1839 Março | JOURNAL DES SAVANTS Pag. 173 – 183 | Sur les effets chimiques des radiations, et sur l’emploi qu’en a fait M. Daguerre, pour obtenir des images persistantes dans la chambre noire Premier article. Depuis le commencement de cette année, l’attention des physiciens et des artistes a étè vivement excitée par l’annonce imprévue d’un procédé chimique, tenu jusqu’à présent secret, au moyen duquel M. Daguerre l’inventeur du Diorama, serait parvenu à tracer, ou plutôt à faire tracer par la lumière même, le dessin minutieusement fidèle de tous les objets immobiles, paysages, édifices, statues, bas-reliefs, actuellement éclairés par les rayons émanés du soleil, de l’atmosphère, ou des flammes terrestres. De sorte que la même effluence qui, concentrée par l’œil, va peindre les objets sur la membrane sensible de notre rétine, irait ici de même, et non moins délicatement, former leurs images sur un plan revêtu d’un vernis impressionnable par son action, où elles resteraient fixement empreintes mais sans leurs couleurs. On aurait ainsi un dessin d’une seule teinte, non pas un tableau colorié. De plus, l’œil voit en un moment indivisible, au lieu que la substance de M. Daguerre a besoin de quelques minutes pour sentir les rayons venus des objets et s’en affecter. L’art humain, si habile qu’il soit, ne peut jamais prétendre à reproduire en tout point les miracles de l’organisation. Les personnes qui ont vu les dessins de M. Daguerre, ne peuvent trouver de paroles pour en louer assez l’exactitude, fa finesse, et l’harmonie. J’ai été plusieurs fois témoin de l’étonnement avec lequel nos plus grands peintres y admiraient la fidélité de distribution des ombres et de la lumière, s’y mêlant, s’y dégradant comme dans la nature même, avec une simplicité de moyens que l’on n’aurait jamais supposé suffire à leur représentation. L’un d’entre eux et des plus éminents, n’a pas craint de dire devant moi : « J’en ai plus appris en deux heures, sur mon art, en présence des tableaux de M. Daguerre, que je n’en avais appris pendant toute ma vie dans mon atelier » . Quelques remarquables que fussent ces productions, si la perfection du dessin en faisait le seul mérite, peut-être n’aurions-nous pas songé à en entretenir les lecteurs du Journal des Savants ; ou du moins ce ne serait pas l’auteur de cet article qui devrait en rendre compte. Mais le procédé par lequel on les obtient, quoique resté secret dans ses détails, est essentiellement fondé sur un effet chimique dont on a déjà plusieurs exemples ; et il est realisé par un appareil d’optique connu, qu’il a toutefois fallu modifier pour l’adapter avec le plus d’avantage à ce but spécial. On peut y avoir de l’intérêt à indiquer théoriquement la route que M. Daguerre a dû suivre, pour arriver de ces points de départ aux résultats qu’il a obtenus. On peut aussi être curieux de connaître les tentatives qui ont précédé son succès, ou qui se faisaient simultanément pour arriver au même but, sans savoir qu’il l’eût déjà si complétement atteint. Enfin, il ne sera pas sans utilité de montrer les conséquences ultérieures auxquelles ces recherches conduisent ; et de faire voir qu’elles sont le commencement d’une chimie nouvelle, fondée sur une classe spéciale d’actions que l’on n’avait pas encore suffisamment étudiées, lesquelles influent indubitablement sur une multitude de fonctions des êtres organisés, si même elles n’en sont la cause efficace et déterminante. Toutes les personnes qui ont quelques notions de physique, ou quelque pratique des arts du dessin, connaissent l’appareil d’optique appelé chambre noire. Il se forme d’abord d’un miroir plan, el s’il se peut métallique, lequel réfléchissant les rayons lumineux venus des objets extérieurs, les jette sur une lentille achromatique qui les concentre à son foyer. Chaque point radieux donne ainsi pour image un point brillant, teint des mêmes couleurs naturelles. Tous ces foyers sont reçus sur un tableau blanc placé derrière l’objectif, à la distance precise où ils se forment, de manière que leur ensemble y compose une petite miniature, qui est l’image des objets d’autant plus nette et plus fidèle que l’objectif est plus parfait. Pour soustraire cette peinture au mélange de toute lumière étrangère, le tableau et l’objectif sont enfermés dans une boîte à parois opaques, couvertes interieurement d’un enduit noir, comme la chambre intérieure de notre œil, disposition qui a donné son nom à tout l’appareil. L’observateur, ou le dessinateur, introduit dans cette chambre noire son buste enveloppé d’un rideau opaque ; de sorte qu’il peut, ou seulement contempler l’image formée, ou en fixer les détails en les suivant avec un crayon. Il pourrait même, en remplaçant les couleurs de cette image optique par des dissolutions de même teinte, obtenir un dessin colorié permanent ; ou encore y mettre seulement des ombres et des lumièrcs à leur vraie place, avec les dégradations de ton qu’il y voit ; ce qui donnera un dessin, avec ou sans couleurs, d’autant plus fidèle que les nuances observées auront été reproduites plus exactement. Maintenant, l’invention de M. Daguerre consiste à supprimer tout ce travail d’art, en étendant sur le tableau une couche mince d’une substance impressionnable par la radiation réfractée, de manière à s’affecter le plus vivement dans les places où la lumière est la plus vive, et à les laisser tout à fait blanches ; à s’affecter moins ou la lumiére est moindre, en y laissant un ton moins clair ; et enfin à se maintenir intacte et noire dans les parties complétement ombrées. Après quoi, ces nuances étant produites sur le fonds du tableau, l’emploi de quelque procédé, physique ou chimique, arrête le progrès des modifications que la substance sensible éprouvait, ou la transforme en une matière non impressionnable ; de sorte que l’image formée sous l’infiuence de la radiation se trouve fixée avec toute sa pureté optique, sans aucune intervention de l’art. La chimie a depuis longtemps découvert des préparations qui s’impressionnent ainsi diversement quand elles sont exposées au soleil ou même seulement au grand jour. Tout le monde a pu remarquer les changements que cette exposition prolongée produit dans la plupart des matières colorantes, employées pour la teinture. L’étude des modifications chimiques ou physiques qu’elles éprouvent alors, a été le sujet de becaucoup d’expériences par lesquelles on a constaté l’inégale aptitude des diverses parties de la radiation pour déterminer ces phénomènes, dans des cas divers, selon l’espèce de substances impressionnées, et selon la nature du milieu qui les environne. On a reconnu par là que ce genre d’action a une très-grande influence sur plusieurs fonctions essentielles de la vie végétale ou animale. En nous bornant ici à considérer les préparations chimiques, celles ou ces modifications sont les plus marquées, surtout les plus rapides, sont généralement des combinaisons du chlorure, de l’iode, du brome, du cyanogène ; et les effets observés consistent, soit dans la décomposition totale ou partielle de ces combinaisons sous l’influence de la radiation à laquelle on les présente, soit dans la formation d’un nouveau composé qui s’opère sous la même influence, et qui s’opérerait beaucoup moins vite dans l’obscurité, ou même ne s’y produirait pas. Je citerai seulement comme exemples le chlorure d’argent qui, d’abord blanc dans l’obscurité, se colore ensuite en violet, puis noircit quand il est exposé à la radiation même diffuse ; le bromure d’argent qui, d’abord jaune, devient ainsi vert puis presque noir ; le bleu de Prusse qui, d’après une expérience de M. Chevreuil, perd du cyanogène au soleil, dans le vide, et blanchit, puis reprend de l’oxygène dans l’obscurité et redevient bleu ; enfin le mélange du chlore avec l’hydrogène, qui étant renfermés ensemble dans l’obscurité à l’état gazeux, restent désunis, mais se combinent lentement à la lumière diffuse du jour, et s’unissent instantanément avec une explosion violente sous l’influence de la radiation solaire ; formant alors un acide d’une grande énergie appelé l’acide hydrochlorique, qui se combine ensuite avec les bases salifiables sans laisser séparer les éléments. Je viens de définir ces résultats d’après leurs caractères apparents, quand j’ai dit qu’ils sont déterminés par l’action de la lumière. Mais ce que nous appelons lumière est un principe composé de parties diverses, comme on s’en assure en brisant par le prisme un trait délié de lumière solaire introduit seul dans l’obscurité. Car ce rayon qui, jeté directement sur une toile blanche, ou reçu immédiatement dans nos yeux, produit la sensation de blancheur, étant ainsi réfracté par le prisme s’y décompose et s’y disperse en une image lumineuse que l’on appelle le spectre, et qui est allongée dans le sens de la réfraction. Ceci prouve d’abord que le rayon contient primitivement des parties spécifiquement diverses, puisque tombant sur le prisme toutes ensemble, dans des conditions d’incidence identiques, elles éprouvent des déviations inégales en le traversant. Puis, chacune de ces parties, étant étudiée isolément des autres, ne produit plus dans l’œil, sur la toile, la sensation du blanc, mais celle d’une certaine couleur spéciale dont on peut employer le nom pour la définir. On distingue ainsi dans le rayon blanc total, des rayons rouges , orangés, jaunes, verts, bleus, indigos, violets, ce qui exprime seulement l’espèce de sensation qu’ils excitent. Et ce n’est même là enore qu’un énoncé abrégé du phénomène, par lequel on désigne seulement ses phases principalement appréciables ; car il y n réellement dans le spectre total une succession infinie de nuances, qui passent par degrés insensibles de l’extrême rouge au violet extrême. Or, en plaçant, non plus l’œil, mais des produits impressionnables par la lumière, ou même des thermomètres très-sensibles, dans ces diverses parties du rayon total, on trouve qu’ils y sont affectés fort diversement. Par exemple, le thermomètre accuse ainsi des impressions calorifiques, opérées vers l’extrémite rouge du spectre, et qui, de là s’affaiblissent progressivement jusqu’à devenir nulles ou à peine sensibles vers 1’extrémité violette. Le chlorure d’argent au contraire, est affecté et noirci quand on l’expose aux rayons violets, tandis que les rayons rouges ne le changent point. Même, en poursuivant ces expériences, on a découvert que le plus grand effet calorifique n’a pas lieu dans le rouge visible mais au delà, en dehors du spectre lumineux, ce qui prouve l’existence de rayons spécialement calorifiques, moins réfrangibles que tous les rayons lumineux, et d’autres plus refrangibles que les précédents, quoique calorifiques, qui restent compris dans la partie lumineuse du spectre. On a reconnu semblablement, que ce n’est pas dans le violet extrême, mais au delá, et hors de cette partie du spectre visible que le chlorure d’argent est le plus vivement affecté ; de sorte qu’il y a aussi de ce côté des rayons invisibles, plus réfrangibles que le violet extrême, lesquels sont les plus efficaces pour impressionner cette substance , quoiqu’ils soient inefficaces sur notre retine pour y exciter la vision. Des expériences postérieures, faites avec des instruments thermoscopiques infiniment plus delicats que le thermomètre ordinaire, ont achevé de preciser ces notions, quant aux rayons calorifiques, en montrant que leur existence est physiquement distincte, et indépendante, des rayons qui excitent en nous la sensation de lumière ; qu’ils peuvent être complétement séparés de ceux-ci, comme ceux-ci peuvent en être isolés ; de sorte que l’on peut obtenir également de la chaleur sans lumière ou de la lumière sans chaleur sensible 1([i]). Il restait à faire des études analogues sur les parties spéciales de la radiation, soit solaire soit diffuse, qui determinent des effets chimiques, ou qui rendent certains corps phosphoriques lorsqu’ils y ont été quelque temps exposés. Les resultats si étonnants de M. Daguerre sont venus donner un interêt pressant à cette recherche, et fournir même des éléments d’expériences qui manquaient pour la tenter ; soit par la communication libérale de plusieurs effets qu’il avait observés lui même avec d’autres vues, soit en nous indiquant de nouvelles préparations très-impressionnables qu’il avait formées, et qu’il avait abandonnées comme n’étant pas applicables à son but, quoiqu’elles le fussent au nôtre. Alors, en rassemblant toutes ces indications, et distinguant les différences spécifiques d’actions qu’elles décèlent, on s’est troué conduit à considérer généralement les radiations émanées des corps materiels, célestes ou terrestres, comme composées essentiellement d’une infinité de rayons ayant des qualités et des vitesses diverses, susceptibles n’être émis, absorbés, réfléchis, réfractés, et qui, selon leurs qualités propres, parmi lesquelles il faut comprendre leur nature et leur vitesse actuelles, peuvent produire la vision, la chaleur, la phosphorescence, déterminer certains phénomènes chimiques, et probablement exercer en outre sur les matières inertes, comme sur les corps vivants, beaucoup d’autres actions qui nous sont encore inconnues, lorsqu’ils sont reçus par des corps ou par des organes sensibles à leurs impressions. Cette idée générale est tout à fait indépendante de la nature physique des radiations en elles-mêmes. Si on les exprime ici par, des caractères de matérialité, c’est parce que l’on n’en trouve pas de plus commodes pour les énoncer. Car personne ne peut jusqu’ici savoir avec certitude si les radiations, tant visibles qu’invisibles, résultent réellement de corpuscules émis, ou d’ondulations propagées dans un éther qui pénétrerait tous les corps et remplirait les cieux. Cette exposition nous a paru nécessaire pour faire nettement comprendre comment M. Daguerre a pu fixer les images lumineuses formées au foyer de l’objectif dans la chambre obscure, non par l’effet propre des rayons lumineux mêmes, mais par l’action chimique de la radiation efficace qui les accompagne, en recevant celle-ci, en même temps que la lumière, sur un enduit qu’elle puisse impressionner. Or, pour réaliser cette conception, de manière à en tirer une œuvre d’art, d’une perfection telle qu’il est parvenu à la produire, il fallait remplir plusieurs conditions d’exécution indispensables, qui offraient autant de problèmes physiques ou chimiques très-difficiles ; et dont la resolution n’a pu se faire qu’avec une profonde étude de l’optique, et au moyen d’une infinité d’expériences sur les modifications chimiques qui s’opèrent dans les substances impressionnables, par le contact des corps auxquels elles sont appliquées. Sans connaître le secret de M. Daguerre, nous n’hésitons pas à dire, d’après son succès seul, qu’il n’a pu y arriver qu’à travers une multitude d’observations et de découvertes dont la science expérimentale recevra un avantage considérable. Or, comme ces conditions d’exécution parfaite deviennent nécessaires à connaître pour apprécier équitablement l’invention actuelle de M. Daguerre, par comparaison aux essais qu’on avait tentés avant lui, et comme la foule des imitateurs, qui se lance assez étourdiment de tous côtés sur ses traces, semble les ignorer, puisqu’elle n’en tient aucun compte, il pourra n’être pas inutile de les spécifier, ne fût-ce que pour mieux diriger leur essor ; quoique, à vrai dire, ils puissent bien aussi diminuer d’ardeur, en se voyant beaucoup plus loin du but qu’ils ne le croyaient. Il faut d’abord trouver une substance très-vivement impressionnable par la radiation même diffuse, et qui puisse s’étendre en couche mince et uniforme sens rien perdre de cette propriété. Car si elle se modifiait avec lenteur, les ombres et les clairs des objets exposés à la lumière naturelle, se déplaceraient avec le mouvement du soleil, pendant l’opération ; de sorte qu’il n’y aurait que confusion dans l’empreinte qui se formerait, et l’on devrait renoncer à les reproduire. Une telle substance pourrait donc tout au plus servir pour tirer des copies de gravures, ou d’objets naturels, qui seraient immédiatement appliqués sur le plan où elle serait etendue ; ce que l’on obtiendrait alors par la transmission inégale de la radiation solaire, travers les parties noires et claires de la gravure, ou opaques et transparentes de l’objet appliqué. Mais, outre que l’on n’aurait jamais ainsi qu’un calque plus ou moins imparfait, les facilités que fournit maintenant la lithographie pour tirer immédiatement des copies de gravures aussi nombreuses qu’exactes, rendraient cette application presque puérile. Et enfin cela n’entraînerait nullement la possibilité de former des images analogues par la radiation diffuse dans la chambre noire, ce qui est le point important. Car les effets opérés par la radiation solaire sont complexes, non-seulement à cause de la diversité des éléments qui la composent, mais encore à cause des élévations de temperature qu’elle excite, et que la radiation diffuse ne produit pas. Il faut donc que la substance employée soit vivement sensible, même à cette dernière espèce de radiation. Cette condition est d’ailleurs facile à remplir par les diverses classes de composés chimiques indiqués plus haut, et probablement par beaucoup d’autres. Mais, ce qui est moins aisé, et non moins nécessaire, c’est que l’empreinte formée reproduise immédiatement les ombres pas des ombres et les lumières par des clairs, dont les tons se degradent avec les mêmes variations que dans la nature. Cela exige que la substance sensible, blanchisse ou se dissipe en chaque point du tableau, proportionnellement à l’intensité de la radiation qui l’affecte ; et que cette radiation suive elle-même exactement, ou presque exactement, les rapports d’intensité de la lumière qu’elle accompagne 1 ([ii]). II en est ainsi avec la substance de M. Daguerre ; et, comme il le dit lui-même, c’est le travail de la radiation qui produit les clairs dans ses dessins. Plus on la laisse agir, plus les détails se marquent délicatement par les différences de teintes qui les séparent. Si l’on arrête trop tot l’action, ils sont moins détachés les uns des autres, et l’on obtient comme un dessin à la manière noire, plus ou moins ombré. Tout ce qui reste d’art consiste à modérer le temps de l’exposition au petit nombre de minutes qui convient le mieux pour le résultat qu’on veut obtenir. J’ai parlé d’arrêter l’action. Il faut en effet pouvoir le faire soudainement, comme pour toujours, afin que le dessin ne soit plus impressionnable par la radiation naturelle ou artificielle, quand on voudra le regarder au jour ou à la lumière des lampes. Cette condition, M. Daguerre assure qu’il la remplit rigoureusement ; et l’experience confirme son assertion, puisque ses épreuves montrées par lui tant de fois, à tant de personnes, dans un cabinet très-éclairé, où elles reçoivent une vive lumière, et accidentellement celle du soleil même, n’ont rien perdu de leur netteté, de leur fermeté, de leur harmonie 1 ([iii]). Nous n’avons rien dit encore du choix du tableau surlequet l’enduit sensible devra être appliqué pour recevoir la radiation et former l’empeinte. Ce choix est aussi d’une extrême importance ; car la matière dont le tableau sera fait, agissant par contacl sur la substance impressionnable, devra généralement modifier l’effet que la radiation exerce sur elle ; comme aussi le tableau, selon sa nature, pourra être modifié par la substance influencée, et par les produits qui se formeront. Par exemple, le tissu végétal d’un papier agira autrement que ne ferait une planche métallique. II s’imbibera de la substance imperméable, la retiendra plus ou moins fortement par l’attraction de ses fibres, et par l’affinité des matères employées à sa fabrication. Puis, si vous employez un papier, sa pâte ne sera jamais complétement identique dans toutes les feuilles, ni même dans toutes les parties d’une feuille unique ; ou du moins elle ne s’y trouvera pas distribuée avec une égalité rigoureuse, ce qui produira des inégalités correspondantes dans l’imbibition de la substance sensible, et, par suite, dans l’intensité relative de l’empreinte qui se formera. Enfin, le grain même du papier sera un obstacle considérable à la netteté de l’epreuve. Car, offrant á la radiation les cavités et les monticules dont il est parsemé, les cônes de rayons refractés, émanés des divers points des objets, y laisseront empreintes des sections circulaires, qui empiéteront les unes sur les autres, de manière à détruire toute la délicatesse des détails. Il France donc indispensable de faire tracer ces empreintes sur une surface rigide exactement plane, pour obtenir le degré de perfection qui, seul, peut les rendre précieuses et instructives, comme œuvres d’art. Mais alors, quelle nature de plan sera la plus favorable, non-seulement pour l’action chimique, mais aussi pour harmoniser le mieux possible les lumières et les ombres, et en adoucir la dégradation ? Ceci est une question très-délicate et que l’expérience peut seule résoudre. Aussi, en observant avec attention les épreuves de M. Daguerre, y remarque-t-on certains jeux de lumière selon qu’on les regarde en divers sens. Ce sont là sans doute des effets cherchés, opérés à dessein, pour un motif d’art ; et il se peut qu’il y en ait d’autres encore plus secrets, qu’on n’aperçoit pas, quoiqu’ils contribuent aussi essentiellement à la perfection incroyable des résultats. Enfin, nous indiquerons encore une dernière condition de succèss, sans laquelle toutes les peines prises pour remplir les précédentes seraient à peu près inutiles. C’est l’appropriation spéciale de la réfraction optique, à la radiation efficace qu’il s’agit d’employer. Si la substance qui doit la recevoir et s’en affecter était la rétine humaine ou une membrane nerveuse de même nature, il faudrait composer l’objectif e manière qu’il fût achromatique pour les rayons qui excitent dans notre œil la sensation de la vision ; et il faudrait disposer ses courbures de telle sorte que les cônes lumineux qui le traversent obliquement à son axe, et dont les foyers forment les bords du dessin, jetassent ces foyers sur le même plan que ceux qui en forment le centre. C’est ce que l’on s’efforce d’obtenir dans les objectifs destinés aux chambres noires ordinaires, lorsqu’elles sont faites avec soin et précision. Il faut donc ici obtenir cet accord des distances focales, non pour les rayons lumineux, mais pour les rayons spéciaux par lesquels la substance impressionnable est individuellement affectée ; et cela est si nécessaire que, pour certaines substances, la concentration exacte des rayons les moins réfrangibles serait nuisible, et celle des plus réfrangibles la seule efficace. Voilà donc encore une étude à faire pour chaque substance impressionnable que l’on veut choisir ; et si on l’omet, ou si on la néglige, l’empreinte tracée sera aussi défectueuse que le paraîtrait, pour notre œil, l’image formée dans la chambre noire ordinaire par un objectif qui concentrerait inexactement les rayons lumineux. La perfection des dessins de M. Daguerre prouve qu’il a dû deviner avec beaucoup d’habileté cette condition optique pour la substance dont il se sert ; et qu’il a dû y satisfaire avec une grande précision, soit par des expériences directes, soit par des essais multipliés. Or, ayant communiqué ceci à M. Daguerre, France l’avoir écrit, il m’a dit qu’en effet il avait bien remarqué aussi cette nécessité d’une distance focale spéciale, distincte de la lumineuse, pour impressionner le plus vivement sa substance, et lui faire tracer des empreintes aussi nettes que celles qu’il obtient ; de sorte qu’il s’est conformé à la spécialité de ses affections pour certains éléments de la radiation totale, sans savoir alors que ces éléments fussent distincts de ceux qui opèrent la vision dans nos yeux, quoique cela résultàt de ses expériences mêmes, comme il nous devint facile de le conclure, dès qu’il nous en eut confié plusieurs particularités physiques qu’il avait remarquées, et qui sont autant de caractères indubitables de ce genre d’action. Je suis entré dans ces détails pour montrer que les dessins de M. Daguerre, qui ont fait l’admiration de tous ceux qui les ont examinés, n’ont pas été, n’ont pas pu être le résultat fortuit d’un heureux hasard, ou de la découverte accidentelle de quelque substance très rapidement impressionnable par la radiation. Il a fallu appliquer à ce sujet de recherche une multitude d’observations et d’expériences, sur la diverse sensibilité des substances impressionnables, sur leurs affections propres pour tel ou tel élément de la radiation totale, sur les modifications apportées à leur sensibilité par les agents chimiques, ou par le simple contact des corps sur lesquels on les dépose ; puis, toutes ces propriétés étant découvertes, il a fallu les faire servir toutes ensemble à une œuvre d’art, si bien combinée et si minutieusement parfaite, qu’elle ne lasse point l’admiration des connaisseurs les plus exercés. Voilà ce qu’a fait M. Daguerre après quatorze années de travaux persévérants ; et nous n’avons aucune hésitation à dire que la publication de ses procédés ne pourra manquer d’enrichir la chimie et la physique moléculaire, d’une foule de résultats aussi féconds qu’inattendus. Dans un prochain article nous raconterons la serie des essais qui ont précédé l’invention de M. Daguerre, et les tentatives qui se font encore actuellement, soit en Angleterre, soit en France, pour atteindre le même but. L’énumération que nous avons faite des conditions du problème à résoudre, servira pour apprécier les espérances que ces divers procédés peuvent faire concevoir. Nous essaierons d’indiquer en terminant, les nouvelles vues de physique générale que l’étude de ce genre d’action peut suggérer, et les connaissances qu’elle peut nous fournir sur beaucoup de fonctions des êtres organisés, ainsi que sur la nature des radiations qui, traversant dans tous les sens l’espace, sont peut-être un élément de l’univers physique, beaucoup plus influent et plus général qu’on ne l’avait jusqu’à présent soupçonné. BIOT |
([ii]) 1 La proportionnalité approchée dont il s'agit n'est établie, dans les expériences de M. Daguerre, que pour les sysitèmes de radiation directs ou réfléchis qui emanent primitivement ou sccondairement de corps en ignition.
Dans les systèmes ainsi naturellement formés, il y a un certain ensemble de rayons qui sont efficaces sur la substance de M. Daguerre, et dont le spectre particulier différerait du spectre liumineux, s'ils étaient réfractés simultanément dans le même prisme; de sorte que, lorsqu'ils tranversent ainsi un mêmme objectif, leur foyer principal est différent. Maintenant, si ces rayons efficaces étaient en proportion sensiblement différentes dans les cõnes lumineux émis par les points matériels qui nous paraissent de diverse couleur, l'intensité des impressions qu'ils produiraient dans les épreuves de M. Daguerre ne répondrait pas assez approximativement aux dégradations optiques des ombres et des clairs, tels qu'ils nous paraissent dans les objets naturels. Donc, inversement, cette correspondance ayant lieu dans les dessins, avec une approximation qui n'y laisse apercevoir aucun défaut sensible, on en peut conclure que la proportionnalité dont il s'agit a lieu, avec une approximation du même ordre, dans les systèmes de radiations émanés des corps naturels, soit qu'elles agissent sur la substance de M. Daguerre ou sur nos yeux.
Mais cet accord n'aurait plus lieu sans doute si, au lieu de radiations naturelles, on composait deu systèmes artificiels de radiations où les proportions des éléments seraient différentes. Car, si l'on y laissait subsister par exemple certaines parties seulement des radiations lumineuses et tout l’ensemble des radiations efficaces, celles-ci ne produiraient évidement plus, sur la substance de M. Daguerre, une dégradation de tons correspondante à calle du système coloré, artificiel, que l’on aurait fabriqué pour le présenter à l’œil.
Dans les systèmes de radiations naturelles même, la proportionnalité entre la somme des éléments efficaces pour la substance de M. Daguerre, n’a lieu qu’approximativement; car, d’après une remarque qu’il a faite, la dégradtion des tons produite par les objets colorés est tant (?) soit peu différente de leur dégradation apparente, lorsquilssont proches. Mais la différence devient insensible quand l’ éloignement des objets est devenu plus considérable, parce que la radiation propre de l’air, qui se mêle à celle de leurs teintes propres, rétabli la concordance à un degré suffisant pour l’œil.
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