer sur des points plus rapprochés. Nous avons pareillement cherché
l’élévation de la flèche de Notre-Dame, au-dessus de l’arête du toit de la nef. La hauteur obtenue (50 métres), d’après une des photographies prises de l’École Polytechnique, s’est accordée avec la hauteur (47 mètres) mesurée sur le plan même de la cathédrale.
» Au reste, cet accord n’a rien de surprenant, si l’on remarque que le rayon du rapporteur transparent, qui sert à trouver les directions des lignes de visée, est de 0m,426, distance focale de l’objectif de l’appareil photographique. Nous n’exagérons rien en disant qne sur un cercle de cette dimension, le degré occupe un espace assez grand pour qu’on puisse facilement estimer les arcs à 10 minutes près; or un angle de 10 minutes sous-tend à 1000 mètres de distance une longueur de 3 mètres environ; ce qui fait un peu moins d’un demi-millimètre sur le plan à l’échelle de 1/6667. Il n’est pas douteux qu’on atteigne une exactitude supérieure, lorsque l’auteur aura perfectionné le tracé graphique des lignes de visée.
» On voit par ces essais que l’appareil photographique peut servir à la mesure des angles, et par suite, à la construction des plans. La méthode à suivre n’est au fond que celle dont on se sert pour le levé à la planchette; les différentes stations où l’on transporte successivement l’appareil, sont celles que l’on choisirait pour y installer la planchette; seulement les opérations du photographe sur le terrain sont plus rapides que celles de l’ingénieur, et les constructions graphiques se font dans des conditions bien plus favorables. L’avantage est évident pour les reconnaissances en pays de montagnes, où les stations sont souvent séparees par de longues distances difficiles à franchir.
« Mais pour que les plans construits d’après les photographies présentent toute l’exactitude dont la méthode est susceptible, il faut s’assurer que les images photographiées n’ont éprouvé aucune déformation sensible; voici le moyen dont M. Laussedar s’est servi dans cet examen.
« Au point même d’où la vue photographiée a été prise, on établit une planchette sur laquelle on fixe la photographie. Deux tiges articulées qui supportent le prisme d’une chambre claire s’adaptent sur les côtés de la planchette: en faisant varier la distance du prisme au plan, et en réglant sa position, on arrive facilement à superposer l’image de la chambre claire et celle de la photographie. La superposition ainsi établie pour les objets situés prés du point principal de perspective doit avoir lieu également pour les objets qui en sont éloignés; et comme l’image fournie par la chambre claire dépasse de beaucoup celle de l’épreuve, on a d’excellents points de repère dans les lignes qui sont sur les bords de celle-ci, et qui doivent se trouver dans le prolongement des mêmes lignes prises sur l'image de la chambre claire, si l’objectif de l’appareil ne donne lieu à aucune déformation. Dans cette position du prisme, la distance au plan de la planchette est égale à la distance focale de l’objectif.
» On peut également mettre en évidence les déformations des images qui proviennent de l’objectif, en comparant l’angle compris entre deux images situées sur les bords de la photographie, mesuré sur la ligne d’horizon divisée, avec la valeur qu’on obtiendrait en observant au théodolite l’angle compris entre les deux objets: ce dernier angle, combiné avec l’intervalle qui separe les images des deux objets sur l’épreuve, fera connaitre en outre la distance focale de l’objectif. Ces mesures doivent être prises une fois pour toutes et sont spéciales à l’instrument dont on doit se servir pour les reconnaissances a faire.
« En résumé, l’application de la photographie au levé des plans réalise un progrés important pour la topographie. L’appareil photographique tel qu’on le construit aujourd’hui, devient un véritable goniomètre, si l’on a soin de l’installer convenablement, et de joindre aux vues photographiées certains éléments géométriques faciles à obtenir. Quelques instructions trés-simples sur le choix des stations, suffiront pour mettre les photographes voyageurs a même de fournir un grand nombre de documents dont les géographes, les géologues, les ingénieurs et les architectes pourront tirer un parti très-avantageux.
» La Commission pense en conséquence que le Mémoire de M. Laussedat sur l’emploi de la photographie dans le levé des plans et specialement dans les reconnaissances militaires, est digne de l’approbation de l’Académie. »
Les conclusions de ce Rapport sont adoptées.
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