1839 19 de Agosto | COMPTES RENDUS DES SÉANCES DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES T. IX Nº. 8 Juillet-Décembre 1839 Pags. 250, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 259 |
LE DAGUERRÉOTYPE.
« Avant d’entrer dans les considérations théoriques et techniques qui doivent le conduire à l’explication. du Daguerréotype, M. Arago exprime le regret que l’inventeur de cet ingénieux appareil n’ait pas pu se charger lui-même d’en développer toutes les propriétés devant l’Académie. Ce matin encore, ajoute M. Arago, j‘ai prié, jai supplié l’habile artiste de vouloir bien se rendre à un vœu qui me semblait devoir être partagé par tout le monde; mais un violent mal de gorge; mais la crainte de ne pas se rendre intelligible sans le secours de planches; mais un peu de timidité ont été des obstacles que je n’ai pas su vaincre. J’espère que l’Académie voudra bien me tenir quelque compte de l’obligation où je me trouve de lui faire, et même sans y être suffisamment préparé, une simple communication verbale sur des sujets si délicats (1) ([i]). « Un physicien napolitain, Jean-Baptiste Porta, reconnut, il y a environ deux siècles, que si l’on perce un trés petit trou dans le volet de la fenêtre d’une chambre bien close, ou, mieux encore, dans une plaque métallique mince appliquée a ce volet, tous les objets extérieurs dont les rayons peuvent atteindre le trou, vont se peindre sur le mur de la chambre qui lui fait face, avec des dimensions réduites ou agrandies, suivant les distances; avec des formes et des situations relatives exactes, du moins dans une grande étendue du tableau; avec les couleurs naturelles. Porta découvrit, peu de temps après, que le trou n’a nullement besoin d’être petit; qu’il peut avoir une largeur quelconque quand on le couvre d’un de ces verres bien polis, qui, à raison de leur forme, ont été appelés des lentilles. « Les images produites par l’intermédiaire du trou ont peu d’intensité. Les autres brillent d’un éclat proportionnel à l’étendue superficielle de la lentille qui les engendre. Les premières ne sont jamais exemptes de confusion. Les images des lentilles, au contraire, quand on les recoit exactement au foyer, ont des contours d’une grande netteté. Cette netteté est devenue vraiment étonnante depuis l’invention des lentilles achromatiques; depuis qu’aux lentilles simples, composées d’une seule espéce de verre, et possédant, dès lors, autant de foyers distincts qu’il y a de couleurs différentes dans la lumière blanche, on a pu substituer des lentilles achromatiques, des lentilles qui réunissent tous les rayons possibles dans un seul foyer; depuis, aussi, que la forme périscopique a été adoptée. « Porta fit construire des chambres noires portatives. Chacune d’elles était composée d’un tuyau, plus ou moins long, armé d’une lentille. L’écran blanchâtre en papier ou en carton sur lequel les images allaient se peindre, occupait le foyer. Le physicien napolitain destinait ses petits appareils aux personnes qui ne savent pas dessiner. Suivant lui, pour obtenir des vues parfaitement exactes des objets les plus compliqués, il devait suffire de suivre, avec la pointe d’un crayon, les contours de l’image focale. « Ces prévisions de Porta ne se sont pas complétement réalisées. Les peintres, les dessinateurs, ceux particulièrement qui exécutent les vastes toiles des panoramas et des dioramas, ont bien encore quelquefois recours à la chambre noire; mais c’est seulement pour tracer, en masse, les contours des objets; pour les placer dans les vrais rapports de grandeur et de position; pour se conformer à toutes les exigences de la perspective linéaire. Quant aux effets dépendants de l’imparfaite diaphanéité de notre atmosphere, qu’on a caractérisés par le terme assez impropre de perspective aérienne, les peintres exercés eux-mêmes n’espéraient pas que, pour les reproduire avec exactitude, la chambre obscure , put leur être d’aucun secours. Aussi, n’y a-t-il personne qui, après avoir remarqué !a netteté de contours, la vérité de formes et de couleur, la dégradation exacte de teintes qu’offrent les images engendrées par cet instrument, n’ait vivement regretté qu’elles ne se conservassent pas d’elles-mêmes, n’ait appelé de ses vœux la découverte de quelque moyen de les fixer sur l’écran focal. Aux yeux de tous, il faut également le dire, c’était là un rêve destiné à prendre place parmi les conceptions extravagantes d’un Wilkins ou d’un Cyrano de Bergerac. Le rêve, cependant, vient de se réaliser. Prenons l’invention dans son germe et marquons-en soigneusement les progrès. « Les alchimistes réussirent jadis à unir l’argent à l’acide marin Le produit de la combinaison était un sel blanc qu’ils appelèrent lune ou argent corné (l).([ii]) Ce sel jouit de la propriété remarquable de noircir à la lumière, de noircir d’autant plus vite que les rayons qui le frappent sont plus vifs. Couvrez une feuille de papier d’une couche d’argent corné ou, comme on dit aujourd’hui, d’une couche de chlorure d’argent; formez sur cette couche, à l’aide d’une lentille, l’image d’un objet; les parties obscures de l’image, les parties sur lesquelles ne frappe aucune lumière resteront blanches; les parties fortement éclairées deviendront complétement noires; les demi-teintes seront représentées par des gris plus ou moins foncés. » Placez une gravure sur du papier enduit de chlorure d’argent, et exposez le tout à la lumière solaire, la gravure en dessus. Les tailles remplies de noir arrêteront les rayons; les parties de l’enduit que ces tailles touchent et recouvrent, conserveront leur blancheur primitive. Dans les régions correspondantes, au contraire, à celles de la planche, où l’eau-forte, le burin n’ont pas agi; là où le papier a conservé sa demi-diaphanéité, la lumière solaire passera et ira noircir la couche saline. Le résultat nécessaire de l’opération sera donc une image semblable à la gravure par la forme, mais inverse quant aux teintes: le blanc s’y trouvera reproduit en noir, et réciproquement. » Ces applications de la si curieuse propriété du chlorure d’argent découverte par les anciens alchimistes, sembleraient devoir s’être présentées d’elles-mêmes et de bonne heure; mais ce n’est pas ainsi que procède l’esprit humain. Il nous faudra descendre jusqu’aux premières années XIXe siècle pour trouver les premières traces de l’art photographique. » Alors Charles, notre compatriote, se servira, dans ses cours, d’un papier enduit, pour engendrer des silhouettes à l’aide de l’action lumineuse. Charles est mort sans décrire la préparation dont il faisait usage; et comme, sous peine de tomber dans la plus inextricable confusion, l’historien des sciences ne doit s’appuyer que sur des documents imprimés, authentiques, il est de toute justice de faire remonter les premiers linéaments du nouvel art à un Mémoir de Wedgwood, ce fabricant si célèbre, dans le monde industriel, par le perfectionnemet des poteries et par l’invention d’un pyromètre destiné à mesurer les plus hautes températures. » Le mémoire de Wedgwood parut en 1802, dans le numéro de juin du journal Of the royal Institution of Great Britain. L’auteur veut, soit à l’aide de peaux, soit avec des papiers enduits de chlorure ou de nitrate d’argent, copier les peintures des vitraux des églises, copier des gravures. « Les images de la chambre obscure (nous rapportons fidèlement un passage du mémoire), il les trouve trop faibles pour produire, dans un temps modéré, de l’effet sur du nitrate d’argent. « (The images formed by means of a camera obscura, have been found to be too faint to produce, in any moderate time, an effect upon the nitrate of silver.) « Le commentateur de Wedgwood, l’illustre Humphry Davy, ne contredit pas l’assertion relative aux images de la chambre obscure. Il ajoute seulement, quant à lui, qu’il est parvenu à copier de très petits objets au microscope solaire, mais seulement à une courte distance de la lentille. » Au reste, ni Wedgwood, ni sir Humphry Davy ne trouvèrent le moyen, l’opération une fois terminée, d’enlever à leur enduit (qu’on nous passe l’expression), d’enlever à la toile de leurs tableaux, la propriété de se noircir à la lumière. I1 en résultait que les copies qu’ils avaient obtenues ne pouvaient être examinées au grand jour; car au grand jour tout, en trés peu de temps, y serait devenu d’un noir uniforme. Qu’était-ce, en, vérite, qu’engendrer des images sur lesquelles on ne pouvait jeter un coup d’œil qu’a la dérobée, et même seulement à la lumière d’une lampe; qui disparaissaient en peu d’instants, si on les examinait au jour? » Après les essais imparfaits, insignifiants, dont nous venons de donner l’analyse, nous arriverons, sans rencontrer sur notre route aucun intermédiaire, aux recherches de MM. Niépce et Daguerre. « Feu M. Niépce était un propriétaire retiré dans les environs de Châlon-sur-Saône. II consacrait ses loisirs à des recherches scientifiques. Une d’elles, concernant certaine machine où la force élastique de l’air brusquement échauffé devait remplacer l’action de la vapeur, subit, avec assez de succès, une épreuve fort délicate: l’examen de l’Académie des Sciences. Les recherches photographiques de M. Niépce paraissent remonter jusqu’à l’année 1814. Ses premières relations avec M. Daguerre sont du mois de janvier 1826. L’indiscrétion d’un opticien de Paris lui apprit alors que M. Daguerre était occupé d’expériences ayant aussi pour but de fixer les images de la chambre obscure. Ces faits sont consignés dans les lettres que nous avons eues sous les yeux. En cas de contestation, la date certaine des premiers travaux photographiques de M. Daguerre , serait donc l’année 1826. » M. Niépce se rendit en Angleterre en 1827. Dans le mois de Décembre de cette même année, il présenta un Mémoire sur ses travaux photographiques à la Société royale de Londres. Le mémoire était accompagné de plusieurs échantillons sur métal, produits des méthodes déjà découvertes alors par notre compatriote. A l’occasion d’une réclamation de priorité, ces échtintillons, encore en bon état, sont loyalement sortis naguère des collections de divers savants anglais. Ils prouvent, sans réplique, que pour la copie photographique des gravures, que pour la formation, à l’usage des graveurs, de planches à 1’éta.t d’ébauches avancées, M. Niépce connaissait, en 1827, le moyen de faire correspondre les ombres aux ombres, les demi-teintes aux demi-teintes, les clairs aux clairs; qu’il savait, de plus, ces copies une fois engendrées, les rendre insensibles à l’action ultérieure et noircissante des rayons solaires. En d’autres termes, par le choix de ses enduits, l’ingénieux expérimentateur de Châlon résolut, dès 1827, un problème qui avait défié la haute sagacité d’un Wedgwood , d’un Humphry Davy. » L’acte d’association (enregistré) de MM. Niépce et Daguerre, pour l’exploitation en commun des méthodes photographiques, est du 14 Décembre 1829. Les actes postérieurs, passés entre M. Isidore Niépce fils, comme héritier de son père, et M. Daguerre, font mention, premièrement, de perfectionnements apportés par le peintre de Paris aux méthodes du physicien de Châlon; en second lieu, de procédés entièrement neufs, découverts par M. Daguerre, et doués de l’avantage (ce sont les propres expressions d’un des actes) « de reproduire les images avec soixante ou quatre-vingts fois plus de promptitude » que les procédés anciens. « Dans ce que nous disions tout-à-l’heure des travaux de M. Niépce, on l’aura sans doute remarqué ces mots restrictifs : pour, la copie photographique des gravures. C’est qu’en effet, après une multitude d’essais infructueux, M. Niépce avait, lui aussi, à peu près renoncé à reproduire les images formées dans la chambre obscure; c’est que les préparations dont il faisait usage, ne se modifiaient pas assez vite sous l’action lumineuse; c’est qu’il lui fallait dix à douze heures pour engendrer un dessin; c’est que, pendant de si longs intervalles de temps, les ombres portées se déplacaient beaucoup; c’est qu’elles passaient de la gauche à la droite des objets; c’est que ce mouvement, partout, où il s’opérait, donnait naissance à des teintes plates, uniformes; c’est que, dans les produits d’une méthode aussi défectueuse, tous les effets résultant des contrastes d’ombre et de lumière étaient perdus; c’est que, malgré ces immenses inconvénients, on n’était pas même toujours sûr de réussir; c’est qu’aprés des précautions infinies, des causes insaisissables, fortuites, faisaient qu‘on avait tantôt un résultat passable, tantôt, une image incomplète ou qui laissait çà et là de larges lacunes ; c’est, enfin, qu’exposés aux rayons solaires, les enduits sur lesquels les images se dessinaient, s’ils ne noircissaient pas, se divisaient, se séparaient par petites écailles (I) ([iii]). « En prenant la contre-partie de toutes ces imperfections, on aurait une énumération, à peu près complète, des mérites de la méthode que M. Daguerre a découverte, à la suite d’un nombre immense d’essais minutieux, pénibles, dispendieux. « Les plus faibles rayons modifient la substance du Daguerréotype. L’effet se produit avant que les ombres solaires aient eu le temps de se déplacer d’une manière appréciable. Les résultats sont certains, si on se conforme à des prescriptions très simples. Enfin, les images une fois produites, l’action des rayons du soleil, continuée pendant des années, n’en altère ni la pureté, ni l’éclat, ni l’harmonie. « A l’inspection de plusieurs des tableaux qui ont passé sous vos yeux, chacun songera à l’immense parti qu’on aurait tiré, pendant l’expédition d’Égypte, d’un moyen de reproduction si exact et si prompt; chacun sera frappé de cette réflexion, que si la photographie avait été connue en 1798, nous aurions aujourd’hui des images fidèles d’un bon nombre de tableaux emblématiques, dont la cupidité des Arabes et le vandalisme de certains voyageurs, ont privé à jamais le monde savant. » Pour copier les millions et millions d’hiéroglyphes qui couvrent, même à l’extérieur, les grands monuments de Thèbes, y de Memphis, de Karnak, etc., il faudrait des vingtaines d’années et des légions de dessinateurs. Avec le Daguerréotype, un seul homme pourrait mener à bonne fin cet immense travail. Munissez l’institut d’Égypte de deux ou trois appareils de M. Daguerre, et sur plusieurs des grandes planches de l’ouvrage célèbre, fruit de notre immortelle expédition, de vastes étendiues d’hiéroglyphes réels iront remplacer des hiéroglyphes fictifs ou de pure convention; et les dessins surpasseront partout en fidélité, en couleur locale, les œuvres des plus habiles peintres; et les images photographiques étant soumises dans leur formation aux règles de la géométrie, permettront, à l’aide d’un petit nombre de données, de remonter aux dimensions exactes des parties les plus, élevées, les plus inaccessibles des édifices. « Ces souvenirs où les savants, où les artistes, si zélés et si célèbres attachés à l’armée d’Orient, ne pourraient, sans se méprendre étrangement, trouver l’ombre d’un blâme, reporteront sans doute les pensées vers les travaux qui s’exécutent aujourd’hui dans notre propre pays, sous le contrôle de la Commission des monuments historiques. D’un coup d’oeil, chacun apercevra alors l’immense rôle que les procédés photographiques sont destinés à jouer dans cette grande entreprise nationale; chacun comprendra aussi que les nouveaux procédés se distingueront par l’économie, genre de mérite qui, pour le dire en passant, marche rarement dans les arts avec la perfection des produits. » Se demande-t-on, enfin, si l’art, envisagé en lui-même, doit attendre quelques progrès de l’examen, de l’étude de ces images dessinées par ce que la nature offre de plus subtil, de plus délié: par des rayons lumineux? M. Paul Delaroche va nous répondre. « Dans une Note rédigée à notre prière, ce peintre célèbre déclare que les procédés de M. Daguerre « portent si loin la perfection de certaines conditions essentielles de l’art, qu’ils deviendront pour les peintres, même les plus habiles, un sujet d’observations et d’études. » Ce qui le frappe dans les dessins photographiques, c’est que «le fini d’un précieux inimaginable, ne trouble en rien la tranquillité des masses, ne nuit en aucune manière à l’effet général. » « La correction des lignes, dit ailleurs M. Delaroche, la précision des formes est aussi complète que possible dans les dessins de M. Daguerre, et l’on y reconnaît en même temps un modelé large, énergique, et un ensemble aussi riche de ton que d’effet. . . . Le peintre trouvera dans ce procédé un moyen prompt de faire des collections d’études qu’il ne pourrait obtenir autrement qu’ave beaucoup de temps, de peine et d’une maniére bien moins parfaite, quel que fût d’aillèurs son talent. » Après avoir combattu par d’excellents arguments les opinions de ceux qui se sont imaginé que la photographie nuirait à nos artistes et surtout à nos habiles graveurs, M. Delaroche termine sa Note par cette réflexion : « En résumé, l’admirable découverte de M. Daguerre est un immense service rendu aux arts. » « Nous ne commettrons pas la faute de rien ajouter à un pareil témoignage. « Parmi les questions que nous nous sommes posées, figure nécessairement celles de savoir si les méthodes photographiques pourront devenir usuelles. « Sans divulguer ce qui est, ce qui doit rester secret jusqu’à l’adoption, jusqu’à la promulgation de la loi, nons pouvons dire que les tableaux sur lesquels la lumière engendre les admirables dessins de M. Daguerre, sont des tables de plaqué, c’est-à-dire des planches de cuivre recouvertes sur une de leurs faces d’une mince feuille d’argent. Il eût été sans doute préférable pour la commodité des voyageurs et, aussi, sous le point de vue économique, qu’on pût se servir de papier. Le papier imprégné de chlorure ou de nitrate d’argent, fut, en effet, la première substance dont M. Daguerre fit choix; mais le manque de sensibilité, la confusion des images, le peu de certitude des résultats , les accidents qui résultaient souvent de l’opération destinée à transformer les clairs en noirs et les noirs en clairs, ne pouvaient manquer de décourager un si habile artiste. S’il eût persisté dans cette première voie, ses dessins photographiques figureraient peut-être dans les collections, à titres de produits d’une expérience de physique curieuse; mais, assurément, les Chambres n’auraient pas eu à s‘en occuper. Au reste, si trois ou quatre francs, prix de chacune des plaques dont M. Daguerre fait usage, paraissent ,un prix élevé, il est juste de dire que la même planche peut recevoir successivement cent dessins différents. » Le succès inoui de la méthode actuelle de M. Daguerre tient en partie à ce qu’il opère sur une couche de matière d’une minceur extrême, sur une véritable pellicule. Nous n’avons donc pas a nous occuper du prix des ingrédients qui la composent. Ce prix, par sa petitesse, ne serait vraiment pas assignable. « Le Daguerréotype ne comporte pas une seule manipulation qui ne soit à la portée de tout le monde. Il ne suppose aucune connaissance de dessin, il n’exige aucune dextérité manuelle. En se conformant, de point en point, à certaines prescriptions très simples et très peu nombreuses, il n’est personne qui ne doive réussir aussi certainement et aussi bien que M. Daguerre lui-même. » La promptitude de la méthode est peut-être ce qui a le plus étonné le public. En effet, dix à douze minutes sont à peine nécessaires dans les temps sombres de l’hiver, pour prendre la vue d’un monument, d’un quartier de ville, d’un site. » En été, par un beau soleil, ce temps peut être réduit de moitié. Dans les climats du Midi, deux à trois minutes suffiront certainement. Mais, il importe de le remarquer, ces dix à douze minutes d’hiver, ces cinq à six minutes d’été, ces deux à trois minutes des régions méridionales, expriment seulement le temps pendant lequel la lame de plaqé a besoin de recevoir l’image lenticulaire. A cela, il faut ajouter le temps du déballage et de l’arrangement de la chambre noire, le temps de la préparation de la plaque, le temps que dure la petite opération destinée à rendre le tableau, une fois créé, insensible a l’action lumineuse. Toutes ces opérations réunies, pourront s’élever à trente minutes ou à trois quarts d’heure. Ils se faisaient donc illusion, ceux qui, nagnère, au moment d’entreprendre un voyage, déclaraient vouloir profiter de tous les moments où la diligence gravirait lentement des montées, pour prendre des vues du pays. On ne s’est pas moins trompé lorsque, frappé des curieux résultats, obtenus par des reports de pages, de gravures des plus anciens ouvrages, on a rêvé la reproduction, la multiplication des dessins photographiques par des reports lithographiques. Ce n’est pas seulement dans le monde moral qu’on a les défauts de ses qualités: la maxime trouve souvent son application dans les arts. C’est au poli parfait, à l’incalculable minceur de la couche sur laquelle M. Daguerre opère, que sont dus le fini, le velouté, l’harmonie des des sins photographiques. En frottant, en tamponnant de pareils dessins ; en les soumettant à l’action de la presse ou du rouleau, on les détruirait sans retour. Aussi, personne imagina-t-il jamais de tirailler fortement un ruban de dentelles, ou de brosser les ailes d’un papillon (1) ([iv])? » L’académicien qui connaissait déjà depuis quelques mois les préparations sur lesquelles naissent de si beaux dessins, n’a pas cru devoir tirer encore parti du secret qu’il tenait de l’honorable confiance de M. Daguerre. Il a pensé qu’avant d’entrer dans la large carrière de recherches que les procédés photographiques viennent d’ouvrir aux physiciens, il était de sa délicatesse d’attendre qu’une rémunération nationale eût mis les mêmes moyens d’investigation aux mains de tous les observateurs. Nous ne pourrons donc guère, en parlant de l’utilité scientifique de l’invention de notre compatriote, procéder que par voie de conjectures. Les faits, au reste, sont clairs, palpables, et nous avons peu à craindre que l’avenirnous démente. » La préparation sur laquelle M. Dagnerre opère, est nn réactif beaucoup plus sensible à l’action de la lumiére que tous ceux dont on s’était servi jusqu’ici. Jamais les rayons de la lune, nous ne disons pas à l’état naturel, mais condensés au foyer de la plus grande lentille, au foyer du plus large miroir réfléchissant, n’avaient produit d’effet physique perceptible. Les lames de plaqué préparées par M. Dagnerre, blanchissent au contraire à tel point sous l’action de ces mêmes rayons et des opérations qui lui succèdent, qu’il est permis d’espérer qu’on pourra faire des cartes photographiques de notre satellite. C’est dire qu’en quelques minutes on exécutera un des travaux les plus longs, les plus minutieux, les plus délicats de l’astronomie. » Une branche importante des sciences d’observation et de calcul, celle qui traite de l’intensité de la lumiére, la photométrie, a fait jusq,u’ici peu de progrès. Le physicien arrive assez bien à déterminer les intensités comparatives de deux lumières voisines l’une de l’autre et qu’il apercoit simultanément; mais on n’a que des moyens imparfaits d’effectuer cette comparaison, quand la condition de simultanéité n’existe pas; quand il faut opérer sur uue lumière visible à présent, et une lumière qui ne sera visible qu’après et lorsque la première aura disparu. « Les lumières artificielles de comparaison auxquelles, dans le cas dont nous venons de parler, l’observateur est réduit à avoir recours, sont rarement douées de la permanence, de la fixité désirables; rarement, et surtout quand il s’agit des astres, nos lumières artificielles ont la blancheur nécessaire. C’est pour cela qu’il y a de fort grandes différences entre les déterminations des intensités comparatives du soleil et de la lune, du soleil et des étoiles, données par des savants également habiles; c’est pour cela que les conséquences sublimes qui résultent de ces dernières comparaisons, relativement à l’humble place que notre soleil doit occuper parmi les milliards de soleils dont le firmament est parsemé, sont encore entourées d’une certaine réserve, même dans les ouvrages des auteurs les moins timides. « N’hésitons pas à le dire, les réactifs découverts par M. Daguerre, hâteront les progrès d’une des sciences qui honorent le.plus l’esprit humain. Avec leur secours, le physicien pourra procéder, désormiais, par voie d’intensités absolues: il comparera les lumières par leurs effets. S’i1 y trouve de I’utilité, le même tableau lui donnera des empreintes des rayons éblouissants du soleil, des rayons trois cent mille fois plus faibles de la lune, de rayons des étoiles. Ces empreintes, il les égalisera, soit en affaiblissant les plus fortes lumières, à l’aide de moyens excellents, résultats des découvertes récentes, mais dont l’indication serait ici déplacée, soit en ne laissant agir les rayons les plus brillants que pendant une seconde, par exemple, et continuant au besoin l’action des autres jusqu’à une demi-heure. Au reste, quand des observateurs appliquent un nouvel instrument à l’étude de la nature, ce qu’ils en ont espéré est toujours peu de chose relativement à la succession de découvertes dont l’instrument devient l’origine. En ce genre, c’est sur l’imprévu qu’on doit particulièrement compter (1) ([v]). Cette pensée semble-t-elle paradoxale? Quelques citations en montreront la justesse. « Des enfants attachent fortuitement deux verres lenticulaires de différents foyers, aux deux bouts d’un tube. Ils créent ainsi un instrument qui grossit les objets éloignés, qui les représente comme s’ils s’étaient rapprochés. Les observateurs s’en emparent avec la seule, avec la modeste espérance de voir un peu mieux des astres, connus de toute antiquité, mais qu’on n’avait pu étudier jusque là que d’une manière imparfaite. A peine, cependant, est.-il tourné vers le firmament, qu’on découvre des myriades de nouveaux mondes; que, pénétrant dans la constitution des six planètes des anciens, on la trouve analogue à celle de notre terre, par des montagnes dont on mesure les hauteurs, par des atmosphères dont on suit les bouleversements, par des phénomènes de formation et de fusion de glaces polaires, analogues à ceux des pôles terrestres; par des mouvemeuts rotatifs semblables à celui qui produit ici-bas l’intermittence des jours et des nuits. Dirigé sur Saturne, le tube des enfants du lunetier de, Midlebourg y dessine un phénomène dont l’étrangeté dépasse tout ce que les imaginations les plus ardentes avaient pu rêver. Nous voulons parler de cet anneau, ou, si on l’aime mieux, de ce pont sans piles, de 71000 lieuses de diamètre, de 11 000 lieues de largeur, qui entoure de tout côté le globe de la planéte, sans en approcher nulle part, à moins de 9 000lieues. Quelqu’un avait-il prévu qu’appliquée a l’observation des quatre lunes de Jupiter, la lunette y ferait voir que les rayons lumineux se meuvent avec une vitesse de 80 000 lieues à la seconde; qu’attachée aux instruments gradués, elle servirait à démontrer qu’il n’existe point d’étoiles dont la lumière nous parvienne en moins de trois ans; qu’en suivant enfin, avec son secours, certaines observations, certaines analogies, on irait jusqu’à conclure avec une immense probabilité, que le rayon par lequel, dans un instant donné, nous apercevons certaines nébuleuses, en était parti depuis plusieurs millions d’années; en d’autres termes, que ces nébuleuses, à cause de la propagation successive de la lumière, seraient visibles de la terre, plusieurs millions d’années après leur anéantissement complet. « La lunette des objets voisins, le microscope, donnerait lieu à des remarques analogues, car la nature n’est pas moins admirable, n’est pas moins variée dans sa petitesse que dans son immensité. Appliqué d’abord à l’observation de quelques insectes dont les naturalistes désiraient seulement amplifier la forme afin de la mieux reproduire par la gravure, le microscope a dévoilé ensuite et inopinément dans l’air, dans l’eau, dans tous les liquides, ces animalcules, ces infusoires, ces étranges reproductions où l’on peut espérer de trouver un jour les premiers linéaments d’une explication rationnelle des phénomènes de la vie. Dirigé récemment sur des fragments menus de diverses pierres comprises parmi les plus dures, les plus compactes dont l’écorce de notre globe se compose, le microscope a montré aux yeux étonnés des observateurs, que ces pierres ont vécu, qu’elles sont une pâte formée de milliards de milliards d’animalcules microscopiques soudés entre eux. « On se rappellera que cette digression était destinée à détromper les personnes qui voudraient, à tort, renfermer les applications scientifiques des procédés de M. Daguerre, dans le cadre actuellement prévu dont nous avions tracé le contour; eh bien ! les faits justifient déjà nos espérances. Nous pourrions, par exemple, parler de quelques idées qu’on a eues sur les moyens rapides, d’investigation que le topographe pourra emprunter à la photographie. Nous irons plus droit à notre but, en consignant ici une observation singulière dont M. Daguerre nous entretenait naguère: suivant lui, les heures du matin et les heures du soir également éloignées de midi et corrèspondant, dès lors, à de semblables hauteurs du soleil au-dessus de l’horizon., ne sont pas, cependant, également favorables à la production des images photographiques. Ainsi, dans toutes les saisons de l’année, et par des circonstances atmosphériques en apparence exactement semblables, l’image se forme un pen plus promp-tement à sept heures du matin, par exemple, qu’à cinq heures de l’après-midi; a huit heures qu’à quatre heures; à neuf heures qu’à trois heures. Supposons ce résulat vérifié, et le météorologiste aura un élément de plus à consigner dans ses tableaux; et aux observations anciennes de l’état du thermomètre, du baromètre, de l’hygrométre et de la diaphaneité de I’air , il devra ajouter un élément que les premiers instruments n’accusent pas; et il faudra tenir compte d’une absorption particulière, qui peut ne pas être sans influence sur beaucoup d’autres phénomènes, sur ceux même qui sont du ressort de la physiologie et de la médecine (1) ([vi]). « Nous venons d’essayer de faire ressortir tout ce que la découverte de M. Daguerre offre d’intérêt, sous le quadruple rapport de la nouveauté, de l’utilité artistique, de la rapidité d’exécution et des ressources précieuses que la science lui empruntera. Nous nous sommes efforcés de vous faire partager nos convictions, parce qu’elles sont vives et sincères, parce que nous avons tout examiné, tout étudié avec un scrupule religieux; parce que s’il eût été possible de méconnaître l’importance du Daguerréotype et la place qu’il occupera dans l’estime des hommes, tous nos doutes auraient cessé en voyant l’empressement que les nations étrangères mettaient à se saisir d’une date erronée, d’un fait douteux, du plus léger prétexte, pour soulever des questions de priorité, pour essayer d’ajouter le brillant fleuron que formeront toujours les procédés photographiques, à la couronne de découvertes dont chacune d’elles se pare. N’oublions pas de le proclamer, toute discussion sur ce point a cessé, moins encore en présence de titres d’antériorité authentiques, incontestables, sur lesquels MM. Niépce et Daguerre se sont appuyés, qu’à raison de l’incroyable perfection que M. Daguerre a obtenue. S’il le fallait, nous ne serions pas embarrassé de produire ici des témoignages des hommes les plus éminents de l’Angleterre, de l’Allemagne, et devant lesquels pâlirait complétement ce qui a été dit chez nous de plus flatteur, touchant la découverte de notre compatriote. Cette découverte, la France l’a adoptée; dès le premier moment elle s’est montrée fière de pouvoir en doter libéralement le monde entier (1) ([vii]) « |
([i]) (1) En l’absence de tout guide pour retrouver non-seuIement les expressions dont le Secrétaire de l’Académie s’est servi, mais encore l’ordre de ses développements, nous avons cru, après quelque hésitation, devoir reproduire les principaux passages du rapport écrit que M. Arago présenta à la Chambre des Députés, en expliquant aujourd’hui dans des notes ce qui, devant la Chambre, devait rester secret.
([ii]) (1) Dans l’ouvrage de FABRICIUS (De rebus metallicis), imprimé en 1566 , il est déjà longuement question d’une sorte de mine d’argent qu’on appelait argent corné, ayant la couleur et la transparence de la corne , la fusibilité et la mollesse de la cire. Cette substance, exposée a la lumière, passit du gris jaunâtre au violet, et, par une action plus long-temps prolongée, presque au noir. C’était l’argent corné naturel.
([iii]) (I) Voici une indication abrégée du procédé de M. Niépce et des perfectionnements que M. Daguerre y apporta.
M. Niepce faisait dissoudre du bitume sec de Judée dans de l’huile de lavande. Le résultat de cette évaporation était un vernis épais que le physicien de Châlon appliquait par tamponnement sur une lame métallique polie, par exemple, sur du cuivre plaqué, ou recouvert d’une lame d’argent.
La plaque, aprés avoir été soumise à une douce chaleur, restait couverte d’une couche adhérente et blanchâtre: c’était le bitume en poudre.
La planche ainsi recouverte était placée au foyer de la chambre noire. Au bout d’un certain temps on apercevait sur la poudre de faibles linéaments de l’image. M. Niépce eut la pensée ingénieuse que ces traits, peu perceptibles, pourraient être renforcés. En effet, en plongeant sa plaque dans un mélange d’huile de lavande et de pétrole, il reconnut que les régions de l’enduit qui avaient été exposées à la lumière, restaient presque intactes, tandis que les autres se dissolvaient rapidement et laissaient ensuite le métal à nu. Aprés avoir lavé la plaque avec de l’eau, on avait donc l’image formée dans la chambre noire, les clairs correspondant aux clairs et les ombres aux ombres. Les clairs étaient formés par la lumière diffuse, provenant de la matière blanchâtre et non polie du bitume; les ombres , par les parties polies et dénudées du miroir: à la condition,bien entendu, que ces parties se miraient dans des objets sombres; à la condition qu’on les placait dans une telle position qu’elles ne pussent pas envoyer spéculairement vers l’œil quelque lumière un peu vive. Les demi-teintes, quand elles existaient, pouvaient résulter de la partie du vernis qu’une pénétration partielle du dissolvant avait rendue moins mate que les régions restées intactes.
Le bitume de Judée réduit en poudre impalpable, n’a pas une teinte blanche bien prononcée. On serait plus près de la vérite en disant qu’il est gris. Le contraste entre les clairs et l’ombre , dans les dessins de M. Niépce, était donc très peu marqué. Pour ajouter à l’effet, l’auteur avait songé à noircir, après coup, les parties nues du métal, à les faire attaquer soit par le sulfure de potasse, soit par l’iode; mais il paraît n’avoir pas songé que cette dernière substance exposée a la lumière du jour, aurait éprouvé des changements continuels. En tout cas, on voit que M. Niépce ne prétendait pas se servir d’iode comme substance sensitive; qu’il ne voulait l’appliquer qu’à titre de substance noircissante, et seulement après la formation de l’image dans la chambre noire; après le renforcement ou, si on l’aime mieux, après le dégagement de cette image par l’action du dissolvant. Dans une pareille opérationque seraient devenues les demi-teintes ?
Au nombre des principaux inconvénients de la méthode de M. Niépce, il faut ranger cette circonstance qu’un dissolvant trop fort enlevait quelquefois le vernis par places , à peu près, et qu’un dissoIvant trop faibIe ne dégageait pas suffisamment I’image. La réussite n’était jamais assurée.
M. Daguerre imagina une méthode qu’on appela la méthode Niépcece perfectionnée. Il substitua d’abord le résidu de la distillation de l’huile de lavande au bitume, à cause de sa plus grande blancheur et de sa plus grande sensibilité. Ce résidu était dissous dans l’alcool ou dans l’éther. Le liquide déposé ensuite en une couche très mince et horizontale sur le métal y laissait, en s’évaporant , un enduit pulvérulent uniforme, résultat qu’on n’obtenait pas par tamponnement.
Après l’exposition de la plaque, ainsi préparée, au foyer de la chambre noire, M. Daguerre la placait horîzontalement et à distance au-dessus d’un vase contenant une huile essentielle légèrement chauffée. Dans cette opération, renfermée entre des limites convenables et qu’un simple coup d’oeil , au reste , permettait d’apprécier,
La vapeur provenant de l’huile, laissait intactes les particules de l’enduit pulvérulent qui avaient reçu l’action d’une vive lumière;
Elle pénétrait partiellement, et plus ou moins, 1es régions du même enduit qui, dans la chambre noire, correspondaient aux demi-teintes.
Les parties restées dans l’ombre étaient, elles, pénétrées entièrement.
Ici le métal ne se montrait à nu dans aucune des parties du dessin; ici les clairs étaient formés par une agglomération d’une multitude de particules blanches et très mates; les demi-teintes par des particules également condensées, mais dont la vapeur avait plus ou, moins affaiblit la blancheur et le mat; les ombres par des particules, toujours en même nombre, et devenues entièrement diaphanes.
Plus d’éclat, une plus grande variété dé tons, plus de régularité, la certitude de réussir dans la manipulation, de ne jamais emporter aucune portion de l’image, tels étaient les avantages de la méthode modifiée de M. Daguerre, sur celle de M. Niépce;
malheureusement le résidu de I’huile de lavande ,quoique plus sensible à l’action de la lumière que le bitume de Judée, est encore assez paresseux pour que les dessins ne commencent à y poindre qu’après un temps fort long.
Le genre de modification que le résidu de l’huile de lavande reçoit par l’action de la lumière et à la suite duquel les vapeurs des huiles essentielles pénètrent cette matière plus ou moins difficilement, nous est encore inconnu. Peut-être doit-on le regarder comme un simple dessèchement de particules; peut-être ne faut-il y voir qu’un nouvel arrangement moléculaire. Cette double hypothèse expliquerait comment la modification s’affaiblit graduellement et disparaît à la longue, même dans la plus profonde obscurité.
Le Daguerréotype.
Dans le procédé auquel le public reconnaissant a donné le nom de Daguerréotype, l’enduit de la lame de plaqué, la toile du tableau qui recoit les images, est une couche jaune d'or dont la lame se recouvre lorsqu’on la place horizontalement, pendant un certain temps et l’argent en dessous, dans une boîte au fond de laquelle il y a quelques parcelles d’iode abandonnées a l’évaporation spontanée.
Quand cette plaque sort de la chambre obscure, on n'y voit absolument aucun trait. La couche jaunâtre d’iodure d’argent qui a reçu l’image, paraît encore d’une nuance parfaitement uniforme dans toute son étendue.
Toutefois, si la plaque est exposée, dans une seconde boîte, au courant ascendant de vapeur mercurielle qui s’élève d’une capsule où le liquide est monté, par l’action d’une lampe à esprit de vin, à 75º centigrades, cette vapeur produit aussitôt le plus curieux effet. Elle s’attache en abondance aux parties de la surface de la plaque qu’une vive lumière a frappées; elle laisse intactes les régions restées dans l’ombre; enfin, elle se précipite sur les espaces qu’occupaient les demi-teintes, en plus ou moins grandes quantités, suivant que par leur intensité ces demi-teintes se rapprochaient plus ou moins des parties claires ou des parties noires. En s’aidant de la faible lumière d’une chandelle, l’opérateur peut suivre, pas à pas, la formation graduelle de l’image; il peut voir la vapeur mercurielle, comme un pinceau de la plus extrème délicatesse, aller marquer du ton convenable chaque partie de la plaque.
L’image de la chambre poire ainsi reproduite, on doit empécher que la lumière du jour ne l’altère. M. Daguerre arrive à ce résultat, en agitant la plaque dans de I’hyposulfite de soude et en la lavant ensuite avec de l’eau distillée chaude.
D’après M. Daguerre, l’image se forme mieux sur une lame de plaqué (sur une lame d’argent superposée à une lame de cuivre), que sur une lame d’argent. isolée. Ce fait, en le supposant, bien établi, semblerait prouver que l’électricité joue un rô1e dans ces curieux phénomènes.
La lame de plaqué doit être d’abord poncée, et décapée ensuite avec l’acide nitrique étendu d’eau. L’influence si utile que joue ici l’acide, pourrait bien tenir, comme le pense M. Pelouze, à ce que l’acide enlève à la surface de l’argent les dernières molécules de cuivre.
Quoique l’épaisseur de la couche jaune d'iode, d’après diverses pesées de M. Dumas, ne semble pas devoir s’élever à un millionnième de millimètre, il importe, pour la parfaite dégradation des, ombres et des lumières, que cette épaisseur soit exactement la même partout. M. Daguerre empêche qu’il se dépose plus d’iode aux bords qu’au centre, en mettant autour de sa plaque une lanquette du même métal, large d’un doigt et qu’on fixe avec des clous sur la tablette en bois qui porte le tout. On ne sait pas encore expliquer d’une manière satisfaisante, le mode physique d’action de cette languette.
Voici une circonstance non moins mystérieuse: si l’on veut que l’image produise le maximum d’effet dans la position ordinaire des tableaux (dans la position verticale), il sera nécessaire que la plaque.se présente sous l’inclinaison de 45º, au courant ascendant vertical de la vapeur mercurielle. Si la plaque était horizontale au moment de la précipitation du mercure, au moment de la naissance de l’image, ce serait sous l’angle de 45º qu’il faudrait la regarder pour trouver le maximum d’effet.
Quand on cherche à expliquer le singulier procédé de M. Daguerre, il se présente immédiatement à l’esprit l’idée que la lumière, dans la chambre obscure, détermine la vaporisation de l’iode partout où elle frappe la couche dorée; que lá le métal est mis à nu; que la vapeur mercurielle agit librement sur les parties dénudées, pendant la seconde opéra-tion, et y produit un amalgame blanc et mat; que le lavage avec l’hyposulfite a pour but, chimiquement, l’enlèvement des parties d’iode dont la lumière n’a pas produit le dégagement; artistiquement, la mise à nu des parties miroitantes qui doivent faire les noirs.
Mais dans cette théorie, que seraient ces demi-teintes sans nombre et si merveilleusement dégradées qu’offrent les dessins de M. Daguerre? Un seul fait prouvera d’ailleurs que les choses ne sont pas aussi simples :
La lame de plaqué n’augmente pas de poids d’une manière appréciable en secouvrant de la couche d’iode jaune d’or. L’augmentation, au contraire, est très sensible sous l’action de la vapeur mercurielle; eh bien ! M. Pelouze est assuré qu’après le lavage dans l’hyposullite, la plaque, malgré la présence d’un peu d’amalgame à la surface, pèse moins qu’avant de commencer l’opération. L’hyposulfite enlève donc de l’argent. L’examen chimique du liquide montre qu’il en est réellement ainsi.
Pour rendre compte, des effets de lumière que les dessins de M. Daguerre présentent, il semblait suffisant d’admettre que la lame d’argent se couvrait, pendant l’action de la vapeur mercurielle, de sphérules d’amalgame; que ces sphérules, très rapprochées dans les clairs, diminuaient graduellement en nombre dans les demi-teintes, jusqu’aux noirs où il ne devait y en avoir aucune.
La conjecture du physicien a été vérifiée. M. Dumas a reconnu au microscope que les clairs et les demi-teintes sont réellement formés par des sphérules dont le diamètre lui a paru, ainsi qu’à M. Adolphe Brongniart, être très régulièrement d’un huit-centième de millimètre. Mais alors pourquoi la nécessité d’une inclinaison de la plaque de 45º, au moment de la précipitation de la vapeur mercurielle. Cette inclinaison, en la supposant indispensable avec M. Daguerre, ne semblait-elle pas indiquer l’intervention d’aiguilles oude filets cristallins qui se prenaient, qui se solidifiaient, qui se groupaient toujours verticalement dans un liquide parfait ou dans un demi-liquide, et avaient ainsi, relativement à la plaque, une position dépendante de l’inclinaison qu’on avait donnée à celle-ci?
On fera peut-être des milliers de beaux dessins avec le Daguerréotype, avant que son mode d’action,ait été bien complétement analysé.
([iv]) (I) La nécessité de préserver de tout contact les dessins obtenus a l’aide du Dagnerréotype, m’avait paru devoir être un obstacle sérieux à la propagation de la méthode. Aussi, pendant la discussion des chambres, demandais-je à cor et à cris, d’essayer quels seraient sur ces dessins les effets d’un vernis. M. Daguerre étant peu enclin à rien adopter qui nuise, même légèrement, aux propriétés artistiques de ses productions, j’ai adressé ma prière à M. Dumas. Ce célèbre chimiste a trouvé que les dessins provenant du Daguerréotype, peuvent être vernis. Il suffit de verser sur la plaque métallique, une dissolution bouillante d’une partie de dextrine dans cinq parties d’eau. Si l’on trouve que ce vernis n’agit pas à la longue sur les composés mercuriels dont l’image est formée, un important problème sera résolu. Le vernis, en effet, disparaissant quand on plonge la plaque au milieu d’une masse d’eau bouillante, on sera toujours le maître de replacer toutes choses comme M. Daguerre le veut, et, d’autre part, pendant un voyage on n’aura pas couru le risque de gâter ses collections. M. Dumas n’a pas trouvé, au reste, que son vernis nuisît seasiblement à l’harmonie des images.
([v]) (I) Voici une application dont le Daguerréotype sera susceptible et qui me semble très digue d’intérêt :
L’observation a montré que le spectre solaire n’est pas continu, qu’il y existe des solutions de continuité transversales, des raies entièrement noires. Y a-t-il des solutions de continuité pareilles dans les rayons obscurs qui paraissent produire les effets photogéniques?
s’il y en a, correspondent-elles aux raies noires du spect.re lumineux?
Puisque plusieurs des raies transversales du spectre sont visibles à l’oeil nu, ou quand elles se peignent sur la rétine sans amplification aucune, le problème que je viens de poser sera aisément résolu. On fera une sorte d’œil artificiel en placant une lentille entre le prisme et l’écran où tombera le spectre, et l’on cherchera ensuite, fût-ce même à l’aide d’une loupe, la place des raies noires de l’image photogénique, par rapport aux raies noires du spectre lumineux.
([vi]) (I) La remarque de M. Daguerre sur la dissemblance comparative et constante des effets de la lumière solaire, à des heures de la journée où l’astre est également élevé au-dessus de l’horizon, semble, il faut l’avouer, devoir apporter des difficultés de plus d’un genre
dans les recherches photométriques qu’on voudra entreprendre avec le Daguerréotype.
En général, on se montre peu disposé à admettre que le méme instrument servira jamais a faire des portraits. Le problème renferme, en effet, deux conditions, en apparence, inconciliables. Pour que l’image naisse rapidement, c’est-à-dire pendant les quatre ou cinq minutes d’immobilité qu’on peut exiger et attendre d’une personne vivante, il faut que la figure soit en plein soleil; mais en plein ,soleil, une vive lumière forcerait la personne la plus impassible a un clignotement continuel; elle grimacerait; toute l’habitude faciale setrouverait changée.
Heureusement, M. Daguerre a reconnu, quant à l’iodure d’argent dont les plaques sont recouvertes, que les rayons qui traversent certains verres bleus, y produisent la presque totalité des effets photogéniques. En placant un de ces verres entre la personne qui pose et
le soleil, on aura donc une image photogénique presque tout aussi vite que si le verre n’existait pas, et cependant, la lumière éclairante étant alors très douce 1’ il n’y aura plus lieu à grimace ou a clignotements trop répétés.
([vii]) (1) On s’est demandé si après avoir obtenu avec le Dagnerréotype les plus admirables dé-gradationsde teintes, on n’arrivera pas 8, lai faire produire les couleurs : à substituer, en un mot, les tableaux aux sortes de gravures à l’aqua-tinta qu’on engendre maintenant. Ce problème sera résolu, le jour où l’on aura découvert UNE seule et même substance que les rayons rouges, coloreront en rouge, les rayons jaunes en jaune, les rayons bleus en bleu, etc. M. Niepce signalait déjà les effets de cette nature où, suivant moi, le phénomène des anneaux colorés jouait quelque rôle. Peut-&re en était-il de même du rouge et du violet, que Seebeck obtenait simultanément sur le chlorure d’argent, aux deux .extrémités opposées du spectre. M. Quetdet vient de me communiquer une lettre dans laquelle sir John Hersckel annonce que son papier sensible ayant Cté exposé à un spectre solaire tr& vif, offrait ensuite 3 toutes les couleurs prismatiques, le rouge excepté. En présence de ces faits, il serait certaine-ment hasardé d’affirmer que les couIeurs naturelles des objets, ne seront jamais reproduites dans‘les images photogéniques.
M. Daguerre, pendant ses premières expé&nces de phospharescence, ayant découvert une poudre qui émettait une lueur rouge après que la lumière rouge l’avait frappée; une autre poudre à laquelie le bleu communiquait une phosphorescence bleue; une troisième poudre qui, dans les mêmes circonstances, devenait lumineuse en vert par l’aetion de la lumière verte, mêla ces poudres mécaniquement et obtint ainsi un composé unique qui devenait rouge dans le rouge, vert dans le vert et bleu dans le bleu. Peut-être en opérant de même, en mêlant divèies résines, arrivera-t-on? A engendrer un vernis oh chaque lumière imprimera, non$us phosphoriqllement, mais photogéniquement sa couleur!
Sem comentários:
Enviar um comentário