1862, 1 de Fevereiro
Le moniteur scientifique
Journal des Sciences pures et appliquées spécialement consacre aux chimistes et aux manufacturiers
par le dr . Quesneville
paris
chez
M. Quesneville, rédacteur-propriétaire
55, rue de la verrerie
T. IV
123º Livraison
Pags. 65, 66, 67, 68
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REVUE PHOTOGRAPHIQUE
SOMMAIRE : Objectif et matériel panoramique de M. Sutton. - Des agrandissements, par M. Chevalier. - L'Exposition de M. Disderi. - Obturateur instantané. - Appareil pour obtenir des épreuves phénakisticopiques. - Théorie de l'image photographique. - Photographie à la lumière de la lune. – Modification an procédé Russell, par M. Tourre. - Collodion sec lavé simplement. - Photographie en ballon. Fonds photographiques.
En Angleterre peu de chose; en France rien! tel est le bilan des grands travaux photographiques pendant les derniers jours de l'année 1861 et le premier mois de 1862. Et cependant, malgré cette disette, nous ne saurions noircir de nouvelles photographiques moins de quatre des grandes pages de ce recueil. C'est, qu'en effet, si notre art restc quelques instants sans faire parler de lui par quelque découverte éclatante, le chroniqueur doit en profiter bien vite pour faire défiler sous les ycux de son lecteur les nombreux travaux que voit naître chaque jour, et qui, perdant toujours un peu de leur importance en présence de nouveautés éclatantes, la retrouvent bien vite, aussitôt qu'ils ne sont plus noyés dans la lumière trop puissante que répandent celles-ci. Entrons donc de suite en matière, et passons en revue lesfaits les plus remarquables qui sont parvenus à notre connaissance.
II nous a été donné de voir, il y a quelques jours, un appareil qui, né en Angleterre depuis trois ans environ, considéré comme une utopie, une impossibilité pratique dans les premiers jours, s'est peu à peu perfectionné, amélioré, de façon telle qu'il constitue aujourd'hui un système commode, simple et susceptible de devenir une application courante. Il s'agit de la lentille panoramique de M. Sutton. Son principe est celui-ci: l'objectif que les rayons lumineux traversent pour venir se peindre ensuite sur la glace sensible consiste non plus en l'assemblage de deux verres (crown-glass et flint-glass), de densilé différente, terminés par des courbes représentant des portions de sphère, mais en une sphère entière, évidée à l'intérieur et remplie d'eau. Les rayons de la sphère intérieure d'eau et de la sphère extérieure de flintglass sont calculés de telle sorte que le premier soit environ la moitié du second; grâce à cette disposition, l'ensemble est parfaitement achromatique, et l'image vient se former avec une grande netteté au foyer du système. Mais la disposition sphérique de celui-ci exagère naturellement les déformations que la faible courbure des objectifs ordinaires produit, d'une manière sensible déjà, sur les épreuves que nous sommes habitués à voir se peindre sur la glace dépolie. Aussi n'obtiendrait-on sur une surface plane comme ccllcs que comportent nos chambres ordinaires, qu'une image informc, et faut-il placer au foyer, au lieu de glaces planes, une glace sphérique concentrique à l'objectif lui-même. Lcs opérations sur une semblable surface seraient absolument inabordables; mais heureusement M. Sutton en a pu modifier la formc. Réfléchissant en effet que les premiers plans, comme le ciel, n'ont généralement pas besoin de se trouver absolument au point, il a remplacé la sphère dont l'emploi eût été impossiblc par une surface représentant une portion d'un cylindre vertical dont labase aurait le même centre que la lentille objective.
Les avantages du système de M. Sutton sont de premier ordre et faciles à apprécier. Dans les objectifs ordinaires, le champ de l'appareil est déterminé par la courbure du verre; plus celle-ci est prononcée, plus le premier est vaste. Mais la déformation croît proportionnellement à cette étendue; aussi les tendances qu'ont les opticiens à augmenter le champ des appareils par l'emploi de fortes courbures, se trouvent-elles bien vite arrêtées par ce grave inconvénient. Mais, dans le cas actuel, l'irnage étant reçue non plus sur une surface plane, mais sur une surface courbe concentrique à l'objectif, on peut, sans crainte aucune de déformation, profiter de la courbure entière de celui-ci. II en résulte que l'on peut au moyen de la lentille Sutton embrasser, comme l'annonce son auteur, un véritable panorama. Là où les lentilles ordinaircs les plus parfaites ne donneraient qu'un champ de 30º environ, la lentille panoramique reproduit nettement tous les objets que renferme un horizon de 120º, c'est-à-dire le tiers de la circonférence. Tel est l'immense avantage que possède sur les autres appareils la lentille panoramique de M. Sutton. Grâce à son emploi, rien ne sera plus facile dorénavant que d'obtenir d'un seul coup ces vastes panoramas que les Bisson, les Lorent, etc., n'avaient pu jusqu'ici exécuter qu'en plusieurs épreuves successives et d'un raccordement difficile. Au moyen du nouveau système on fera sur glace cylindrique une épreuve panoramique que l'on tirera sur papier pour l'agrandir ensuite par les moyens ordinaires, l'usage du papier ayant permis de transporter sur une surface plane l'image qui, jusqu'au dernier moment, était restée sur une surface courbe.
Il semble, sans doute, au premier abord, bien difficile d'accommoder cet appareil aux manipulations photographiques ordinaires, mais les craintes que l'on peut ressentir à ce sujet, ne sont point fondées. Gràce, en effet, à des recherches persévérantes, M. Sutton est parvenu à créer un matériel spécial dont l'adaptation à son système est des plus aisées. C'est ainsi qu'il a fait fabriquer des glaces cylindriques dont la courbure est parfaitement déterminée, des châssis négatifs cylindriques également, qui se placent, comme les châssis ordinaires, à l'extrémité de la chambre noire; et enfin des châssis positifs cylindriques aussi, contre lesquels on appuie la glace, puis une feuille de papicr positif qui, déroulée et traitée, au sortir du châssis, par les procédés habituels, reproduit en plan l'image parfaitement exacte de l'horizon embrassé par les 120º que comporte le champ de cet appareil exceptionnel.
- M. Arthur Chevalier vient de publier une brochure qui ne peut manquer d'intéresser le monde photographique; elle traite des agrandissaments, et c'est là plus que jamais une question à l'ordre du jour. Faire en présence du modèle, ou bien en campagne une toute petite épreuve d'une exécution facile, pour la transformer ensuite dans l'atelier, à son aise et loin des difficultés, en une image majestueuse et grandiose, tel est aujourd'hui le rêve de tout photographe un peu ambitieux. Cette question, du reste, a bien marché depuis quelques mois; M. Quinet a perdu les procès en contrefaçon qu'il avait intentés aux opticiens, la chambre solaire de Woodward est tombée dans le domaine public, et il ne reste plus guère que les appareils à lumière parallèle dont la construction soit encore protégée par des priviléges; aussi un grand nombre d'ateliers s'enrichissent-ils chaque jour de l'un ou l'autre des divers systèmes agrandissants que prônent les inventeurs.
L'exposition ouverte par M. Disderi dans les anciens salons du Jockey-Club vient, du reste, de contribuer, dans une mesure importante, à appelcr l'attention sur les résultats que peuvent fournir les agrandissements. Parmi les nombreux portraits grandis par M. Disderi, d'après les procédés que lui a cédés M.Wothly, il en est un grand nombre qui sont véritablement dignes du plus haut intérêt, el l'on ne peut s'empêcher de féliciter l'auteur du succés pratique qu'il a obtenu. Mais l'on ne ssurait s'empêcher aussi de trouver aussi un peu hardie l'idée de faire des œuvres d'un seul photographe une exploitation exclusive Il y a quelques mois, les photographes français et étrangers se réunissaient au Palais de l'Industrie; M. Disderi n'y figurait pas. Et cependant il est impossible que dans une semblable réunion ses œuvres n'aient pas été admises si elles avaient été présentées. Est-ce donc qu'il n'a pas voulu se mêler à la foule des photographes ordinaires et qu'il a préféré l'isolement? Nous aimons à croire qu'il n'en est rien, et que des circonstances indépendantes de sa volonté l'ont empêché de concourir avec ses confrères. Nous connaissons à Londres des photographes d'un haut mérite dont la fashion anglaise recherche les œuvres remarquables, et parmi lesquels il nous suffira de citer MM. Claudet et Silvy, et cependant ces grands artistes ne dédaignent pas de prcndre part aux expositions générales.
- Puisque nous venons de parler d'appareils photographiques, citons deux nouveautés qui, nous le craignons bien pour elles, resteront longtemps nouvelles et vieilles tout à la fois. C'est d'abord une chambre à obturateur dite instantanée, construite par M. Jamin, l'opticien habile que tous les photographes connaissent. Au contact de la planchette de la chambre noire, derrière l'objectif, est placée une tablette en métal percée d'un orifice circulaire; un contre-poids, qu'une cordelette et deux poulies relient à cette tablette, suffit à la faire remonter aussitôt qu'il se trouve abandonné à la chute libre. Dans sa course ascendante, la tablette présente d'abord une partie pleine, puis l'orifice circulaire, et enfin une nouvelle, partie pleine. Il y a dans cette disposition une bonne idée, c'est de laisser la partie correspondante au ciel, moins longtemps découverte que celle qui correspond au sol, et d'éviter de cette façon la solarisation habituelle des ciels obtenus dans les vues instantanées. Mais, par contre, la course du contre-poids est beaucoup trop courte et par suite le passage de la partie ouverte devant l'objectif est loin d'ètre instantané. Dans les appareils de petites dimensions, comme celui qu’à construit M. Jamin, et comme tous ceux destinés à opérer en campagne, ce n'est pas au moyen de la chute des corps, mais au moyen de ressorts que l'on peut obtenir la fermeture instantanée des appareils photographiques. Nous citerons comme exemple de système de ce genre le petit appareil construit et employé avec tant de succès dans les Indes par M. le major Gordon, dont tous les photographes connaissent les belles épreuves.
- L'autre nouveauté nous a paru d'une originalité sans pareille, mais d'un emploi bien difficile; son but est de produire en une seconde douze épreuves successives d'une personne exécutant un mouvement, de telle sorte que le mouvement commençant à la première épreuve se trouve terminé à la dernière. Introduites ensuite dans un phénakisticope ordinaire, ces épreuves doivent reproduire le mouvement dans son entier et fournir par suite l'expression de la vie la plus complète que l'on ait réalisée jusqu'ici. L'appareil se compose d'une chambre noire munie en avant de deux objectifs stéréoscopiques ordinaires; à l'intérieur cst placé verticalement un tambour dont l'axe est horizontal et parallèle au plan des objectifs. En tournant autour de son axe, ce tambour amène successivement et par un mouvement rapide en avant des objectifs, douze glaces collodionées nitratées qui sont disposées sur sa surface latérale comme autant de pans coupés. Un obturateur intérieur découvre instantanément chaque plaque ao moment de son passage devant les objectifs, et les douze épreuves sont ensuite développées par les moyens ordinaires. Une danseuse exécutant un pas, des collégiens jouant à saute-mouton, un ouvrier sciant du bois, peuvent être saisis de cette façon, et les épreuves ainsi obtenues doivent théoriquement, si elles sont réussies, reproduire dans le phénakisticope le mouvernent avec toute son animation. Mais si l'appareil est construit, sa manipulation est encore à l'état théorique: aucune des épreuves qu'il doit fournir et qu'un photographe jovial appelait photostéréophénakisticopiques n'a encore été montrée en public, et nous craignons bien, tout en désirant que notre craintc ne se réalise pas, nous craignons bien que leur exécution soit presque impossible, et ne se fasse attendre indéfiniment.
- Parlons un peu maintenant des théories, des procédés et des travaux photographiqnes. M. Malone vient de publier, en Angleterre, une étude chimique fort appréciée sur la composition de l'image photographique. Suivant lui, celle-ci est uniquement formée d'or et d'argent, sans matière organique, sans soufre et sans chlore. C'cst aux différents états de division de ces métaux que sont dues, suivant le savant anglais, les différences de coloration des épreuves. Ces métaux, d'ailleurs, semblent subir, au moment de leur séparation, une sorte de véritable dissolution dans l'eau. Déjà des chimistes français avaient établi que, dans l'image photographique, le dessin est formé par de l'argent pur, sans soufre ni chlore, mais ils avaient insisté sur l'influence de la matière organique. Leur théorie est donc en désaccord avec celle de M. Malone; laquelle est la vraie? C'est ce que des travaux ultérieurs nous apprendront sans doute, mais, dans tous les cas, la question est importante, et nous devons espérer qu'il sortira de cette étude, au point de vue pratique, quelques modifications heureuses des manipulations photographiques.
- Dans notre dernière revue, nous citions le fait remarquable de l'obtention d'épreuves sur collodion à la lumière lunaire, par M. Breese, de Birmingham, et nous ajoutions que le fait, quelque extraordinaire qu'il parût, devait être nécessairement vrai. Nous avions raison dans notre manière de penser, car voici que le secrétaire de la Société de Birmingham, ému des critiques de quelques publicistes français, écrit aux Sociétés de Londres et de Paris pour certifier que les épreuves de M. Breese ont été réellement obtenues simplement sous l'action de la lumière de la lune, et que ce sont seulement des questions d'intérêt pécuniaire qui empêchent M. Breese de divulguer le secret de ses opérations. Cherchons donc, comme il a cherché; la reproduction des vues éclairées par la lune est reconnue possible; il ne reste plus qu'à découvrir un collodion assez sensible ou un révélateur assez énergique.
- Quelques lettres récemment reçues d'Amérique nous apprennent que les procédés à sec commencent à s'y populariser. Voilà donc le collodion humide mis en échec dans le pays même où il semblait ne devoir jamais être détrôné. Parmi les procédés en expérimentation, celui du major Russell, basé sur l'emploi du tannin, semble être le privilégié. Et c'est justice. En Angleterre il détrône le procédé Taupenot; en France, tout en étant moins suivi, il est l'objet d'études et d'expérimentations intéressantes. C'est ce que prouve, entre autres choses, une lettre fort intéressante qu'a bien voulu nous adresser à ce sujet un de nos lecteurs, M. Tourre, de Trévouse (Vaucluse), et dont nous croyons devoir extraire les passages suivants :
» En expérimentant l'excellent procédé de collodion sec du major Russell et n'ayant pas sous la main du tannin pur, qu'on trouve difficilement en province, et toujours à un prix assez élevé, je lui ai substitué un tannin impur, qu'on trouve abondamment dans le commerce et à un prix très-bas; c'est l'extrait sec de châtaignier qu'on emploie en quantité considérable dans la teinture en noir sur soie.
« J'ai suivi, d'ailleurs, toutes les indications consignées dans votre Revue photographique, du ler mai et 15 décembre sur ce procédé; seulement, au lien d'employer la solution de tannin pur à 3 p. 100, j'emploie l'extrait sec de châtaignier à 5 p. 100. J'ai obtenu par ce procédé des clichés irréprochables, seulement le temps de pose est 7 à 8 fois plus long qu'avec le collodion humide. Ces clichés sont positifs par réflexion et négatifs par transparence. «
La modification introduite par M. Tourre nous parait, en effet, fort avantageuse; l'idée qui la lui a dictée est extrêmêment rationnelle, et nous ne sommes nullement étonnés qu'un opérateur habile ait obtenu de bons résultats au moyen du procédé Russell ainsi modifié.
- Mais il est un procédé de collodion sec dont les photographes s'occupent beaucoup en ce moment, et qui, de prime-abord, semble devoir les détrôner tous. C'est celui qui consiste à laver simplement la couche de collodion au sortir du bain d'argent, de manière à lui enlever tout le nitrate libre, et à opérer ensuite simplement sur la surface ainsi préparée. Bien des fois dejà, ce moyen a été proposé; comment se fait-il que, d'une pratique si simple, il n'ait pas été adopté préférablement à tout autre ? Sans doute, il présente quelque défaut grave que nous ne connaissons pas, d'ailleurs, car nous n'avons jamais eu l'occasion de l'expérimenter. Nous engageons nos confrères à faire mieux que nous, et à rechercher si, véritablement, le collodion simplement lavé est susceptible de se conserver sensible comme le collodion préparé a la résine, à la gomme, à l'albumine, au tannin, etc. S'il en était ainsi, le plus grand desideratum de la photographie en campagne se trouverait obtenu.
- En Amérique, à Boston, M. Black a fait, dans ces derniers mois, d'intéressants essais de photographie en ballon, et il parait avoir obtenu de forts bons résultats. Cependant, semblables opérations paraisssent à priori bien difficiles, et l'on a peine à concevoir comment le photographe peut, au milieu des oscillations de la nacelle, saisir le moment de calme nécessaire pour ouvrir l'obturateur de son appareil. M. Nadar, à Paris, a fait également, et sous le patronage de S. M. l’Empereur, des expériences de photographie en ballon, mais nous ne croyons pas que, jusqu'ici, ses hardies tentatives aient été couronnées de succès.
- Une des grandes préoccupations des photograhes est le choix des fonds d'ateliers; l'importance de cette question a grandi, dans ces derniers temps surtout, par suite du développement des portraits-cartes. Deux industriels, MM. Bellavoine et Capelli s'en sont préoccupés presque simultanément, et tous deux lui ont trouvé une bonne solution, en livrant aux artistes des fonds de toile ou de drap veloutés, et de teintes parfaitement dégradées. Et à ce propos, nous ne saurions mieux terminer qu'en recommandant aux photographes l'emploi des fonds à plusieurs plans, à peu près inconnus en France, et dont les opérateurs anglais tirent un parti si précieux.
Th. Benfield.
REVUE PHOTOGRAPHIQUE
SOMMAIRE : Objectif et matériel panoramique de M. Sutton. - Des agrandissements, par M. Chevalier. - L'Exposition de M. Disderi. - Obturateur instantané. - Appareil pour obtenir des épreuves phénakisticopiques. - Théorie de l'image photographique. - Photographie à la lumière de la lune. – Modification an procédé Russell, par M. Tourre. - Collodion sec lavé simplement. - Photographie en ballon. Fonds photographiques.
En Angleterre peu de chose; en France rien! tel est le bilan des grands travaux photographiques pendant les derniers jours de l'année 1861 et le premier mois de 1862. Et cependant, malgré cette disette, nous ne saurions noircir de nouvelles photographiques moins de quatre des grandes pages de ce recueil. C'est, qu'en effet, si notre art restc quelques instants sans faire parler de lui par quelque découverte éclatante, le chroniqueur doit en profiter bien vite pour faire défiler sous les ycux de son lecteur les nombreux travaux que voit naître chaque jour, et qui, perdant toujours un peu de leur importance en présence de nouveautés éclatantes, la retrouvent bien vite, aussitôt qu'ils ne sont plus noyés dans la lumière trop puissante que répandent celles-ci. Entrons donc de suite en matière, et passons en revue lesfaits les plus remarquables qui sont parvenus à notre connaissance.
II nous a été donné de voir, il y a quelques jours, un appareil qui, né en Angleterre depuis trois ans environ, considéré comme une utopie, une impossibilité pratique dans les premiers jours, s'est peu à peu perfectionné, amélioré, de façon telle qu'il constitue aujourd'hui un système commode, simple et susceptible de devenir une application courante. Il s'agit de la lentille panoramique de M. Sutton. Son principe est celui-ci: l'objectif que les rayons lumineux traversent pour venir se peindre ensuite sur la glace sensible consiste non plus en l'assemblage de deux verres (crown-glass et flint-glass), de densilé différente, terminés par des courbes représentant des portions de sphère, mais en une sphère entière, évidée à l'intérieur et remplie d'eau. Les rayons de la sphère intérieure d'eau et de la sphère extérieure de flintglass sont calculés de telle sorte que le premier soit environ la moitié du second; grâce à cette disposition, l'ensemble est parfaitement achromatique, et l'image vient se former avec une grande netteté au foyer du système. Mais la disposition sphérique de celui-ci exagère naturellement les déformations que la faible courbure des objectifs ordinaires produit, d'une manière sensible déjà, sur les épreuves que nous sommes habitués à voir se peindre sur la glace dépolie. Aussi n'obtiendrait-on sur une surface plane comme ccllcs que comportent nos chambres ordinaires, qu'une image informc, et faut-il placer au foyer, au lieu de glaces planes, une glace sphérique concentrique à l'objectif lui-même. Lcs opérations sur une semblable surface seraient absolument inabordables; mais heureusement M. Sutton en a pu modifier la formc. Réfléchissant en effet que les premiers plans, comme le ciel, n'ont généralement pas besoin de se trouver absolument au point, il a remplacé la sphère dont l'emploi eût été impossiblc par une surface représentant une portion d'un cylindre vertical dont labase aurait le même centre que la lentille objective.
Les avantages du système de M. Sutton sont de premier ordre et faciles à apprécier. Dans les objectifs ordinaires, le champ de l'appareil est déterminé par la courbure du verre; plus celle-ci est prononcée, plus le premier est vaste. Mais la déformation croît proportionnellement à cette étendue; aussi les tendances qu'ont les opticiens à augmenter le champ des appareils par l'emploi de fortes courbures, se trouvent-elles bien vite arrêtées par ce grave inconvénient. Mais, dans le cas actuel, l'irnage étant reçue non plus sur une surface plane, mais sur une surface courbe concentrique à l'objectif, on peut, sans crainte aucune de déformation, profiter de la courbure entière de celui-ci. II en résulte que l'on peut au moyen de la lentille Sutton embrasser, comme l'annonce son auteur, un véritable panorama. Là où les lentilles ordinaircs les plus parfaites ne donneraient qu'un champ de 30º environ, la lentille panoramique reproduit nettement tous les objets que renferme un horizon de 120º, c'est-à-dire le tiers de la circonférence. Tel est l'immense avantage que possède sur les autres appareils la lentille panoramique de M. Sutton. Grâce à son emploi, rien ne sera plus facile dorénavant que d'obtenir d'un seul coup ces vastes panoramas que les Bisson, les Lorent, etc., n'avaient pu jusqu'ici exécuter qu'en plusieurs épreuves successives et d'un raccordement difficile. Au moyen du nouveau système on fera sur glace cylindrique une épreuve panoramique que l'on tirera sur papier pour l'agrandir ensuite par les moyens ordinaires, l'usage du papier ayant permis de transporter sur une surface plane l'image qui, jusqu'au dernier moment, était restée sur une surface courbe.
Il semble, sans doute, au premier abord, bien difficile d'accommoder cet appareil aux manipulations photographiques ordinaires, mais les craintes que l'on peut ressentir à ce sujet, ne sont point fondées. Gràce, en effet, à des recherches persévérantes, M. Sutton est parvenu à créer un matériel spécial dont l'adaptation à son système est des plus aisées. C'est ainsi qu'il a fait fabriquer des glaces cylindriques dont la courbure est parfaitement déterminée, des châssis négatifs cylindriques également, qui se placent, comme les châssis ordinaires, à l'extrémité de la chambre noire; et enfin des châssis positifs cylindriques aussi, contre lesquels on appuie la glace, puis une feuille de papicr positif qui, déroulée et traitée, au sortir du châssis, par les procédés habituels, reproduit en plan l'image parfaitement exacte de l'horizon embrassé par les 120º que comporte le champ de cet appareil exceptionnel.
- M. Arthur Chevalier vient de publier une brochure qui ne peut manquer d'intéresser le monde photographique; elle traite des agrandissaments, et c'est là plus que jamais une question à l'ordre du jour. Faire en présence du modèle, ou bien en campagne une toute petite épreuve d'une exécution facile, pour la transformer ensuite dans l'atelier, à son aise et loin des difficultés, en une image majestueuse et grandiose, tel est aujourd'hui le rêve de tout photographe un peu ambitieux. Cette question, du reste, a bien marché depuis quelques mois; M. Quinet a perdu les procès en contrefaçon qu'il avait intentés aux opticiens, la chambre solaire de Woodward est tombée dans le domaine public, et il ne reste plus guère que les appareils à lumière parallèle dont la construction soit encore protégée par des priviléges; aussi un grand nombre d'ateliers s'enrichissent-ils chaque jour de l'un ou l'autre des divers systèmes agrandissants que prônent les inventeurs.
L'exposition ouverte par M. Disderi dans les anciens salons du Jockey-Club vient, du reste, de contribuer, dans une mesure importante, à appelcr l'attention sur les résultats que peuvent fournir les agrandissements. Parmi les nombreux portraits grandis par M. Disderi, d'après les procédés que lui a cédés M.Wothly, il en est un grand nombre qui sont véritablement dignes du plus haut intérêt, el l'on ne peut s'empêcher de féliciter l'auteur du succés pratique qu'il a obtenu. Mais l'on ne ssurait s'empêcher aussi de trouver aussi un peu hardie l'idée de faire des œuvres d'un seul photographe une exploitation exclusive Il y a quelques mois, les photographes français et étrangers se réunissaient au Palais de l'Industrie; M. Disderi n'y figurait pas. Et cependant il est impossible que dans une semblable réunion ses œuvres n'aient pas été admises si elles avaient été présentées. Est-ce donc qu'il n'a pas voulu se mêler à la foule des photographes ordinaires et qu'il a préféré l'isolement? Nous aimons à croire qu'il n'en est rien, et que des circonstances indépendantes de sa volonté l'ont empêché de concourir avec ses confrères. Nous connaissons à Londres des photographes d'un haut mérite dont la fashion anglaise recherche les œuvres remarquables, et parmi lesquels il nous suffira de citer MM. Claudet et Silvy, et cependant ces grands artistes ne dédaignent pas de prcndre part aux expositions générales.
- Puisque nous venons de parler d'appareils photographiques, citons deux nouveautés qui, nous le craignons bien pour elles, resteront longtemps nouvelles et vieilles tout à la fois. C'est d'abord une chambre à obturateur dite instantanée, construite par M. Jamin, l'opticien habile que tous les photographes connaissent. Au contact de la planchette de la chambre noire, derrière l'objectif, est placée une tablette en métal percée d'un orifice circulaire; un contre-poids, qu'une cordelette et deux poulies relient à cette tablette, suffit à la faire remonter aussitôt qu'il se trouve abandonné à la chute libre. Dans sa course ascendante, la tablette présente d'abord une partie pleine, puis l'orifice circulaire, et enfin une nouvelle, partie pleine. Il y a dans cette disposition une bonne idée, c'est de laisser la partie correspondante au ciel, moins longtemps découverte que celle qui correspond au sol, et d'éviter de cette façon la solarisation habituelle des ciels obtenus dans les vues instantanées. Mais, par contre, la course du contre-poids est beaucoup trop courte et par suite le passage de la partie ouverte devant l'objectif est loin d'ètre instantané. Dans les appareils de petites dimensions, comme celui qu’à construit M. Jamin, et comme tous ceux destinés à opérer en campagne, ce n'est pas au moyen de la chute des corps, mais au moyen de ressorts que l'on peut obtenir la fermeture instantanée des appareils photographiques. Nous citerons comme exemple de système de ce genre le petit appareil construit et employé avec tant de succès dans les Indes par M. le major Gordon, dont tous les photographes connaissent les belles épreuves.
- L'autre nouveauté nous a paru d'une originalité sans pareille, mais d'un emploi bien difficile; son but est de produire en une seconde douze épreuves successives d'une personne exécutant un mouvement, de telle sorte que le mouvement commençant à la première épreuve se trouve terminé à la dernière. Introduites ensuite dans un phénakisticope ordinaire, ces épreuves doivent reproduire le mouvement dans son entier et fournir par suite l'expression de la vie la plus complète que l'on ait réalisée jusqu'ici. L'appareil se compose d'une chambre noire munie en avant de deux objectifs stéréoscopiques ordinaires; à l'intérieur cst placé verticalement un tambour dont l'axe est horizontal et parallèle au plan des objectifs. En tournant autour de son axe, ce tambour amène successivement et par un mouvement rapide en avant des objectifs, douze glaces collodionées nitratées qui sont disposées sur sa surface latérale comme autant de pans coupés. Un obturateur intérieur découvre instantanément chaque plaque ao moment de son passage devant les objectifs, et les douze épreuves sont ensuite développées par les moyens ordinaires. Une danseuse exécutant un pas, des collégiens jouant à saute-mouton, un ouvrier sciant du bois, peuvent être saisis de cette façon, et les épreuves ainsi obtenues doivent théoriquement, si elles sont réussies, reproduire dans le phénakisticope le mouvernent avec toute son animation. Mais si l'appareil est construit, sa manipulation est encore à l'état théorique: aucune des épreuves qu'il doit fournir et qu'un photographe jovial appelait photostéréophénakisticopiques n'a encore été montrée en public, et nous craignons bien, tout en désirant que notre craintc ne se réalise pas, nous craignons bien que leur exécution soit presque impossible, et ne se fasse attendre indéfiniment.
- Parlons un peu maintenant des théories, des procédés et des travaux photographiqnes. M. Malone vient de publier, en Angleterre, une étude chimique fort appréciée sur la composition de l'image photographique. Suivant lui, celle-ci est uniquement formée d'or et d'argent, sans matière organique, sans soufre et sans chlore. C'cst aux différents états de division de ces métaux que sont dues, suivant le savant anglais, les différences de coloration des épreuves. Ces métaux, d'ailleurs, semblent subir, au moment de leur séparation, une sorte de véritable dissolution dans l'eau. Déjà des chimistes français avaient établi que, dans l'image photographique, le dessin est formé par de l'argent pur, sans soufre ni chlore, mais ils avaient insisté sur l'influence de la matière organique. Leur théorie est donc en désaccord avec celle de M. Malone; laquelle est la vraie? C'est ce que des travaux ultérieurs nous apprendront sans doute, mais, dans tous les cas, la question est importante, et nous devons espérer qu'il sortira de cette étude, au point de vue pratique, quelques modifications heureuses des manipulations photographiques.
- Dans notre dernière revue, nous citions le fait remarquable de l'obtention d'épreuves sur collodion à la lumière lunaire, par M. Breese, de Birmingham, et nous ajoutions que le fait, quelque extraordinaire qu'il parût, devait être nécessairement vrai. Nous avions raison dans notre manière de penser, car voici que le secrétaire de la Société de Birmingham, ému des critiques de quelques publicistes français, écrit aux Sociétés de Londres et de Paris pour certifier que les épreuves de M. Breese ont été réellement obtenues simplement sous l'action de la lumière de la lune, et que ce sont seulement des questions d'intérêt pécuniaire qui empêchent M. Breese de divulguer le secret de ses opérations. Cherchons donc, comme il a cherché; la reproduction des vues éclairées par la lune est reconnue possible; il ne reste plus qu'à découvrir un collodion assez sensible ou un révélateur assez énergique.
- Quelques lettres récemment reçues d'Amérique nous apprennent que les procédés à sec commencent à s'y populariser. Voilà donc le collodion humide mis en échec dans le pays même où il semblait ne devoir jamais être détrôné. Parmi les procédés en expérimentation, celui du major Russell, basé sur l'emploi du tannin, semble être le privilégié. Et c'est justice. En Angleterre il détrône le procédé Taupenot; en France, tout en étant moins suivi, il est l'objet d'études et d'expérimentations intéressantes. C'est ce que prouve, entre autres choses, une lettre fort intéressante qu'a bien voulu nous adresser à ce sujet un de nos lecteurs, M. Tourre, de Trévouse (Vaucluse), et dont nous croyons devoir extraire les passages suivants :
» En expérimentant l'excellent procédé de collodion sec du major Russell et n'ayant pas sous la main du tannin pur, qu'on trouve difficilement en province, et toujours à un prix assez élevé, je lui ai substitué un tannin impur, qu'on trouve abondamment dans le commerce et à un prix très-bas; c'est l'extrait sec de châtaignier qu'on emploie en quantité considérable dans la teinture en noir sur soie.
« J'ai suivi, d'ailleurs, toutes les indications consignées dans votre Revue photographique, du ler mai et 15 décembre sur ce procédé; seulement, au lien d'employer la solution de tannin pur à 3 p. 100, j'emploie l'extrait sec de châtaignier à 5 p. 100. J'ai obtenu par ce procédé des clichés irréprochables, seulement le temps de pose est 7 à 8 fois plus long qu'avec le collodion humide. Ces clichés sont positifs par réflexion et négatifs par transparence. «
La modification introduite par M. Tourre nous parait, en effet, fort avantageuse; l'idée qui la lui a dictée est extrêmêment rationnelle, et nous ne sommes nullement étonnés qu'un opérateur habile ait obtenu de bons résultats au moyen du procédé Russell ainsi modifié.
- Mais il est un procédé de collodion sec dont les photographes s'occupent beaucoup en ce moment, et qui, de prime-abord, semble devoir les détrôner tous. C'est celui qui consiste à laver simplement la couche de collodion au sortir du bain d'argent, de manière à lui enlever tout le nitrate libre, et à opérer ensuite simplement sur la surface ainsi préparée. Bien des fois dejà, ce moyen a été proposé; comment se fait-il que, d'une pratique si simple, il n'ait pas été adopté préférablement à tout autre ? Sans doute, il présente quelque défaut grave que nous ne connaissons pas, d'ailleurs, car nous n'avons jamais eu l'occasion de l'expérimenter. Nous engageons nos confrères à faire mieux que nous, et à rechercher si, véritablement, le collodion simplement lavé est susceptible de se conserver sensible comme le collodion préparé a la résine, à la gomme, à l'albumine, au tannin, etc. S'il en était ainsi, le plus grand desideratum de la photographie en campagne se trouverait obtenu.
- En Amérique, à Boston, M. Black a fait, dans ces derniers mois, d'intéressants essais de photographie en ballon, et il parait avoir obtenu de forts bons résultats. Cependant, semblables opérations paraisssent à priori bien difficiles, et l'on a peine à concevoir comment le photographe peut, au milieu des oscillations de la nacelle, saisir le moment de calme nécessaire pour ouvrir l'obturateur de son appareil. M. Nadar, à Paris, a fait également, et sous le patronage de S. M. l’Empereur, des expériences de photographie en ballon, mais nous ne croyons pas que, jusqu'ici, ses hardies tentatives aient été couronnées de succès.
- Une des grandes préoccupations des photograhes est le choix des fonds d'ateliers; l'importance de cette question a grandi, dans ces derniers temps surtout, par suite du développement des portraits-cartes. Deux industriels, MM. Bellavoine et Capelli s'en sont préoccupés presque simultanément, et tous deux lui ont trouvé une bonne solution, en livrant aux artistes des fonds de toile ou de drap veloutés, et de teintes parfaitement dégradées. Et à ce propos, nous ne saurions mieux terminer qu'en recommandant aux photographes l'emploi des fonds à plusieurs plans, à peu près inconnus en France, et dont les opérateurs anglais tirent un parti si précieux.
Th. Benfield.
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