7 de Agosto
Compte Rendu des Séances de L'Académie des Sciences
T. XCV
Nº. 6
Pag. 267, 268, 269, 270
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PHYSIOLOGIE. - Emploi de la pholographie pour déterminer la trajectoire des corps en mouvement, avec leurs vitesses à chaque instant et leurs positions relatives. Applications à la Mécanique animale. Note de M. Marey.
« Un des points les plus importants dans l'analyse de la locomotion animale, c'est la détermination de la trajectoire suivie par difiérentes parties du corps. Ainsi, le pied d'un homme, entre le moment où il quitte le sol et celui où il se pose de nouveau, parcourt dans l'espace une sorte d'arc dont la forme est très difficile à apprécier par la vue, même dans la marche lente, à plus forte raison dans les allures rapides. Il est bien plus difficile encore d'estimer les trajectoires des pieds d'un cheval au trot ou au galop, celles de l'extrémité de l'aile d'un oiseau qui vole, etc.
» Et pourtant il ne suffit pas de connaître avec exactitude la trajectoire suivie par un point du corps pour déterminer la loi d'un mouvement, il faut avoir aussi la connaissance de sa vitesse à chaque instant.
« J'ai fait autrefois certaines expériences dans lesquelles, au moyen de procédés mécaniques, j'obtenais l'inscription des mouvements, ceux de l'aile d'un oiseau par exemple, avec la triple indication de la trajectoire parcourue, de la vitesse du mouvement chaque instant et des changements de l'inclinaison du plan de l'aile aux différents points de son parcours elliptique (1) ([i]). Ces espériences étaient difficiles, on ne pouvait les faire que sur de grands oiseaux apprivoisés, et, comme elles exigent l'adaptation d'appareils destinés à recueillir et à transmettre les mouvements des ailes, on n'a pas manqué de contester les résultats en disant que la « trajectoire obtenue n'était pas celle qu'eût donnée un oiseau libre ».
» La méthode photographique me semble être à l'abri de reproches semblables: aussi ai-je entrepris de l'employer pour résoudre le problème, jusqu'ici insoluble, d'inscrire la trajectoire d'un point du corps d'un animal en mouvement avec l'indication de la vitesse de ce point à chaque instant, sans altérer en rien la liberté de ses allures. Cette méthode devra se prêter évidemment aux inscriptions multiples et permettre de reconnaître les positions et les vitesses relatives de différents points du corps.
« Photographie de la trajectoire d'un corps en mouvement. - Pour inscrire la trajectoire d'un corps, il suffit de l'éclairer vivement et de le mettre en mouvement devant un écran noir (2) ([ii]) . Une plaque photographique très sensible devra garder l'impression de ce corps sur tous les points qu'aura parcourus son image.
» L'expérience a vérifié cette première proposition. J'enveloppai de papier blanc une petite pierre, et, me placant au soleil, en face de l'écran, je lançai cette pierre devant moi. L'appareil photographique fut ouvert par un aide pendant la durée du trajet de la pierre, et je recueillis sur la plaque la trajectoire prévue, c'est-à-dire la double parabole décrite par le projectile.
» Ou bien j'attachai une pierre blanche à un fil, et, la faisant tourner comme une fronde, j'obtins l'image du cercle parcouru par la pierre; d'autres fois, je marchais en faisant mouvoir la fronde, et la figure tracée était formée d'une série de boucles résultant de la combinaison du mouvement rotatif avec la translation horizontale.
» Dans un autre cas, je pris un bâton noir terminé par une boule blanche, et je l'agitai en marchant devant l'écran, de manière à tracer successivement toutes les lettres de mon nom; ma signature se trouva distinctement écrite sur la plaque photographique.
» Dans ces expériences s'est révélée la défectuosité de mon installation actuelle au point de vue de la construction de l'écran. Comme l'objectif reste entièrement ouvert pendant un temps assez long, la moindre lumière agit sur l'épreuve d’une façon très marquée: des poteaux noirs qui soutiennent les châssis inclinés, étant exposés au soleil, apparaissent très distinctement dans l'image. Aussi ai-je l'intention de substituer aux écrans inclinés une sorte de hangar profond, complètement noir à l'intérieur.
» En somme, l'expérience que je viens d'exposer a eu un plein succès, puisque je suis arrivé à photographier des mouvements beaucoup plus rapides que ceux qui se produisent dans la locomotion des animaux.
« Indication de la vitesse que possède à chaque instant le corps dont on photographie la trajectoire. - Pour obtenir cette indication, il faut, à des intervalles connus, égaux entre eux et aussi courts que possible, produire des intermittences dans l'arrivée de la lumière à l'intérieur de l'appareil photographique. Ces éclipses successives se traduisent par des interruptions de la courbe, et celle-ci apparaît formée de points ou de traits juxtaposés, selon la vitesse du mouvement. Ainsi, dans la trajectoire d'une pierre qu'on lance, la ponctuation est très serrée à la partie supérieure de la courbe, c'est-à-dire quand la vitesse est minimum, puis ces points s'allongent et se transforment en traits de longueurs croissantes à mesure que s'accélère la chute de la pierre.
» Pour obtenir ces intermittences dans l'éclairage, je fais tourner, devant l'objectif, au moyen d'un rouage uniforme, une roue qui fait 10 tours par seconde. Cette roue porte dix rayons dont chacun, à son passage, interrompt l'éclairage. Ces éclipses se reproduisent donc 100 fois par seconde; il s'ensuit que, dans la photographie, la longueur comprise entre deux points ou deux traits consécutifs représente, à une échelle connue, l'espace parcouru par le corps en de seconde.
» Détermination des synchronismes entre les courbes du mouventent de différentes parties du corps. - Jusqu'ici nous n'avons déterminé que les caractères du mouvement de différentes parties du corps considérées chacune isolément; mais il est d'une grande importance, pour l'analyse de la locomotion, de connaître les mouvements relatifs de ces différentes parties; on sait, par exemple, que, dans la marche, la jambe et le bras d'un même côté exécutent des mouvements de sens inverse. Il n'est pas moins nécessaire de déterminer les rapports qui existent entre les soulèvements ou réactions du corps d'un cheval et les actions de ses membres, entre les oscillations du corps d'un oiseau et les mouvements de ses ailes, etc. Pour indiquer les positions relatives de différentes parties du corps à un mêrne instant, il faut produire à cet instant un signe particulier dans chacune des courbes tracées. Ce signe servira de repère pour montrer la position que chacun des points considérés occupait à un même moment.
» A cet effet, je donne à l'un des rayons de la roue interruptrice une largeur double de celle des autres: il s'ensuit, dans la courbe tracée, une éclipse plus longue au moment où passe ce rayon. Ces repères suffisent pour déterminer sans hésitation les positions relatives des différents points du corps a chaque dixième de seconde.
» Cette disposition présente encore un autre avantage, celui de faciliter l'évaluation des temps; rien n'est plus facile, en effet, que de compter les groupes de dix points que séparent deux repères consécutifs sur les courbes photographiques.
« J'ai déjà commencé l'application de cette méthode à l'analyse de la locomotion de l'homme, et je compte, aussitôt que mon installation sera plus parfaite, l'appliquer aux divers genres de locomotion. Il est à peine nécessaire de dire que la photographie des trajectoires permettra de résoudre expérimentalement, avec une facilité singulière, certains problèmes de Cinématique, dont la solution par le calcul pourrait offrir d'assez grandes difficultés. »
([i]) (1) Comptes rendus, 1er semestre, 1872, p.589.
([ii]) (2) Voir, pour la description de l’écran, la Note insérée dans le nº 1, 3 juillet 1882.
PHYSIOLOGIE. - Emploi de la pholographie pour déterminer la trajectoire des corps en mouvement, avec leurs vitesses à chaque instant et leurs positions relatives. Applications à la Mécanique animale. Note de M. Marey.
« Un des points les plus importants dans l'analyse de la locomotion animale, c'est la détermination de la trajectoire suivie par difiérentes parties du corps. Ainsi, le pied d'un homme, entre le moment où il quitte le sol et celui où il se pose de nouveau, parcourt dans l'espace une sorte d'arc dont la forme est très difficile à apprécier par la vue, même dans la marche lente, à plus forte raison dans les allures rapides. Il est bien plus difficile encore d'estimer les trajectoires des pieds d'un cheval au trot ou au galop, celles de l'extrémité de l'aile d'un oiseau qui vole, etc.
» Et pourtant il ne suffit pas de connaître avec exactitude la trajectoire suivie par un point du corps pour déterminer la loi d'un mouvement, il faut avoir aussi la connaissance de sa vitesse à chaque instant.
« J'ai fait autrefois certaines expériences dans lesquelles, au moyen de procédés mécaniques, j'obtenais l'inscription des mouvements, ceux de l'aile d'un oiseau par exemple, avec la triple indication de la trajectoire parcourue, de la vitesse du mouvement chaque instant et des changements de l'inclinaison du plan de l'aile aux différents points de son parcours elliptique (1) ([i]). Ces espériences étaient difficiles, on ne pouvait les faire que sur de grands oiseaux apprivoisés, et, comme elles exigent l'adaptation d'appareils destinés à recueillir et à transmettre les mouvements des ailes, on n'a pas manqué de contester les résultats en disant que la « trajectoire obtenue n'était pas celle qu'eût donnée un oiseau libre ».
» La méthode photographique me semble être à l'abri de reproches semblables: aussi ai-je entrepris de l'employer pour résoudre le problème, jusqu'ici insoluble, d'inscrire la trajectoire d'un point du corps d'un animal en mouvement avec l'indication de la vitesse de ce point à chaque instant, sans altérer en rien la liberté de ses allures. Cette méthode devra se prêter évidemment aux inscriptions multiples et permettre de reconnaître les positions et les vitesses relatives de différents points du corps.
« Photographie de la trajectoire d'un corps en mouvement. - Pour inscrire la trajectoire d'un corps, il suffit de l'éclairer vivement et de le mettre en mouvement devant un écran noir (2) ([ii]) . Une plaque photographique très sensible devra garder l'impression de ce corps sur tous les points qu'aura parcourus son image.
» L'expérience a vérifié cette première proposition. J'enveloppai de papier blanc une petite pierre, et, me placant au soleil, en face de l'écran, je lançai cette pierre devant moi. L'appareil photographique fut ouvert par un aide pendant la durée du trajet de la pierre, et je recueillis sur la plaque la trajectoire prévue, c'est-à-dire la double parabole décrite par le projectile.
» Ou bien j'attachai une pierre blanche à un fil, et, la faisant tourner comme une fronde, j'obtins l'image du cercle parcouru par la pierre; d'autres fois, je marchais en faisant mouvoir la fronde, et la figure tracée était formée d'une série de boucles résultant de la combinaison du mouvement rotatif avec la translation horizontale.
» Dans un autre cas, je pris un bâton noir terminé par une boule blanche, et je l'agitai en marchant devant l'écran, de manière à tracer successivement toutes les lettres de mon nom; ma signature se trouva distinctement écrite sur la plaque photographique.
» Dans ces expériences s'est révélée la défectuosité de mon installation actuelle au point de vue de la construction de l'écran. Comme l'objectif reste entièrement ouvert pendant un temps assez long, la moindre lumière agit sur l'épreuve d’une façon très marquée: des poteaux noirs qui soutiennent les châssis inclinés, étant exposés au soleil, apparaissent très distinctement dans l'image. Aussi ai-je l'intention de substituer aux écrans inclinés une sorte de hangar profond, complètement noir à l'intérieur.
» En somme, l'expérience que je viens d'exposer a eu un plein succès, puisque je suis arrivé à photographier des mouvements beaucoup plus rapides que ceux qui se produisent dans la locomotion des animaux.
« Indication de la vitesse que possède à chaque instant le corps dont on photographie la trajectoire. - Pour obtenir cette indication, il faut, à des intervalles connus, égaux entre eux et aussi courts que possible, produire des intermittences dans l'arrivée de la lumière à l'intérieur de l'appareil photographique. Ces éclipses successives se traduisent par des interruptions de la courbe, et celle-ci apparaît formée de points ou de traits juxtaposés, selon la vitesse du mouvement. Ainsi, dans la trajectoire d'une pierre qu'on lance, la ponctuation est très serrée à la partie supérieure de la courbe, c'est-à-dire quand la vitesse est minimum, puis ces points s'allongent et se transforment en traits de longueurs croissantes à mesure que s'accélère la chute de la pierre.
» Pour obtenir ces intermittences dans l'éclairage, je fais tourner, devant l'objectif, au moyen d'un rouage uniforme, une roue qui fait 10 tours par seconde. Cette roue porte dix rayons dont chacun, à son passage, interrompt l'éclairage. Ces éclipses se reproduisent donc 100 fois par seconde; il s'ensuit que, dans la photographie, la longueur comprise entre deux points ou deux traits consécutifs représente, à une échelle connue, l'espace parcouru par le corps en de seconde.
» Détermination des synchronismes entre les courbes du mouventent de différentes parties du corps. - Jusqu'ici nous n'avons déterminé que les caractères du mouvement de différentes parties du corps considérées chacune isolément; mais il est d'une grande importance, pour l'analyse de la locomotion, de connaître les mouvements relatifs de ces différentes parties; on sait, par exemple, que, dans la marche, la jambe et le bras d'un même côté exécutent des mouvements de sens inverse. Il n'est pas moins nécessaire de déterminer les rapports qui existent entre les soulèvements ou réactions du corps d'un cheval et les actions de ses membres, entre les oscillations du corps d'un oiseau et les mouvements de ses ailes, etc. Pour indiquer les positions relatives de différentes parties du corps à un mêrne instant, il faut produire à cet instant un signe particulier dans chacune des courbes tracées. Ce signe servira de repère pour montrer la position que chacun des points considérés occupait à un même moment.
» A cet effet, je donne à l'un des rayons de la roue interruptrice une largeur double de celle des autres: il s'ensuit, dans la courbe tracée, une éclipse plus longue au moment où passe ce rayon. Ces repères suffisent pour déterminer sans hésitation les positions relatives des différents points du corps a chaque dixième de seconde.
» Cette disposition présente encore un autre avantage, celui de faciliter l'évaluation des temps; rien n'est plus facile, en effet, que de compter les groupes de dix points que séparent deux repères consécutifs sur les courbes photographiques.
« J'ai déjà commencé l'application de cette méthode à l'analyse de la locomotion de l'homme, et je compte, aussitôt que mon installation sera plus parfaite, l'appliquer aux divers genres de locomotion. Il est à peine nécessaire de dire que la photographie des trajectoires permettra de résoudre expérimentalement, avec une facilité singulière, certains problèmes de Cinématique, dont la solution par le calcul pourrait offrir d'assez grandes difficultés. »
([i]) (1) Comptes rendus, 1er semestre, 1872, p.589.
([ii]) (2) Voir, pour la description de l’écran, la Note insérée dans le nº 1, 3 juillet 1882.
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