1862, 25 de Maio
L’AMI DES SCIENCES
T. VIII
8eme AnnÉe
nº 21
Pag. 321, 322
La photographie date d'hier; elle a déjà fait des miracles, et elle en fera bien d'autres. D’où vient sa puissance? C'est que l'homme, présent par le génie, disparaît comme ouvrier. Il met la nature à sa place, elle dessine, elle peindra pour lui.
L'homme se repose et dit au soleil: Un peu de tes rayons, et ma besogne sera filite. Et le soleil, complaisant comme un grand artiste, trace les contours de ce front fatigué ou fixe l'imperceptible sourire de ces lèvres délicates. Quelquefois il se rit des ordres que lui donne le roseau pensant, et cette charmante femme de vingt ans, il lui impose d'un air dur dix années de plus. Mais ces dix années, si lourdes pour une jeune tête, vont lien aux monuments: aussi c'est dans leur reproduction que la photographie triomphe.
Malgré tout, nous l'avouons, ce qui nous frappe dans la photographie, ce n'est pas l'art. Par sa lunette, elle nous regarde dix secondes, tandis que le peintre, qu'il s'appelle Van-Dyck, Rembrandt ou Rigaud, contemple son modèle pendant de longues heures. Il l'épie, il le suit, il en rêve. Il note toutes les fluctuations, tous les éclairs, toutes les joies et toutes les mélancolies de son âme. Et quand le pinceau a fini sa tâche, ce n'est pas une unique attitude, une seule pensée, un sourire de commande, que vous avez devant vous: c'est l'être tout entier, avec ses mille nuances fondues par le génie dans un jet magistral.
Là sera toujours l’infériorité de la photographie. C'est une machine merveilleuse, mais qui va devant elle droit comme un boulet de canon ou plutôt comme un rayon de soleil, sans hésiter, mais sans interroger. Et c'est précisément cette rapidité, cette instantanéité, qui rendent admirable l'invention nouvelle en dehors de toute préoccupation esthétique. Que les phénomènes célestes s'acconplissent, que nos batailles ébranlent la terre, et la photographie, avec une précision et une sûreté inimaginables, notera tous les changements successifs et nous en laissera, sans jamais se tromper ni se lasser, la trace indélébile.
La photographie nous amuse aujourd'hui; mais dans cent ans on comptera avec étonnement les résultats et les mesures dont elle aura enrichi la science. Cette fois, on ne pourra pas accuser les savants de n'avoir pas prévu et de s'être montrés plus attachés à la routine que l'ignorant public. On n'a pour s'en assurer qu'à lire les éloquents rapports présentés aux deux chambres par Arago et par Gay-Lussac, au sujet des récompenses nationales demandées pour les premiers inventeurs, Niepce et Daguerre.
Quelques années après la découverte de Daguerre, on se servit de la photographie pour recueillir des panaromas, à l'aide d'appareils mobiles faisant le tour de l'horizon pendant que l'image était reçue travers une fente verticale trés-étroite. Mais on n'avait pas songé à appliquer le même pincipe à la topographie ordinaire. On doit celte application à M. Chevallier, ancien médecin militaire. L'ingénieux instrument qu'il a imaginé dans ce but a été breveté le 18 février 1858. M. Benoît, dans son rapport la Société d'encouragement, qui a voté une médaille à M. Chevallier, a donné à cet instrument le nom de planchette photographique: ce nom nous semble trè-bien choisi.
M. Ed. Paté a publié sur la nouvelle planchette une notice étendue (1) ([i]); c'est à elle que nous devons de pouvoir faire connaître à nos lecteurs cette précieuse application de la photographie.
Pour obtenir sur un plan un tour d'horizon, M. Chevallier reçoit l'image sur une plaque verticale, à travers un secteur fixe très-limité. La chambre obscure étant en station en un certain point, la plaque sensible fixe l'image de la portion d'horizon qui correspond à la position actuelle de l'objectif. Qu'on fasse tourner horizontalement la chambre obscure de manière à embrasser une nouvelle portion d'horizon, qu'en même temps la plaque verticale soit animée d'un mouvement de rotation autour d’un horizontal,et il est évident qu'on reproduira sans confusion et sans lacune toute la vue comprise entre les limites des positions de la chambre obscure si les deux ratations effectuées sont égales tel est le principe de la planchette photographique. On peut d'ailleurs opérer d'un mouvement continu, et obtenir rapidement un tour d'horizon complet.
Si le centre de l'objectif correspond au milieu du rayon vertical inférieur de la plaque, l'image étant renversée, c'est le ciel qui est reporté vers la circonférence, tandis que les objets plus voisins, c'est-à-dire ceux qu'on veut surtout relever, sont rejetés vers le centre et trop réduits. A l'aide d'une planchette à coulisses, on peut alors retourner l'objectif et le faire correspondre au milieu du rayon vertical supérieur de la plaque. L'image étant toujours renrersée, c'est, au contraire, les parties basses qui s'étendront sur la circonférence, et les parties hautes qui viendront avec le ciel converger vers le centre. Tous les objets dont il importe d'établir exatement les dimensions forment dans ce cas, sur la plaque, une couronne qui entoure un cercle central, image du ciel.
Il est bon d'ajouter que l'on peut déduire très-simplement du plan lui-même, et en s'aidant de la règle à calcul, les hauteurs des différents points du panorama au-dessus de la station choisie.
Cet appareil a de grands avantages sur la planchette ordinaire, à laquelle il succédera certainement dans un temps restreint: les erreurs de viséc deviennent impossibles; aucun oubli n'est plus à craindre; il sutfit d'une seule mise au point, l'appareil donnant lui-même toutes les directions et tous les éléments nécessaires au calcul des cotes; enfin, comme on peut obtenir avec un seul cliché un nombre quelconque d'épreuves positives, on peut aussi fire exécuter simultanément autant de reproductions do plan demandé qu'il est nécessaire.
En résumé, la planchette photographique simplifie extrêmêment la topographie ordinnaire. Elle est appelée à rendre de grands services en campagne, où elle pourra permettre de suivre d'instant en instant les changements de position des armées ennemies. Grâce à elle, la topographie des pays inconnus devient possible; que le voyageur, en passant, photographie les aspects changeants qui se déroulent devant lui, et s'il a pris soin de numéroter ses épreuves, il pourra, deux ou trois ans après, dans le loisir du cabinet, construire des cartes très-exactes des contrées qu'il aura traversées. Nous prédisons donc à M. Chevallier et à son invention un brillant succès: ce será justice.
([i]) (1) Notice sur la planchette photographique de M. A. Chevallier, par M. Ed. Paté, lieutenant au 2e régiment du génie; chez J. Dumaine, rue Dauphine.
L’AMI DES SCIENCES
T. VIII
8eme AnnÉe
nº 21
Pag. 321, 322
La photographie date d'hier; elle a déjà fait des miracles, et elle en fera bien d'autres. D’où vient sa puissance? C'est que l'homme, présent par le génie, disparaît comme ouvrier. Il met la nature à sa place, elle dessine, elle peindra pour lui.
L'homme se repose et dit au soleil: Un peu de tes rayons, et ma besogne sera filite. Et le soleil, complaisant comme un grand artiste, trace les contours de ce front fatigué ou fixe l'imperceptible sourire de ces lèvres délicates. Quelquefois il se rit des ordres que lui donne le roseau pensant, et cette charmante femme de vingt ans, il lui impose d'un air dur dix années de plus. Mais ces dix années, si lourdes pour une jeune tête, vont lien aux monuments: aussi c'est dans leur reproduction que la photographie triomphe.
Malgré tout, nous l'avouons, ce qui nous frappe dans la photographie, ce n'est pas l'art. Par sa lunette, elle nous regarde dix secondes, tandis que le peintre, qu'il s'appelle Van-Dyck, Rembrandt ou Rigaud, contemple son modèle pendant de longues heures. Il l'épie, il le suit, il en rêve. Il note toutes les fluctuations, tous les éclairs, toutes les joies et toutes les mélancolies de son âme. Et quand le pinceau a fini sa tâche, ce n'est pas une unique attitude, une seule pensée, un sourire de commande, que vous avez devant vous: c'est l'être tout entier, avec ses mille nuances fondues par le génie dans un jet magistral.
Là sera toujours l’infériorité de la photographie. C'est une machine merveilleuse, mais qui va devant elle droit comme un boulet de canon ou plutôt comme un rayon de soleil, sans hésiter, mais sans interroger. Et c'est précisément cette rapidité, cette instantanéité, qui rendent admirable l'invention nouvelle en dehors de toute préoccupation esthétique. Que les phénomènes célestes s'acconplissent, que nos batailles ébranlent la terre, et la photographie, avec une précision et une sûreté inimaginables, notera tous les changements successifs et nous en laissera, sans jamais se tromper ni se lasser, la trace indélébile.
La photographie nous amuse aujourd'hui; mais dans cent ans on comptera avec étonnement les résultats et les mesures dont elle aura enrichi la science. Cette fois, on ne pourra pas accuser les savants de n'avoir pas prévu et de s'être montrés plus attachés à la routine que l'ignorant public. On n'a pour s'en assurer qu'à lire les éloquents rapports présentés aux deux chambres par Arago et par Gay-Lussac, au sujet des récompenses nationales demandées pour les premiers inventeurs, Niepce et Daguerre.
Quelques années après la découverte de Daguerre, on se servit de la photographie pour recueillir des panaromas, à l'aide d'appareils mobiles faisant le tour de l'horizon pendant que l'image était reçue travers une fente verticale trés-étroite. Mais on n'avait pas songé à appliquer le même pincipe à la topographie ordinaire. On doit celte application à M. Chevallier, ancien médecin militaire. L'ingénieux instrument qu'il a imaginé dans ce but a été breveté le 18 février 1858. M. Benoît, dans son rapport la Société d'encouragement, qui a voté une médaille à M. Chevallier, a donné à cet instrument le nom de planchette photographique: ce nom nous semble trè-bien choisi.
M. Ed. Paté a publié sur la nouvelle planchette une notice étendue (1) ([i]); c'est à elle que nous devons de pouvoir faire connaître à nos lecteurs cette précieuse application de la photographie.
Pour obtenir sur un plan un tour d'horizon, M. Chevallier reçoit l'image sur une plaque verticale, à travers un secteur fixe très-limité. La chambre obscure étant en station en un certain point, la plaque sensible fixe l'image de la portion d'horizon qui correspond à la position actuelle de l'objectif. Qu'on fasse tourner horizontalement la chambre obscure de manière à embrasser une nouvelle portion d'horizon, qu'en même temps la plaque verticale soit animée d'un mouvement de rotation autour d’un horizontal,et il est évident qu'on reproduira sans confusion et sans lacune toute la vue comprise entre les limites des positions de la chambre obscure si les deux ratations effectuées sont égales tel est le principe de la planchette photographique. On peut d'ailleurs opérer d'un mouvement continu, et obtenir rapidement un tour d'horizon complet.
Si le centre de l'objectif correspond au milieu du rayon vertical inférieur de la plaque, l'image étant renversée, c'est le ciel qui est reporté vers la circonférence, tandis que les objets plus voisins, c'est-à-dire ceux qu'on veut surtout relever, sont rejetés vers le centre et trop réduits. A l'aide d'une planchette à coulisses, on peut alors retourner l'objectif et le faire correspondre au milieu du rayon vertical supérieur de la plaque. L'image étant toujours renrersée, c'est, au contraire, les parties basses qui s'étendront sur la circonférence, et les parties hautes qui viendront avec le ciel converger vers le centre. Tous les objets dont il importe d'établir exatement les dimensions forment dans ce cas, sur la plaque, une couronne qui entoure un cercle central, image du ciel.
Il est bon d'ajouter que l'on peut déduire très-simplement du plan lui-même, et en s'aidant de la règle à calcul, les hauteurs des différents points du panorama au-dessus de la station choisie.
Cet appareil a de grands avantages sur la planchette ordinaire, à laquelle il succédera certainement dans un temps restreint: les erreurs de viséc deviennent impossibles; aucun oubli n'est plus à craindre; il sutfit d'une seule mise au point, l'appareil donnant lui-même toutes les directions et tous les éléments nécessaires au calcul des cotes; enfin, comme on peut obtenir avec un seul cliché un nombre quelconque d'épreuves positives, on peut aussi fire exécuter simultanément autant de reproductions do plan demandé qu'il est nécessaire.
En résumé, la planchette photographique simplifie extrêmêment la topographie ordinnaire. Elle est appelée à rendre de grands services en campagne, où elle pourra permettre de suivre d'instant en instant les changements de position des armées ennemies. Grâce à elle, la topographie des pays inconnus devient possible; que le voyageur, en passant, photographie les aspects changeants qui se déroulent devant lui, et s'il a pris soin de numéroter ses épreuves, il pourra, deux ou trois ans après, dans le loisir du cabinet, construire des cartes très-exactes des contrées qu'il aura traversées. Nous prédisons donc à M. Chevallier et à son invention un brillant succès: ce será justice.
([i]) (1) Notice sur la planchette photographique de M. A. Chevallier, par M. Ed. Paté, lieutenant au 2e régiment du génie; chez J. Dumaine, rue Dauphine.
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