1853
23 de Maio
COMPTE RENDU DES SEANCES DE L'ACADEMIE DES SCIENCES
T. XXXVI
Nº. 21
Pag. 908, 909, 910, 911,
PHYSIQUE APPLIQUÉE. – Note sur la gravure héliographique sur plaque d’acier ; par M. NIEPCE DE SAINT-VICTOR.
(Commissaires, MM. Arago, Chevreul, Regnault)
« J’ai 1’honneur d’annoncer que, conjointement avec M. Lemaître, graveur, je viens de faire une nouvelle application des procédés de mon oncle (Joseph -Nicéphore Niepce ).
» Ces procédés se trouvent décrits dans la communication officielle de M. Arago, séance du 19 août 1839 (Comptes rendus, tome IX, page 255).
« Mon oncle se servait de bitume de Judée, dissous dans l’essence de lavande, de manière a en former un vernis semblable, quant à l’aspect, au vernis des graveurs. Il l’étendait, au moyen d’un tampon, sur une plaque de cuivre ou d’étain, et appliquait ensuite le recto d’une gravure vernie sur la plaque préparée, la recouvrait d’un verre, et l’exposait à la lumière. Après une heure ou deux d’exposition, il enlevait la gravure, et recouvrait la plaque d’un dissolvant composé d’huile de pétrole et d’essence de lavande.
« Cette opération avait pour but de faire apparaître l’image qui était invisible, en enlevant le vernis dans toutes les parties qui avaient été préservées de l’action de la lumière; tandis que celles qui avaient été impressionnées par son action, étaient devenues insolubles: il s’ensuivait de là que le métal était mis à nu dans toutes les parties correspondant aux noirs de la gravure, et en conservait, bien entendu, toutes les demi-teintes.»
Il chassait ensuite mécaniquement le dissolvant, en versant de l’eau sur la plaque, la séchait; et l’opération était terminée.
« J’ai l’honneur de présenter à l’Académie deux épreuves que M. Lemaître a fait imprimer, avec les planches gravées sur étain par mon oncle: ces planches lui avaient été envoyées de Châlon-sur-Saône, le 2 février 1827 (Lettre originale entre les mains de M. Lemaître).
» Mon oncle, dans le principe de sa découverte, n’avait d’autre but que de préparer, par la lumière, une planche susceptible d’être ensuite gravée à l’eau-forte sans le secours du burin; plus tard, il changea d’idées, et chercha à produire une image directe sur métal, dans le genre de celle que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’image daguerrienne.
« C’est pour cela qu’il abandonna la plaque de cuivre pour celle d’étain, et enfin la plaque d’étain pour celle d’argent, sur laquelle il travaillait à l’époque de sa mort.» J’arrive maintenant aux modifications que M. Lemaître et moi avons apportées aux procédés de mon oncle.» L’acier sur lequel on doit opérer ayant été dégraissé avec du blanc de craie, M. Lemaître verse sur la surface polie, de l’eau dans laquelle il a ajouté un peu d’acide chlorhydrique dans les proportions de 1 partie d’acide pour 20 parties d’eau: c’est ce qu’il pratique pour la gravure à l’eau-forte, avant d’appliquer le vernis; par ce moyen, celui-ci adhére parfaitement au métal. La plaque doit être immédiatement bien lavée avec de l’eau pure, puis séchée. II étend ensuite, à l’aide d’un rouleau recouvert de peau, sur la surface polie, le bitume de Judée dissous dans l’essence de lavande, soumet le vernis ainsi appliqué à une chaleur modérée, et quand il est séché, on préserve la plaque de l’action de la lumière et de l’humidité.
» Sur une plaque ainsi préparée, j’applique le recto d’une épreuve photographique directe (ou positive) sur verre albuminé ou sur papier ciré, et j’expose à la lumière pendant un temps plus ou moius long, suivant la nature de l’épreuve à reproduire, et suivant l’intensité dela lumière; dans tous les cas, l’opération n’est jamais très-longue; car on peut faire une épreuve en un quart d’heure au soleil, et en une heure à la lumière diffuse. Il faut même éviter de prolonger l’exposition, car, dans ce cas, l’image devient visible avant l’opération du dissolvant, et c’est un signe certain que l’épreuve est manquée, parce que le dissolvant ne produira plus d’effet.
» J’emploie pour dissolvant 3 parties d’huile de naphte rectifié, et 1 partie de benzine (préparée par Colas). Ces proportions m’ont en général donné de bons résultats; mais on peut les varier en raison de l’épaisseur de la couche de vernis et du temps d’exposition à la lumière, car, plus il y aura de benzine, plus le dissolvant aura d’action. Les essences produisent le même effet que la benzine, c’est-à-dire qu’elles enlèvent les parties du vernis qui ont été préservées de l’action de la lumière. L’éther agit en sens inverse, ainsi que je l’ai découvert.
» Pour arrêter promptement l’action et enlever le dissolvant, je jette de l’eau sur la plaque en forme de nappe et j’enlève ainsi tout le dissolvant; je sèche ensuite les gouttes d’eau qui sont restées sur la plaque, et les opérations héliograpbiques sont terminées.
» Maintenant reste à parler des opérations du graveur. M. Lemaître se charge de les décrire.
Note de M. Lemaître.
Composition du mordant :» L’action de l’acide nitrique étendu d’eau et alcoolisé dans ces proportions, a lieu aussitôt que le mordant a été versé sur la plaque d’acier préparée comme il vient d’être dit, tandis que les mêmes quantités d’acide nitrique et d’eau sans alcool ont l’incoqvénient de n’agir qu’après deux minutes au moins de contact; je laisse le mordant fort peu de temps sur la plaque, je l’en retire, je lave et sèche bien le vernis et la gravure, afin de pouvoir continuer et creuser le métal plus profondément sans altérer la couche héliographique. Pour cela, je me sers de résine réduite en poudre très-fine; placée dans le fond d’une boîte préparée à cet effet, je l’agite à raide de soufflet, de manière à former une sorte de nuage de poussière que je laisse retomber sur la plaque, ainsi que cela est pratiqué pour la gravure à l’aqua-tinta. La plaque est alors chauffée; la résine forme un réseau sur la totalité de la gravure, elle consolide le vernis, qui peut alors résister plus longtemps à l’action corrosive du mordant (acide nitrique étendu d’eau sans addition d’alcool). Elle forme dans les noirs un grain fin qui retient l’encre d’impression et permet d’obtenir de bonnes et nombreuses épreuves, après que le vernis et la résine ont été enlevés à l’aide des corps gras chauffés et des essences.
« Il résulte de toutes ces opérations, que, sans le secours du burin, on peut reproduire et graver sur acier toutes les épreuves photographiques sur verre et sur papier sans avoir besoin de la chambre obscure.
» Les épreuves que nous avons l’honneur de présenter sont encore imparfaites; mais elles ne sont pas retouchées: un graveur pourrait, avec peu de travail, en faire de bonnes gravures.»
Nous espérons pouvoir atteindre bientôt le degré de perfection que nous désirons; ces procédés, étant publiés, deviendront de nouveaux moyens pratiques ajoutés à l’art de la gravure.
»Observations de M. CHEVREUL.
« M. Chevreul, en résumant devant l’Académie la Note de M. Niepce de Saint-Victor, fait remarquer l’intérêt qu’il y aurait de voir si l’oxygène de l’air concourt avec l’influence de la lumière à dénaturer le vernis de bitume de Judée appliqué sur la plaque, en donnant lieu à ces combustions lentes de matières organiques si fréquentes et si sensibles dans l’exposition des étoffes teintes à la lumière; car les expériences de M. Chevreul démontrent que la plupart des décolorations de ces étoffes ne sont point le résultat du contact de la lumière seul, mais bien celui du concours de l’action de la lumière avec l’action de l’oxygène atmosphérique.
» Au reste, il n’existe pas de faits plus évidents que ceux-là pour montrer la nécessité de tenir compte de l’influence de la lumière dans toutes les recherches de chimie en général et de chimie organique en particulier.
« Enfin, M. Chevreul a montré que les effets optiques de la plaque d’acier mordue à l’eau-forte, par le procédé de M. Lemaître, rentrent complétement dans la théorie qu’il a donnée des étoffes de soie façonnées en général, et en particulier des étoffes de soie formées par les deux procédés de tissage qui donnent le satin et le taffetas. En effet, les clairs de la planche correspondent au satin, tandis que les ombres correspondent au taffetas. (Voyez Théorie des effets optiques des étoffes de soie, par M. Chevreul, page 105.) »
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